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Affichage des articles du janvier, 2024

Histoires de fantômes du Japon. Hearn & Lacombe

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Lafcadio Hearn (1850-1904), alias Koizumi Yakumo est né Irlandais mais il a obtenu la nationalité japonaise en 1896 après son mariage avec la fille d’un samouraï. Je pourrais m’attarder sur sa biographie, qui est passionnante, mais je crains que l’exercice ne soit trop fastidieux. Sachant qu’il existe un excellent article de Koizumi Bon , l’arrière-petit-fils de l’écrivain, je préfère me concentrer sur l’objet de ce billet.  Cette anthologie est le résultat d’un minutieux travail de collaboration entre les éditions Soleil et le dessinateur français Benjamin Lacombe . Ce premier volume compte une dizaine de textes sélectionnés parmi la multitude de Kaidan (littéralement « histoire de l'étrange, du mystérieux ») compilés par Lafcadio Hearn, au tournant des 19ème et 20ème siècles. Ces histoires, traduites de textes japonais anciens, sont sublimées par une série d’illustrations, inspirées des plus grands maîtres de l'ukiyo-e (j’y reviendrai plus tard). Une autre série de textes is

Enfant de la nuit polaire. Julia Nikitina

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  Julia Nikitina signe une bande dessinée autobiographique, poétique, introspective et singulière.  Née un jour de tempête en novembre 1988, la narratrice a grandi dans le Grand Nord russe à Salekhard. Cette ville de Sibérie est située exactement sur le cercle polaire arctique. La mère de l’illustratrice, originaire d’un village de la région de Sverdlovsk, dans l’Oural, est arrivée ici à la fin des années 70. La ville était alors en pleine croissance démographique grâce au développement de l’activité maritime. Son premier mari avait reçu une proposition de poste sur le port de Salekhard. Elle l’a suivi et s’est fait engager au même endroit. Elle y reste après son divorce, malgré le rude climat et les difficultés de la vie quotidienne, puis se remarie avec un homme né sur les rives du Don (le père de Julia).  La famille obtient un appartement et s’installe dans un immeuble au bord de l’Ob. Le second époux part à son tour et la mère de Julia se retrouve seule avec son enfant à élever. A

Corps de fille, corps de femme. Voix d’écrivaines francophones

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 « Gardez votre vieux monde, nous en voulons un sans violences sexistes et sexuelles ». Ce slogan du collectif Grève féministe invitait les associations à la mobilisation, le 11 janvier dernier, dans le cadre de l’affaire Depardieu. Le même jour, j’ai trouvé dans le catalogue de ma bibliothèque municipale, une anthologie intitulée Corps de fille, corps de femme . Il s’agit d’un recueil de 15 nouvelles, dont le thématique centrale est la lutte pour le droit des femmes, traitée selon le prisme du corps. L’ouvrage a été publié par la maison d’édition militante Des femmes, en collaboration avec le Parlement des écrivaines francophones (PEF) dont on trouvera l’historique et les missions sur le site Internet dédié.  Chaque nouvelle est précédée d’une courte biographie de son autrice, sans préciser la date de naissance. L’absence de cette information a éveillé ma curiosité et m’a incitée à une rapide digression. Une recherche sur Internet m’a permis de découvrir que les collaboratrices de ce

Contes de l'Alhambra. Washington Irving

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Washington Irving est un écrivain facétieux qui s’inspire des contes des Mille et une nuits mais s’inscrit aussi dans la grande tradition des romans d’aventure et des récits fantastiques si prisés au 19ème siècle. C’est un voyageur enthousiaste, un conteur captivant et plein d’humour. Cela n’exclut pas quelques touches de romantisme. Orientalisme et littérature gothique, le succès de ce recueil était donc quasiment assuré et se confirme aujourd’hui par la multiplication de ses rééditions.  De 1829 à 1832, l’écrivain américain est secrétaire de la légation américaine en Espagne. C’est dans ce contexte qu’il écrit les Contes de l'Alhambra , un ouvrage inclassable, tant Irving y favorise le mélange des genres. Cela débute comme un récit de voyage avec une évocation de l'Alhambra tel que l’ensemble palatial se présentait à l’époque de l’auteur. Les lecteurs qui s’attendaient à un recueil de nouvelles traditionnel trouveront peut-être cette partie un peu longue en dépit de son inté

Le Refuge. José Fonollosa

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Le refuge est une BD documentaire dont le narrateur est l’auteur lui-même. Arrivé à la quarantaine, José Fonollosa décide de s’engager dans le bénévolat. Ce propriétaire de chats ne connaît pas grand-chose aux chiens mais ce n’est pas grave. Il apprend (parfois à ses dépens) que les animaux réclament une grande attention et beaucoup d’affection. Comme il n’a pas beaucoup de mémoire, il a fait son propre classement de races canines en fonction du physique des pensionnaires : le type berger allemand, le type boxer, le type chien de chasse et le type bâtard. Il a un peu de mal à retenir le nom de chaque individu et fait quelques gaffes mais sa bonne volonté est son meilleur atout. Chaque samedi matin, le dessinateur abandonne donc ses crayons et ses pinceaux, enfourche son vélo et pédale pendant 3 ou 4 km pour rejoindre le refuge. Ce lieu, situé en pleine campagne, dans la région de Valence en Espagne, est géré par la SPAX, l’Association de Protection des Animaux de Xàtiva. Les chiens so

De la jalousie. Jo Nesbo

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Nous ne croiserons pas Harry Hole, le héros récurrent de Jo Nesbø, dans ce recueil de nouvelles. Les protagonistes de ces histoires sont des hommes et des femmes que la jalousie incite à commettre des crimes plus ou moins tortueux. Certains meurtriers sont extrêmement méticuleux et organisés ; d’autres sont beaucoup plus spontanés. Ils ne se font pas tous attraper. D’ailleurs, les chutes surprennent presque toujours le lecteur. Londres , la nouvelle inaugurale, est aussi ma préférée parce que c’est la plus originale. Tout se passe dans un avion entre New-York et la capitale britannique. Une jeune femme vient de découvrir l’infidélité de son conjoint avec sa meilleure amie et confie son tourment à son voisin de siège en classe business. Jusque-là, me direz-vous, il n’y a rien d’extraordinaire. En réalité, l’intérêt de ce texte tient à la manière de traiter le sujet et à son surprenant dénouement. Phtonos , le texte le plus long (150 pages), débute avec l’atterrissage d’un autre avion à

Toutes les saveurs. Ken Liu

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  J’ai décidé de lire cette Novella dans le cadre du challenge  Bonnes nouvelles  puisque Ken Liu est étiqueté comme auteur de science-fiction et publié chez un éditeur spécialisé dans les littératures de l’imaginaire. J’étais assez contente de mon doublé même si en lisant la 4ème de couverture j’ai suspecté que Toutes les saveurs était plutôt à ranger parmi les romans historiques et/ou les westerns. La toile de fond de cet opus est l’installation de la diaspora chinoise dans l’ouest américain au 19ème siècle.  Evidement ces histoires de classements ne sont pas très importantes. L’essentiel étant, pour moi, de m’aventurer sur des territoires méconnus et de lire enfin des auteurs que je ne croise généralement que sur les autres blogs. Ken Liu , fait partie de ces écrivains souvent plébiscités par les amateurs du genre et récompensés par de prestigieux prix littéraires. Toutes les saveurs se situe à la frontière des genres dans sa partie dédiée à l’histoire des Trois royaumes qui oscill

Maintenant que j'ai cinquante ans. Bulbul Sharma

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  J’avais repéré ce recueil de nouvelles chez Keisha , il y a un bon bout de temps. Je connaissais déjà les fictions culinaires de Bulbul Sharma mais ce titre a retenu mon attention (non, je ne vous dirai pas si c’est à cause de mon âge) et je l’ai gardé en tête jusqu’à aujourd’hui. Les Etapes indiennes , organisées par Hilde, et le challenge Bonnes nouvelles étaient les occasions idéales de le lire et je dois dire que je me suis régalée bien qu’il soit rarement question de cuisine dans ces textes. Non, le titre ne ment pas, il s’agit bien d’histoires dont les héroïnes sont des quinquagénaires. Mais attention ! Nous sommes en Inde et ça change tout ! Ajoutez à cela l’humour parfois grinçant de Bulbul Sharma et vous obtenez un savoureux mélange autour de la condition féminine en Asie (il est aussi question des Thaïlandaises dans la nouvelle intitulée Surprise d'anniversaire ). L’ouvrage réunit 10 textes. La nouvelle titre donne la parole à une riche veuve dont le don de vision s’e

Expiration. Ted Chiang

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Je lis peu d’ouvrages de science-fiction mais Ted Chiang est considéré comme l’un des meilleurs auteurs du genre. Diplômé d'informatique de l'université Brown à Providence, il n’a écrit que 17 nouvelles en 25 ans et deux recueils seulement sont parus à ce jour. C’est dire s’il peaufine son style ! Il a d’ailleurs reçu de nombreuses récompenses comme le prix Hugo (4 fois), le prix Nebula (4 fois) ou le prix Locus (4 fois).  Expiration compte neuf histoires, écrites entre 2005 et 2019, et dont le fil conducteur est le thème du libre arbitre.  Toutes ces nouvelles sont très convaincantes mais leur lecture nécessite une grande attention de la part du lecteur du fait des notions scientifiques et philosophiques qu’elles mobilisent.  Le Marchand et la Porte de l'alchimiste , le texte qui inaugure le recueil, est une sorte de nouvelle gigogne où s’intercalent quatre histoires inspirées des contes des Mille et Une Nuits . C’est néanmoins la nouvelle la plus abordable. L’auteur y tr

Haut Val des loups. Jérôme Meizoz

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 « Tout est coquet dans le village de montagne, chéri des peintres paysagers. Les chalets sèchent sous le soleil cru de février. Les touristes accomplissent leurs devoirs de vacances. Yeux fermés, tourné vers la forêt, on entend le pic-bois et le ronronnement de la télécabine. Pays neutre, contrée sourde, épargnée par la guerre, obstinée et prospère. Silence, négoce et bénéfices. Vertu suprême : la discrétion. » En février 1991, dans la région du Haut Val, un jeune militant écologiste est tabassé avec une grande violence et laissé sur le carreau, baignant dans son sang. Il ne meurt pas. Il s’en sort après un séjour à l’hôpital mais le traumatisme est tellement important qu’il préfère s’exiler outre-Atlantique. Il finira par rentrer au pays mais ne se mêlera plus jamais de politique. L’affaire a été classée sans suite. Vingt-cinq ans plus tard, le narrateur n’a pas oublié la violence dont son ami a été victime. L’accès aux archives judicaires lui étant refusé, il décide de raconter cett

Trajectoire. Richard Russo

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Et hop ! Je valide ma troisième lecture commune autour de l’œuvre de Richard Russo, initiée par Keisha . Cette fois, il ne s’agit pas d’un roman mais d’un recueil de nouvelles dans le cadre du challenge Bonnes nouvelles . Trajectoire regroupe quatre textes dont le fil commun est une remise en question existentielle, suite à un évènement déclencheur qui trouve presque toujours sa source dans le passé des protagonistes. Il est question d’amour, d’argent, de maladies, de tricheries et de trahisons…  des sujets récurrents en littérature mais qui ont sans doute plus de sel lorsqu’ils sont traités par Richard Russo.  Si cette œuvre est très différente des précédentes par sa forme, on y retrouve bien le style et les thèmes fétiches de l’écrivain américain. Il ne se prive pas de pasticher une nouvelle fois les mœurs du monde universitaire ( Cavalier ) ou l’univers impitoyable du cinéma hollywoodien ( Milton et Marcus ).  « Ce qu’il y a de mieux dans le monde du cinéma, disait Wendy, c’est son

Jentayu, Hors-série n°3 : Indonésie

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L’Indonésie ne présente pas une offre de textes traduits en Français très développée. Pour ma part, je connaissais les noms de deux auteurs indonésiens :  Pramoedya Ananta Toer (publié chez Zulma et Gallimard) et Eka Kurniawan (édité par Sabine Wespieser). Cette anthologie m’a donc permis de découvrir 19 auteurs soigneusement sélectionnés par les éditeurs de la revue Jentayu . Pas moins de 13 traducteurs ont été mobilisés pour nous permettre d’y accéder. Ainsi que le signale, dans son introduction, le poète et écrivain Zen Hae, tous ces textes sont postérieurs à la Reformasi de 1998, une période cruciale qui débute après la démission du président Suharto (également retranscrit Soeharto). J’ai pu apprécier une fois de plus la qualité des textes et traductions proposés par la revue. En ce qui concerne les illustrations, elles ont été réalisées par deux artistes javanais, Hanafi et Goenawan Mohamad. Le premier est né en 1960 à Purworejo tandis que le second est originaire de Batang où il

Trois Jours. Petros Markaris

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Petros Markaris est le père du commissaire Charitos, héros récurrent d’une douzaine de polars dont Mort aux hypocrites (Points, 2022) et Le Crime, c'est l'argent (Cambourakis, 2023), les derniers parus. La série policière compte également une trilogie dédiée à la crise économique grecque : Liquidations à la grecque (Points, 2013), Le Justicier d’Athènes (Points, 2014) et Pain, Éducation et Liberté (Points, 2015) Kostas Charitos n’apparait que dans deux nouvelles de ce recueil. Les autres histoires ne sont pas toutes des énigmes policières mais elles débouchent presque toujours sur un crime ou un cadavre. Les protagonistes sont souvent confrontés au racisme et à l’extrémisme, que ce soit dans leur pays d’origine ou sur leur terre d’accueil. Ainsi, dans la seconde nouvelle, deux retraités turcs, installés en Allemagne, subissent de fortes pressions d’une association religieuse opposée à la construction d’une mosquée indépendante. Plus loin, il est question des Loups gris, un

Ciel, post scriptum. Susanna Harutyunyan

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Susanna Harutyunyan est une autrice arménienne, qui a déjà écrit 8 romans. En février prochain paraîtra Le village secret (Les Argonautes, 224 pages) son premier roman traduit en Français. Pour l’instant, un seul ouvrage est disponible dans notre langue* et uniquement en version numérique. Il s’agit d’un recueil regroupant 5 textes dont Ciel, post scriptum , la nouvelle titre, qui est aussi la plus longue. La première nouvelle, Tristes supplications , nous conduit dans la région du lac Sevan, à proximité des villages de Geghhovit et Madina. J’ai réussi à localiser le lieu de l’intrigue grâce à l’évocation de la fameuse chapelle orthodoxe de Toukh Manouk. L’histoire nous est racontée selon le point de vue de Sahak, le vieux gardien de la maison du conseil communal. Celui-ci se rend chez sa voisine Mariam, sous le prétexte de repasser sa chemise en prévision d’un évènement important. Le lecteur comprendra plus tard qu’il s’agit surtout de préparer Mariam à une terrible épreuve, renouve

Sur la Route de Mandalay. Mya Than Tint

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Le sous-titre de cet ouvrage, Histoires de gens ordinaires en Birmanie , est plus fidèle à la version originale et rend mieux compte de son contenu. Il ne s’agit pas d’un recueil de nouvelles mais d’une série de chroniques biographiques. Ces textes sont parus, dans un premier temps, en feuilleton dans la revue mensuelle Kalya, avant d’être réunis dans une anthologie. J’imagine que l’éditeur suisse a jugé qu’un titre faisant référence au fameux poème de Rudyard Kipling, Mandalay , attiserait davantage la curiosité du lecteur. Mya Than Tint, quant à lui, précise dans l’introduction, qu’il s’est inspiré des travaux du journaliste américain Studs Terkel, en particuliers Working, histoires orales du travail aux Etats-Unis (Amsterdam, 2006) et Hard times : Histoires orales de la Grande Dépression (Amsterdam, 2009), pour les traductions françaises. Chaque entretien débute de la même façon. Mya Than Tint explique dans quelles circonstances il a fait la connaissance de son interlocuteur et en

La vache du roi Musinga et autres nouvelles rwandaises. Scholastique Mukasonga

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Ces trois nouvelles sont extraites d’un autre recueil intitulé Ce que murmurent les collines (Folio, 2015). Dans le premier texte, Le bois de la croix , nous faisons la connaissance de Viviane, une jeune africaine exilée en Europe. En réponse à un ancien amant qui s’était gaussé du grigri qu’elle porte autour de la taille, elle nous raconte une histoire qui confronte les croyances ancestrales de son pays natal à celle des missionnaires occidentaux. La vache du roi Musinga , la seconde nouvelle, rapporte à la manière d’une fable, le destin contrarié du Mwami (roi du Rwanda) Yuhi V, né Musinga (1883-1944), dont le règne fut abrégé par l’intervention des colonisateurs belges. Il termina sa vie en exil à Moba, au Congo belge. Un Pygmée à l'école , le troisième texte, nous parle d’un Mutwa (Pygmée) appelé Cyprien et doté d’une belle intelligence. Malgré l’intervention des missionnaires, les maîtres refusent de l’accepter dans leur classe, sauf Félicien qui finit par céder à contrecœur.