Corps de fille, corps de femme. Voix d’écrivaines francophones

Corps de fille, corps de femme. Voix d’écrivaines francophones


 « Gardez votre vieux monde, nous en voulons un sans violences sexistes et sexuelles ». Ce slogan du collectif Grève féministe invitait les associations à la mobilisation, le 11 janvier dernier, dans le cadre de l’affaire Depardieu. Le même jour, j’ai trouvé dans le catalogue de ma bibliothèque municipale, une anthologie intitulée Corps de fille, corps de femme. Il s’agit d’un recueil de 15 nouvelles, dont le thématique centrale est la lutte pour le droit des femmes, traitée selon le prisme du corps. L’ouvrage a été publié par la maison d’édition militante Des femmes, en collaboration avec le Parlement des écrivaines francophones (PEF) dont on trouvera l’historique et les missions sur le site Internet dédié. 

Chaque nouvelle est précédée d’une courte biographie de son autrice, sans préciser la date de naissance. L’absence de cette information a éveillé ma curiosité et m’a incitée à une rapide digression. Une recherche sur Internet m’a permis de découvrir que les collaboratrices de ce recueil sont toutes nées entre 1940 et 1965. Ceci prouve, s’il était nécessaire, que la lutte féministe n’est pas l’affaire d’une seule génération. Les voix sont juste plus nombreuses et les méthodes employées sont différentes. Aujourd’hui on fait appel aux réseaux sociaux. Le mouvement le plus emblématique #MeToo, est né à l’initiative de Tarana Burke, une militante américaine née en 1973. Il a été relancé par Rose McGowan (née aussi en 1973) et Sandra Muller (née en 1971) avec #BalanceTonPorc. Parmi les jeunes militantes, un nom au moins me vient spontanément. Il s’agit de la pakistanaise, Malala Yousafzai (née en 1997).  Je pense aussi bien-sûr aux Femen, le groupe féministe créé par Anna Hutsol, Oksana Chatchko et Oleksandra Chevtchenko, toutes les trois nées dans les années 80. Le corps féminin, ici, n’est pas seulement un objet de lutte, il en est aussi l’outil ou l’arme. Je ferme maintenant ma parenthèse sur le rejet du « vieux monde machiste » pour me concentrer sur l’anthologie des Voix d’écrivaines francophones.

Si ces histoires de femmes nous viennent d’horizons différents (Cameron, Maroc, Tunisie, Allemagne, France, Argentine, Martinique, Turquie, Québec ou Belgique), elles résonnent en chacune de nous par les thèmes qui y sont abordés : le carcan des sociétés patriarcales, le tabou universel des règles, le viol, etc. Le pire étant que les préjugés sont souvent relayés par les générations de femmes précédentes. Les siècles de conditionnement incitent à l’acceptation des diktats et à l’autocensure. Certains textes sont plus difficiles à lire que d’autres mais il faut reconnaître qu’il y a des sujets n’autorisant pas la légèreté. 

Parmi les nouvelles qui m’ont le plus touchée, il y a Le cri de Sophie Bessis. Ce texte relate l’histoire d’une SDF qui n’a plus toute sa tête et hante la rue de la Roquette dans le 11ème arrondissement de Paris. Un jour, elle se confie à la narratrice. Elle est née dans les montagnes marocaines où les filles sont mariées tôt pour éviter les "problèmes". Elle a eu la chance d’éprouver de doux sentiments pour son époux et d’en être aimée en retour. Mais dans sa région natale, une union doit rapidement se concrétiser par la naissance d’un fils. Le couple a eu une fille unique et la jeune épouse a été répudiée par son mari en dépit des sentiments qu’ils partageaient. Portant toute la honte de l’évènement sur ses épaules, elle a dû retourner chez ses parents. Mais puisqu’elle était désormais considérée comme salie, il fallait la remarier (ou plutôt la vendre) à un homme moins regardant. Elle a dû quitter son pays, abandonnant son enfant à sa famille, pour épouser un alcoolique qui la battait et la violait régulièrement. Au début, elle s’est résigné. C’était le prix à payer pour son bonheur passé, pensait-elle. Et puis, un jour, la colère l’a poussée à claquer la porte et à descendre dans la rue où elle ne connaissait personne et ne parlait même pas la langue du pays. 

Le récit de Marie-Rose Abomo-Maurin, intitulé A Juliette, est tout aussi tragique et il est tiré d’une histoire vraie. Juliette a été violée à plusieurs reprises. D’abord par son père, tandis que sa mère semblait détourner les yeux, sans doute par peur de l’abandon et de la solitude. Placée dans un foyer à l’âge de 14 ans, la jeune bantoue est confrontée à d’autres bourreaux qui s’approprient son corps. Quelques années plus tard, suite à une escapade dans un bar, elle est encore victime des appétits masculins. Son histoire, elle la confit à son enseignante après avoir violemment frappé un élève qui imposer des attouchements. « On ne fait pas de paris sur le corps de la femme. Tous les idiots qui ont cherché à abuser de moi, parce que j’étais du sexe opposé, n’ont fait qu’accentuer le dédain que j’éprouve désormais pour eux. Je ne peux désormais partager un sentiment d’amour qu’avec une personne qui me ressemble. »

Toutes les expériences ne sont pas aussi douloureuses, fort heureusement. Ainsi La première bicyclette, la nouvelle de Lise Gauvin pourrait prêter à sourire si elle n’en disait si long sur l’évolution des mentalités. A cinq ans, lorsqu’elle apprend à lire, la fillette s’étonne des rôles dévolus aux différents protagonistes de sa méthode de lecture. Pourquoi c’est toujours Léa qui fait la cuisine quand Léo, son frère, passe son temps à bouquiner.  La fille joue à la poupée, le garçon aux petites voitures, etc. Dans le groupe de copains copines de notre narratrice, pourtant, les jeux ne sont pas genrés. « Une fois le sujet choisi, chacun, à tour de rôle peut être médecin ou patient, cosmonaute ou fermier, aviateur ou cuisinier, papa ou maman, nourrisson ou vieillard, et cela indépendamment du sexe que la grammaire vous oblige à afficher. » Tout semble donc fonctionner à merveille jusqu’au jour où le petit Paulo exhibe fièrement une bicyclette reçue en cadeau. Il autorise ses amis à l’essayer à tour de rôle pour le plus grand plaisir de notre narratrice. Quelque mois plus tard, elle réclame la même à ses parents pour son anniversaire. Quelle déception lorsqu’on lui impose un vélo avec des barres parallèles obliques, jugées plus appropriées pour les jupes des filles que les cadres de vélos masculins ! 

Il serait évidemment trop fastidieux d’évoquer tour à tour les 15 nouvelles du recueil. De nombreux sujets sont évoqués et il faut un peu de temps pour digérer tout ça. 

Corps de fille, corps de femme. Voix d’écrivaines francophones. Editions des Femmes Antoinette Fouque, 192 pages (2023)


Commentaires

  1. heureusement que toutes ne sont pas aussi dures, l'équilibre n'est pas facile à trouver!

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    1. Cela dépend de la sensibilité, du style et de l'expérience de chaque autrice. C'est tout l'intérêt, je pense, de ce recueil collectif.

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  2. Nathalie28.1.24

    Souvenir d’un directeur d’école qui m’avait retiré des mains des autocollants Zorro parce que c’était pour les garçons et m’avait flanqué une poupée moche entre les mains… il y a encore du boulot.
    Nathalie

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    1. ça c'est sûr ! Je me souviens, il y a quelques années, d'un papa qui s'est mis en colère parce que son fils a choisi un déguisement de princesse à la crèche pour mardi gras ! La puéricultrice m'a expliqué que certains petits garçons se jetaient sur les poupées et surtout la dinette parce qu'ils n'en avaient pas chez eux.

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  3. Il y a encore du boulot, n effet...

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    1. oh que oui ! On le constate tous les jours, parfois dans des détails.

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  4. Antoinette Fouque ... une sacrée référence en littérature des femmes. Il y en a eu des parutions importantes aux Editions des Femmes. Je note ce recueil de nouvelles pour une prochaine fois.

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    1. C'est important d'avoir des éditeurs militants même si je ne lis pas tout le temps des ouvrages sérieux sur des sujets engagés.

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  5. "Le pire étant que les préjugés sont souvent relayés par les générations de femmes précédentes." Moi c'est ce qui m'a toujours sidérée... Pourquoi les femmes perpétuent-elles auprès de leurs filles des choses dont elles ont elles-mêmes soufferts ? Ça reste un gros mystère pour moi...

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    1. Tout à fait d'accord. D'ailleurs, l'une des nouvelles évoque cette question.

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  6. Je note sans hésiter ce recueil, car d'une part le thème me parle, et d'autre part, je trouve intéressant que les nouvelles viennent de différents horizons.

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    1. dans ce cas l'ouvrage devrait te plaire. C'est aussi le côté cosmopolite (en plus du sujet) qui m'a attirée.

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  7. Hedwige30.1.24

    Partout dans le monde sévit la même prédominance masculine, tandis que la culpabilité, la honte et les souffrances sont déléguées aux femmes.
    A peine avons-nous en Occident acquis certains droits, une certaine parole que des mouvements masculinistes s’élèvent déjà, en même temps que progresse l’extrême droite, dont on se souvient des préceptes nazis : Kinder, Küche, Kirche. "Enfants, cuisine, église".

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    1. Il faut résister vigilant en permanence en effet. Sur cette question comme sur d'autres.

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  8. On voit heureusement des changements, notamment dans les manuels, sur les rôles hommes/femmes et les origines/couleurs de peau des personnages. Ça se fait petit à petit mais ça avance, notamment grâce à des ouvrages comme celui-ci et sa présentation ici qui permet de le faire connaître!

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    1. Je pense en effet que l'éducation joue un rôle crucial dans l'acceptation et le respect de l'autre.

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