Le choix du chômage. Benoît Collombat et Damien Cuvillier

 Le choix du chômage. Benoît Collombat et Damien Cuvillier


Les sujets sérieux doivent-ils toujours être traités sous forme d’essais ? Les bandes dessinées sont-elles réservées aux enfants ? Aurais-je lu un pavé consacré au chômage s’il n’avait été sous forme de BD ? Il faut le reconnaître, si on peut me faire des dessins quand il s’agit de concepts économiques rébarbatifs, ça m’arrange bien. Le dessin de presse, c’est drôle et c’est pédagogique. Bref, ça touche sa cible presque à tous les coups. Pour preuve, la bande dessinée documentaire est un médium qui s’impose de plus en plus souvent dans le journalisme d’investigation. On pense aux travaux d’Etienne Davodeau (Rural ! Les Mauvaises Gens ou Un homme est mort), d’Emmanuel Guibert et Frédéric Lemercier (Le photographe), de Philippe Squarzoni (Saison brune), de Guy Delisle (Pyongyang, Chroniques birmanes et Chroniques de Jérusalem), de Joe Sacco (Palestine ou Gaza 1956), de Didier Alcante et Laurent-Frédéric Bollée (La bombe), ou encore de Bertrand Galic et Roger Vidal (Fukushima)…

Le choix du chômage. Benoît Collombat et Damien Cuvillier. P8

Le choix du chômage par Benoit Collombat et Damien Cuvillier entre dans cette catégorie d’enquête journalistique qui fait mouche. Le projet nait en octobre 2016, au Festival Quai des Bulles à Saint-Malo, lors d’une discussion entre Claude Gendrot (directeur éditorial du label Futuropolis) et Benoit Collombat (grand reporter). Après avoir travaillé sur la violence politique avec Etienne Davodeau, le journaliste souhaitait traiter un sujet sur la violence économique et, en particulier, ses conséquences réelles sur la vie des gens. Cette question intéressait justement un jeune illustrateur…  un certain Damien Cuvillier, originaire de Picardie, une région particulièrement touchée par le chômage. Les deux hommes ont enquêté pendant des mois, avec une rigueur digne des plus grands historiens. Ils ont répertorié une masse considérable de sources écrites et visuelles, compulsé les traités d’économie faisant autorité sur le néo-libéralisme, déniché des documents de correspondance et notes administratives inédites, fouillés dans les archives télévisuelles, sans oublier les enquêtes de terrain. Ils ont ainsi interviewer de nombreux témoins et spécialistes des questions économiques : des politiciens, des hauts fonctionnaires, des philosophes, des sociologues… Le résultat est une bande dessinée documentaire de 282 pages, préfacée par Ken Loach, le cinéaste britannique connu pour ses engagements politiques. En 2016, justement, il a remporté une seconde palme d’or à Cannes pour Moi, Daniel Blake, un film traitant de la violence sociale faite aux chômeurs au Royaume-Uni.

Le choix du chômage. Benoît Collombat et Damien Cuvillier. Préface

Dans le projet de Benoît Collombat et Damien Cuvillier, toute la question a été de savoir par où commencer, comment synthétiser la masse d’information collectée et la présenter de manière claire et cohérente. Le fil rouge ici, c’est la continuité du discours politique (quelque soit les obédiences politiques des gouvernements successifs) depuis le constat de Georges Pompidou en 1973, qui déplorait alors un niveau de chômage sans précédent de 400 000 demandeurs d’emploi ! Le chiffre aujourd’hui s’élève à 2, 4 millions selon l’Insee (6 millions, si on tient compte des travailleurs précaires inscrits à Pôle emploi). Selon une étude de l’Inserm, 10 à 14 000 décès peuvent être attribuées aux conséquences directes du chômage chaque année (suicides, maladies etc). Or, si on se penche sur la dernière réforme du chômage, on s’aperçoit qu’elle inscrit dans le même cadre idéologique depuis plus de 40 ans ! Le chômage est-il un choix politique de nos élites, ainsi que le suggère le titre de la bande dessinée ? C’est ce que Benoît Collombat et Damien Cuvillier se sont attachés à démontrer, à travers les politiques menées depuis la période de reconstruction d’après-guerre (Plan Marshall en 1947) puis la mise en place des premiers jalons du marché unique européen (Traité de Rome en 1957), en passant par la crise des subprimes en 2008. La question est de savoir vers quel avenir nous avançons ainsi à marche forcée : vers « la possibilité d’une île » ainsi que l’espèrent les élites financières et politiques (c’est-à-dire un effondrement partiel du monde qui leur permettrait de rester les rois de la planète) ?


Le choix du chômage. Benoît Collombat et Damien Cuvillier. Les auteurs


Benoît Collombat est grand reporteur au sein de la rédaction de France Inter depuis 1994. Il a enquêté sur de nombreuses affaires politico-financières comme l’affaire Robert Boulin, ministre du travail (1920-1979), le suicide du premier ministre Pierre Bérégovoy (1925-1993) ou encore les paradis fiscaux (Les trous noirs de la finance mondiale). En 2008, il a reçu le Prix international de l'enquête du CFJ (Centre de formation des journalistes) pour l’enquête sur l'affaire JPK Des requins en eaux troubles . En 2009, il a également signé des reportages intitulés Les affaires africaines du Docteur Kouchner et Cameroun : l’empire noir de Vincent Bolloré (2009).  Il n’en est pas à sa première incursion dans le mon de la BD puisqu’il a déjà écrit un livre à quatre mains avec Etienne Davodeau, intitulé Cher pays de notre enfance : dans les coulisses de la politique. Cet ouvrage a été récompensé par le Prix du public Cultura au festival d'Angoulême en 2016 et a été finaliste du Prix de la BD Fnac. 

Le premier album de Damien Cuvilliers , Les sauveteurs en mer, est paru chez Vents d’Ouest en 2010. Il a ensuite publié La Guerre secrète de l'espace (chez Delcourt) d’après un scénario de Régis Hautière puis Les souliers rouges (Bamboo) avec Gérard Cousseau et Nuit noire sur Brest (Futuropolis) avec Bertrand Galic et Kris. Damien Cuvilliers a également participé à divers collectifs comme Dessin'Acteurs, Les Artistes s’engagent contre le SIDA ou Cicatrices de guerre(s). Depuis, l’illustrateur enchaîne les projets : La Guerre des Lulus (Casterman) avec Régis Hautière, Eldorado (Futuropolis) avec Hélène Ferrarini ou Mary Jane (Futuropolis) avec Frank Le Gall.

📌Le choix du chômage. Benoît Collombat et Damien Cuvillier. Futuropolis, 288 pages (2021)


Au prochain arrêt. Hiro Arikawa

Au prochain arrêt. Hiro Arikawa.


 Qui n’a jamais observé ses voisins dans une rame de métro ou un wagon de train ? Parié sur leurs stations de destination? Avouez que c’est plutôt marrant d’ imaginer les pensées ou la vie des voyageurs qui partagent ce petit espace quand on a pas d’autre passe-temps sous la main (comme un bon livre, par exemple). La romancière japonaise Hiro Arikawa, elle, en a fait tout un roman. 

Autour d’une ligne de train peu connue dans les environs d’Osaka (la ligne Hankyù Imazu qui relie reliant Takarazuka à Nishinomiya), l’auteur nous invite à un chassé-croisé de personnages. Le lecteur partage ainsi quelques tranches de vie de passagers le temps d’un aller-retour (ces trajets n’ayant pas lieu le même jour mais à plusieurs mois d’intervalle). Ainsi, au début du roman, nous assistons à un début de flirt entre deux jeunes gens rentrant de la bibliothèque. Dans la scène finale, nous retrouvons notre couple d’amoureux, sur le point d’emménager dans le même appartement. 

Certains des groupes de protagonistes interfèrent entre eux au cours du trajet, tandis que d’autres disparaissent au gré des évènements. Cette galerie de personnages nous invite à partager les pensées d’individus très différents (âge, sexe et condition) mais qui ont tous une chose en commun : ils sont à un moment clé de leur vie amoureuse, sociale, familiale ou professionnelle. Nous croisons ainsi une jeune cadre qui se venge de son ex-fiancé infidèle, une étudiante qui réalise qu’elle ne peut plus accepter les violences de son petit-ami, une lycéenne qui doit choisir dans quelle université ou école elle souhaite postuler, une mamie qui décide d’adopter un chien au décès de son époux, une quadragénaire qui ne se trouve plus d’affinités avec son groupe d’amis, ainsi que deux jeunes ruraux venus s’installer en ville pour leurs études. 

En dépit de l’exotisme lié au nom des stations ferroviaires, il est clair que les usagers réguliers des transports au commun se retrouveront dans bon de nombres de situations : vis-à-vis du manque de civilité, conscient ou non, de certains passagers, par exemple. On sait que les Japonais sont plutôt à cheval sur les traditions et les bonnes manières mais, pour le coup, il apparait clairement que les règles de bonnes conduites dans les transports en commun sont universelles.

Hiro Arikawa s’est fait connaître en France grâce à son roman intitulé Mémoires d’un chat et publié chez Actes Sud en 2017. Elle est aussi l’autrice de « light novels » (roman japonais destiné à un public de jeunes adultes) et des mangas de genre « Shôjo » (bande dessinée pour fille) dont la série Library Wars (15 volumes) , paru chez Glénat entre 2010 et 2016

📌Au prochain arrêt. Hiro Arikawa. Actes Sud, 192 p. (2021)


Les cousins Karlsson T.1. Mazetti & Damant

Les cousins Karlsson T.1. Mazetti & Damant


 Cette bande dessinée pour enfant est un vrai petit bijou. Les dessins sont adorables et plein de fraîcheur, les dialogues sont drôles et les personnages très attachants. L’histoire est idéale pour une lecture estivale puisque les petits héros partent en vacances sur une île déserte au large d’Östhamn, en Suède. Ils sont quatre cousins et cousines, plus un chat : Julia (l’adolescente responsable), George (le baroudeur pas trop téméraire), Daniella (alias Bourdon, la gourmande), Alex (le cuistot Frenchie) et Chatpardeur (le matou qui chipe tout ce qui passe sous son museau). Leurs parents les ont envoyés en villégiature chez leur tante Frida, une artiste un peu excentrique mais qui a le cœur sur la main. 

Sur l’île de Grèbes, les cousins Karlsson sont libres comme l’air. Ils peuvent se baigner, grimper aux arbres, faire de la barque, monter à cheval, cuisiner et manger tout ce qu’ils veulent… et leurs goûts en la matière sont assez hétérogènes. Peu importe car la bonne humeur est au rendez-vous. Tante Frida leur a aménagé des chambres super fun dans un ancien phare, juste sous son atelier de sculpture. Il y a pourtant un bémol…. Les provisions disparaissent à vitesse grand V, et la forêt semble hantée par des bêtes sauvages invisibles… à moins que des espions n’aient élu domicile sur leur île ou pire un cannibale affamé ? N’écoutant que leur courage, les cousins décident de mener leur enquête.


Les cousins Karlsson T.1. Mazetti & Damant. P14-15


Mystère sur l’île aux Grèbes est en réalité une adaptation d’un roman pour enfant de Katarina Mazetti intitulé Espions et fantôme. Il s’agit du premier tome des aventures des Cousins Karlsson. La série compte à ce jour une dizaine de titres dont Sauvages et Wombats (tome 2), Vikings et vampires (tome 3) ou Monstres et mystères (tome 4). En ce qui nous concerne, nos attendons l’adaptation en BD du second volume de la collection avec impatience. En attendant, nous sommes très tentés par la lecture des romans. 

Katarina Mazetti s’est fait connaître en France, et dans le reste du monde, grâce à son roman intitulé Le Mec de la tombe d’à côté (éditions Gaïa, 2006). Elle a publié plusieurs livres depuis dont Le Caveau de famille (éditions Gaïa, 2011), Mon doudou divin (éditions Gaïa, 2012) ou Ma vie de pingouin (éditions Gaïa, 2015). Tous ces livres ont été réédités chez Actes Sud.

Aurore Damant, quant à elle, a écrit et illustré de nombreux album pour enfants pour les éditions Bayard, Milan, Gallimard Jeunesse, Penguin Random House et Rageot. Elle travaille régulièrement pour la presse enfantine. On peut avoir un aperçu de son œuvre sur Tumblr et Instagram.

📌Les cousins Karlsson T.1, Mystère sur l’île aux Grèbes. Katarina Mazetti et Aurore Damant. Editions Pierre Magnier, 48 p. (2020)


Une aventure Fortnite dont tu es le héros T.1. Thilo

Une aventure Fortnite dont tu es le héros T.1. Thilo


 Que penser d’un roman inspiré de l’univers Fortnite, le jeu développé par Epic Games ? Je ne crois pas être la seule à avoir quelques réticences au sujet de la thématique. Néanmoins, puisque l’ouvrage s’adresse aux enfants à partir de 9 ans, je pars du principe que le contenu est adapté aux jeunes lecteurs. L’essentiel n’est-il pas d’insuffler le goût de la lecture ? Que cherche-t-on dans les livres ? S’agit-il de se distraire ou de se cultiver ? En ce qui me concerne, l’idée est de proposer aux enfants un large éventail de genres littéraires. Dernier argument, s’il est nécessaire : proposer un livre sur Fortnite est une excellente stratégie pour inciter les jeunes geeks à lâcher un peu les manettes de leur jeu préféré. 

Pour ceux qui ne connaissent pas le principe des livres dont tu es le héros, précisons que le lecteur se voit confier une quête ou une mission. La progression dans la lecture est fonction de ses choix. En effet, à chaque fin de paragraphe, plusieurs options (et autant de décisions ou d’actions) se présentent à lui. Selon l’alternative sélectionnée, le lecteur se rend à l’un ou l’autre des chapitres indiqués. 

Ce premier tome de Fornite, nous conduit en 2113. Suite à une catastrophe planétaire, la Terre est en ruine. Presque toutes les villes ont été détruites et plus de 98 % de la population a été rayée de la carte. Les gens se sont regroupés en clans et se battent pour leur survie. Le but est de mettre la main sur les matières premières et les armes. Certaines bandes sont plus agressives que d’autres et réduisent les plus faibles en esclavage. Nous jouons sous l’identité de Bob Cooper alias Cold Blood. Il fait partie d’un groupe de combat chargé de défendre les Justes et d’empêcher l’instauration d’un régime de terreur. Marcellus, le chef d’équipe, nous a désigné pour une mission de la plus haute importance : empêcher les hordes hostiles de s’emparer de Dark Dagalur, une sorte de terre promise où nous allons être parachutés. Pour sauver ce territoire, il faut éliminer 99 ennemis qui nous barrent la route. Nous disposons d’une carte de la zone et d’une arme très spéciale pour atteindre notre objectif. 

La série Fortnite, imaginée par Thilo, compte actuellement trois autres volumes :  Mission évasion (tome 2), La libération de Mean Mines (tome 3) et Le traitre de Stormy station (tome 4). L’auteur de la série Thilo (pseudo de Thilo P. Lassak) est un romancier et scénariste allemand. Il est, selon son éditeur, l’un des écrivains pour la jeunesse les plus populaires dans son pays. Il a écrit une autre série, la saga des Animal Heros (dès 9 ans) publiée en France chez Castelmore. Sinon, pour les super-fans de Fornite, il existe une autre collection de livres-jeux imaginés par le romancier Olivier Gay et publiés chez Albin Michel (dès 9 ans). L’intégrale Fortnite est d’ailleurs parue cette année.

Je trouve que la formule livre-jeu est idéale pour les jeunes lecteurs qui ont besoin de motivation. Pour la petite histoire, sachez que le concept de Livres dont vous êtes le héros a été créé en 1984 par les éditions Gallimard pour sa collection Folio Junior. A l’heure actuelle, la série compte plusieurs dizaines de titres, essentiellement dans les domaines de la science-fiction et de la fantasy. Ils s’adressent aux lecteurs à partir de 10 ans. Pour les enfants plus jeunes (dès 8 ans), les éditions Nathan ont publié une quinzaine de titres dans la collection Tu es le héros ! Chez Fleurus, il existe même une série de documentaires sur le même principe. Il s’agit de la collection Docu dont tu es le héros (à partir de 9 ans).

📌Une aventure Fortnite dont tu es le héros T.1, 99 contre 1. Thilo. PlayBac, 134 p. (2019)


Au milieu de l'été, un invincible hiver. Virginie Troussier

Au milieu de l'été, un invincible hiver. Virginie Troussier


 Il y a 60 ans exactement, en juillet 1961, un groupe d’alpinistes chevronnés partait à l’assaut d’un des derniers piliers inexplorés du Mont-Blanc. Cette aventure extraordinaire avait débuté d’une manière tout à fait exemplaire d’un point de vue sportif, technique et humain. Mais c’était sans compter avec la météo capricieuse et implacable des régions montagneuses.  L’histoire s’est achevée dans le drame avec la mort de 5 hommes. Virginie Troussier, romancière et journaliste spécialisée, nous en fait le récit. S’appuyant sur les témoignages de Pierre Mazeaud et de Walter Bonatti, elle a tenté de restituer le terrible parcours des alpinistes, jour après jour, presque heure par heure : le froid, l’humidité, l’inconfort, la fatigue, la souffrance, l’impuissance face aux éléments déchaînés… autant de sensations et de sentiments qui ont eu raison de ces sportifs aguerris. 

J’ignore s’il faut être alpiniste pour ressentir pleinement les évènements, mais quiconque a pratiqué la randonnée ou le ski dans des conditions difficiles, imagine sans doute un peu ce que les protagonistes ont pu endurer. Une chose est sûre, il faut faire un effort d’imagination et avoir au moins une vague idée de la géographie du lieu pour comprendre le déroulement de cette tragédie alpestre. Depuis sa première ascension par Jacques Balmat en 1786, le Mont Blanc (4 810m) n’a cessé d’attirer de plus en plus d’alpinistes. Il existe une trentaine d’itinéraires, sur les versants français et italiens, pour atteindre le toit de l’Europe. Au début des années 1960, il restait encore quelques parois à explorer. Le pilier central du Freney, sur le versant italien, en faisait partie. Il s’agit d’un immense "pilier" de granit rouge qui, entre 4 000 et 4 750 mètres, soutient la calotte glacière du mont Blanc. 

Le dimanche 9 juillet 1961, la cordée italienne part de Courmayeur où elle attendait une fenêtre météorologique favorable. Elle est composée de deux guides expérimentés, Walter Bonatti et Andrea Oggioni, ainsi que de leur client Roberto Galliéni. Arrivés au refuge du col de la Fourche, à 3 600 mètres d’altitude, ils croisent un groupe de Français. Ceux-là sont partis la veille de Chamonix. Pierre Mazeaud et Pierre Kohlmann sont parisiens. Ils se connaissent depuis longtemps, pratiquent l’escalade sur les rochers de Fontainebleau et se rendent régulièrement en Haute-Savoie pour assouvir leur passion. Robert Guillaume est également originaire de la capitale mais s’est installé près du Mont-blanc. Antoine Vieille est son compagnon de cordée habituel. Tous sont d’excellents grimpeurs. 

Les deux groupes décident de poursuivre ensemble l’aventure. Il faut d’abord récupérer le matériel des Italiens, caché deux ans plus tôt, suite à un abandon forcé de l’escalade. Walter Bonatti, de loin le plus expérimenté, s’impose logiquement comme chef de cordée. Le mardi 11 juillet, pourtant, il a laissé la primeur à Pierre Mazeaud. Pendant que le Français commence son ascension pour équiper la première longueur d’escalade artificielle, les Italiens préparent le dernier bivouac sur la base de la Chandelle. 

Vers 14h00, alors que le Français frappe la roche avec son marteau pour planter un piton, il croit entendre une sonnerie de téléphone. En réalité, l’air est saturé d’électricité. Le temps de redescendre vers Pierre Kohlmann, quelques mètres plus bas, et l’orage se déchaîne. Son équipier, qui porte une prothèse auditive, est frappé par la foudre. Kohlmann s’évanouit. Mazeaud lui fait immédiatement une injection de Coramine. Or, cet accident n’est que le début d’une longue tragédie. Les alpinistes attendront plusieurs jours le retour du beau temps et tiendront de longues heures dans l’espoir de « s’évader par le haut » (continuer l’escalade vers le sommet). Le vendredi 14 juillet, il faut se rendre à l’évidence et entamer la descente. Forcés d’abandonner à 80 m du sommet du pilier, ils devront descendre le glacier du Frêney, remonter le col de l’Innominata puis gagner la cabane Gamba (aujourd’hui refuge Monzino) … dans la tempête.

L’auteur s’attache à décrire ce que ces hommes vigoureux ont pu ressentir dans leur chair mais aussi face à l’agonie de leurs frères d’armes. La souffrance et l’horreur montent crescendo, les corps s’abîment au-delà des limites du possible puis les hommes s’effondrent d’épuisement ou de folie. Que dire du traumatisme des survivants, l’incompréhension et la douleur des proches… ? Les questions et les soupçons viennent ternir encore cette histoire qui aurait dû être une formidable aventure sportive et humaine, un exemple de fair-play transfrontalier et de solidarité internationale.

Walter Bonatti et Pierre Mazeaud, les deux seuls rescapés de cette tragédie, en témoignent dans leurs autobiographies respectives. L’Italien l’évoque dans ses mémoires intitulées Montagnes d'une vie et parues en 1961 (dans le chapitre XI : La grande tragédie du pilier central). L’ouvrage a été réédité cette année aux éditions J’ai Lu. Le Français, quant à lui, en parle dans son récit intitulé Montagne pour un homme nu (chapitre XI : Le pilier central du Freney), publié en 1971 et réédité plusieurs fois depuis.

Virginie Troussier est journaliste pour Montagnes Magazine, Alpes Magazine et Voile Magazine. Elle est aussi l’auteur de plusieurs livres dédiés aux sportifs de haut niveau dont le champion paralympique Michaël Jérémiasz ou le skieur américain Bode Miller. 

📌Au milieu de l'été, un invincible hiver. Virginie Troussier. Paulsen, 128 p. (2021)


Cornebidouille. Bonniol & Bertrand

Cornebidouille. Bonniol & Bertrand


 Parmi les personnages emblématiques de la littérature enfantine, il y a la sorcière. L’illustratrice Magali Bonniol et le scénariste Pierre Bertrand s’en sont inspirés dans Cornebidouille, la série éditée par L’école des loisirs. La collection, bien connue des parents comme des enseignants, compte 5 tomes à ce jour, publiés dans trois formats (Albums, Lutins et Petite Bibliothèque) : Cornebidouille, (2003), La vengeance de Cornebidouille (2010), Cornebidouille contre Cornebidouille (2013), Gloups ! J'ai avalé Cornebidouille ! (2016) et Non Cornebidouille, pas mon doudou ! (2019). On ce qui nous concerne, nous possédons les quatre premiers volumes en version reliée (couverture souple) bien pratique pour les petites mains des jeunes lecteurs de 6 à 8 ans. 

Dans le premier tome, nous faisons la connaissance de Pierre, un petit garçon qui déteste la soupe et fait des histoires à toutes sa famille dès qu’on lui en sert. Un soir, excédé par la résistance de Pierre, son papa le menace : 

« - Et tu sais ce qui arrive aux petits garçons qui ne mangent pas leur soupe ?
- Nan, j’sais pas !
- Et bien, à minuit, la sorcière Cornebidouille vient les voir dans leur chambre et leur fait tellement peur que, le lendemain, non seulement ils mangent leur soupe, mais ils avalent la soupière avec.
- M’en fiche, j’y crois pas aux sorcière ! »

 

Cornebidouille. Bonniol & Bertrand. Collection

Et pourtant, lorsque le petit Pierre se retrouve seul dans son lit, l’estomac vide, il n’en mène pas bien large ! D’ailleurs, cette nuit-là, il est réveillé par une très mauvaise odeur. C’est elle ! Cornebidouille, c’est son nom ! Qu’elle est laide ! Elle ne sent pas bon et a elle a du poil au menton ! Elle a aussi un gros derrière et se met facilement en colère. Mais le petit garçon est malin et il a plus d’un tour dans son sac. Il défie la vaniteuse sorcière et, grâce à un astucieux stratagème, parvient à la capturer dans sa chaussette avant de la jeter dans les toilettes.

Le second volume, La vengeance de Cornedidouille, nous conduit au cœur de la nuit, dans le repaire de Cornebidouille. La vilaine sorcière a décidé de se venger de Pierre. Ni une, ni deux, elle s’échappe des toilettes et file dans la chambre du petit chenapan qui l’a si bien dupée. Cette fois, elle l’attache à sa chaise pour le forcer à avaler une horrible soupe qui transformera le garçon en potiron. Mais Pierre, se jouant encore de l’orgueilleuse sorcière, l’incite à boire son propre bouillon. Abracadabra, la sorcière commence à se transformer en Cucurbitacée.


Cornebidouille contre Cornebidouille. Bonniol & Bertrand


Le troisième volet, intitulé Cornebidouille contre Cornebidouille, débute là où s’était arrêtée l’aventure précédente. Le « cornepotirouille » trône au centre de la table familiale.  Alors que la maman de Pierre s’apprête à le trancher, Pierre la supplie d’arrêter et lui avoue qu’il s’agit en fait de la sorcière. Tout le monde rit. Quelle imagination ! Mais lorsque le potiron est coupé en deux, une odeur pestilentielle s’en dégage. Le petit garçon est envoyé dans sa chambre sans autre forme de procès. Oui, mais à minuit pile, Cornebidouille retrouve son apparence initiale… sauf qu’elle s’est dédoublée ! Evidement, notre petit héros parviendra encore à la berner et à échapper de justesse à ses maléfices.

Dans Gloups, j’ai avalé Cornebidouille, une version miniature de la sorcière réapparait dans la poubelle du jardin… le petit Pierre l’avale par inadvertance et Cornebidouille, bien installée dans son ventre, en profite pour lui faire subir mille tourments. Notre héros lui promet de manger sa soupe si elle accepte de sortir. Il s’agit évidemment d’un nouveau piège dans lequel la sorcière tombe immédiatement…


Gloups, j’ai avalé Cornebidouille


📝Les enfants adorent la sorcière Cornebidouille et tous les personnages qui font un peu peur en générale. Il existe de nombreux ouvrages sur ces thèmes. En ce qui nous concerne, nous avons adoré le livre pop-up édité par Nathan (dès 3 ans) : Au secours ! Une sorcière au nez crochu ! Nous avons d’ailleurs lu plusieurs ouvrages de la série parmi lesquels : Au secours ! Un fantôme farceur !  Au secours ! Un monstre gluant ! et Au secours ! Un loup tout poilu ! Si vous préférez vous en tenir uniquement aux sorcières, L’école des loisirs recommande plusieurs livres dont Ah ! les bonnes soupes de Claude Boujon (dès 6 ans), 3 Sorcières de Grégoire Solotareff (dès 6 ans) et Trabakaloum ! de Jean-Luc Englebert (dès 3 ans). 

📌Cornebidouille. Magali Bonniol et Pierre Bertrand. Ecole des Loisirs, 28 p. (2005)


L'amour au temps des éléphants. Ariane Bois

 L'amour au temps des éléphants. Ariane Bois


Dans L'amour au temps des éléphants, Ariane Bois nous raconte une histoire d’amour et d’amitié entre humains, d’abord, mais aussi le combat d’une jeune femme pour la protection des éléphants. Ses engagements la conduiront jusqu’en Europe où la guerre fait rage, puis en Afrique où un terrible drame lui permettra de trouver sa véritable voie.

Ce récit débute par un atroce fait divers, dont l’auteur nous apprend en postface qu’il ne doit rien à son imagination. Nous sommes à Erwin, dans le Tennessee, le 13 septembre 1916. En haut d’une grue, pend le corps de Mary, une éléphante d’une trentaine d’années. Un public acclame cette atroce pendaison. La veille, lors d’un défilé dans la rue, la femelle s’est retournée contre son gardien qui la maltraitait. Elle a écrasé la tête de son tortionnaire avec son énorme patte devant un public médusé. Aussitôt la foule hurle et réclame la mise à mort du pachyderme. Arabella, l’héroïne du roman, a assisté à toute la scène. Elle sait qu’un éléphant n’attaque pas sans raison. De plus, elle a vu le dresseur frapper durement l’animal avec une trique. Accompagné de Jeremy, un journaliste croisé dans la foule, la jeune fille tente d’obtenir la grâce de l’animal. En dépit de leurs efforts, nos héros ne pourront qu’assister à l’inhumaine mise à mort de Mary. En revanche, leur rencontre n’est que le début d’une longue histoire qui les conduira jusqu’au Kenya.

Le même jour, à quelques pas de la potence de Mary, Kid, un jeune noir, est pratiquement lynché par une foule raciste. L’adolescent a malencontreusement trébuché et renversé une passante. Celle-ci crie au voleur et les témoins de la scène se jette sur Kid pour le tabasser. Il parvient à s’échapper par miracle et court se réfugier chez lui, dans le quartier noir. Sa mère sait parfaitement que la mésaventure n’en restera pas là. Il doit fuir avant que les membres du Ku Klux Klan ne le rattrapent. Pour lui aussi, c’est le début d’une nouvelle vie. Elle le conduira loin des siens, jusqu’aux terres de ses ancêtres. 

Ariane Bois signe un très beau roman, extrêmement poignant, véritable hymne d’amour en faveur des animaux et des éléphants en particuliers. On y apprend beaucoup sur les pachydermes, les différentes espèces, leur comportement, etc. A priori, personne n’ignore que les éléphants sont chassés en Afrique pour l’ivoire qu’ils procurent. Mais c’est une chose de le savoir et une autre de regarder vraiment la vérité en face. 

La romancière aborde également les thèmes du racisme, de la guerre et de la vie après la libération. Sur le front français, nos héros partagent la vie de leurs compatriotes. Arabella s’engage dans la Croix-Rouge aux cotés de Gladys et Dorothy Cromwell tandis que Kid se bat aux cotés des Harlem Hellfighters, le 369e régiment d'infanterie des Etats-Unis. A Paris, après la guerre, nos trois héros croisent nombre de personnalités emblématiques depuis Gertrude Stein, en passant par Hemingway et Sylvia Beach (la fondatrice de la fameuse librairie Shakespeare & Co.)… Dans un autre registre, le musicien afro-américain James Reese Europe prend le jeune Kid sous son aile bienveillante tandis que Joséphine Baker fait une brève apparition, ainsi que Kiki de Montparnasse. En Afrique, on rencontre aussi Beryl Markham, la fameuse aviatrice… Bref, une galerie de personnages emblématiques des années folles… lorsque Paris était une fête et les colonies africaines un refuge pour échapper aux conventions d’une société trop rigide.  Car L'amour au temps des éléphants est aussi une ode à la jeunesse et à la liberté.

L'amour au temps des éléphants est le 7ème roman d’Ariane Bois. Elle s’est déjà engagée pour d’autres causes dans ses précédents ouvrages dont L'île aux enfants, un roman dédié aux enfants déplacés de La Réunion vers plusieurs départements de France métropolitaine entre 1963 et 1984. 

📌L'amour au temps des éléphants. Ariane Bois. Belfond, 256p. (2021)


Le guide nature : Les fleurs sauvages

Le guide nature : Les fleurs sauvages


 📝Voici un petit guide à glisser dans votre sac, lors de vos prochaines sorties. Il mesure 18 cm de haut et 14 cm de large, ce qui en fait un format de poche bien pratique. Il est néanmoins bien plus épais (soit 165 pages) que les guides Piccolia dont nous avons déjà parlé. Il faut dire que les guides nature, publié chez Salamandre, s’adresse à un large public tandis que les Piccolia étaient destinés aux enfants. La collection compte une dizaine de titres dont Les fleurs sauvages, Les oiseaux, Les petites bêtes, A la campagne, Au jardin, etc.

Dans cet ouvrage, les fleurs sont classées par famille (Graminées, orchidées, jonc et laiches…), par milieu (potager, prairie, haute-montagne) et par sens (printanières, odorantes, comestibles…). En guise d’introduction, les auteurs proposent une liste répertoriant le matériel nécessaire à l’observation des fleurs, ainsi que des règles d’or à respecter au quotidien pour préserver les plantes.


Le guide nature : Les fleurs sauvages. P2-3


A l’intérieur des différents chapitres, chaque fleur possède une fiche d’identification succincte. Des symboles et abréviations permettent de visualiser les informations principales sans surcharge. Cela facilite grandement la lisibilité de l’ouvrage.  Ainsi pour chaque fleur, les auteurs ont indiqué sa taille, la forme des feuilles, l’aspect des fruits, la date de floraison, le(s) pays dans le(s)quel(s) on les trouve fréquemment, le lieu où on elles poussent (milieu forestier, milieu sec…) etc.

Pour les explorateurs en herbe, les éditions Salamandre publient également des magazines destinés aux enfants : La petite Salamandre (4-7 ans) et La Salamandre Junior (8-12 ans), ainsi que des cahiers nature par saison (Automne-hiver, Printemps-été et Eté). Autant de petits usuels à emporter lors de vos sorties en pleine nature. Pour rendre vos promenades interactives, il y a enfin Mon carnet nature. On peut y noter des informations collectées lors de ses observations, dessiner des spécimens, coller des échantillons… bref, un outil indispensable pour les petits enquêteurs en herbe.


Le guide nature : Les fleurs sauvages. P14-15


📌Le guide nature : Les fleurs sauvages. Salamandre, 112 p. (2019)

Enigmes à tous les étages, T.5. Paul Martin

Enigmes à tous les étages, T.5. Paul Martin



📝Les Enigmes à tous les étages, on ne s’en lasse pas ! Après L’immeuble aux espions (tome 3) et Paris (tome 4), voici Frissons (tome 5). Le plus marrant évidemment ! Une thématique pareille, c’est du bonheur assuré pour les loulous ! Fantômes, zombies, vampires, squelettes… et même des cyborgs. Les lieux sont à l’avenant : manoir hanté, chambre maudite et autres bâtiments horrifiques… Les minots ne sont pas déçus ! Si le principe est toujours le même, les éditions Bayard ont introduit une petite nouveauté par rapport aux volumes précédents. Dorénavant, une jauge avec des têtes de mort indique le niveau de difficulté de chaque enquête, sur une échelle de 1 à 3. Il faut reconnaître que c’est très pratique. 

Pour mémoire, rappelons que chaque ouvrage de la série comporte 12 histoires qui sont autant d’énigmes à résoudre. Les enquêtes sont toutes présentées de la même façon, sur 4 pages, avec une scène centrale qui se dédouble par un astucieux système de pliage. Ce système permet de créer un décor extérieur et un intérieur. Sur la première page, il y a un petit résumé du contexte et des questions auxquelles l’enfant devra répondre au cours de son enquête. Sur les deux pages suivantes, il y a les témoins, victimes et/ou suspects. Sur la quatrième page, enfin, sont présentés des indices qui permettront de résoudre l’énigme. Il faut bien observer les scènes de crimes et lire attentivement les témoignages des différents personnages. 


Enigmes à tous les étages, T.5. Paul Martin. P12


Dans Pas de cerveau pour Frank & Stein, par exemple, les détectives en herbe doivent aider deux savants un peu étourdis à retrouver le cerveau de Jojo, leur créature de laboratoire. Parmi les témoins à interroger, il y a Wendy Straite, Annette Watou, Sammy Jote et Ella Boratoire. Les jeunes lecteurs ont trois indices à leur disposition. En observant bien les différentes pièces du manoir, ainsi que sa façade extérieure, ils devraient faire d’intéressantes découvertes.

Les Enigmes à tous les étages s’adressent aux enfants à partir de 7 ans. Néanmoins, Paul Martin, l’auteur a pensé aux plus jeunes. Il existe donc une série pour les lecteurs un peu plus jeunes intitulée Mes premières énigmes à tous les étages et qui reprend le même principe de jeu. La différence tient d’abord au fait que les lecteurs sont guidés par une petite héroïne appelée Agatha Crispy et qu’il n’y a que 8 enquêtes. Trois volumes sont disponibles à ce jour : Bienvenue à Matouville, Autour du monde et Au pays des contes.


Enigmes à tous les étages, T.5. Paul Martin. P13


📌Enigmes à tous les étages, T.5 :  Frissons. Paul Martin. Bayard, 64 p. (2018)


Terre des oublis. Duong Thu Huong

 Terre des oublis. Duong Thu Huong


L’histoire se déroule quelques années après la guerre du Viêtnam (1955-1975). Bôn, un vétéran, rentre dans son village natal, le Hameau de la Montagne, et demande à voir son épouse. Or, il est parti depuis plus de 14 ans. Il a été porté disparu puis déclaré mort depuis plusieurs années. Sa femme, Miên, s’est remarié avec Trân Quy Hoan, un riche propriétaire terrien dont elle a eu un enfant. Son mari est en voyage d’affaires. Bôn a beaucoup donné à son pays : sa jeunesse, sa santé et ses espoirs de réussite. Face à la pression sociale, Miên n’a d’autre choix que de retourner vivre avec lui. 

La cohabitation est difficile. La jeune femme n’a plus de sentiments pour cet homme usé qu’elle a épousé alors qu’elle n’était qu’une adolescente. Elle ne le connait plus et elle n’arrive pas à oublier sa vie familiale harmonieuse avec Hoan. Ensemble, ils ont construit une belle maison, avec des matériaux rapportés des lointains marchés de Danang et de Saïgon. Ils ont développé des plantations de caféiers et de poivriers. Leur petit garçon, Hanh, est le symbole de cet amour partagé et serein.

Bôn, de son coté, refuse de céder. Il est orphelin. Sa sœur aînée est indigente et a deux enfants à charge qui vivent comme des sauvageons. Ils doivent se partager une masure héritée de leurs parents dans le terrain est infertile. Rentré au bercail bien après la démobilisation de ses camarades, Bôn n’a reçu aucune compensation du gouvernement. L’ancien soldat estime avoir droit à sa part de bonheur. Pendant ses années d’enfer passées dans la jungle, au-delà de la cordillère Truong Son, Bôn a survécu grâce à l’espoir de retrouver Miên qu’il aime follement. 

Hoan, quant à lui, se sent coupable de ne pas avoir été mobilisé et d’avoir prospéré pendant que d’autres faisaient la guerre. Pourtant, il a eu son lot de malheurs aussi. Fils d’un instituteur dont les biens ont été confisqués par le gouvernement, Hoan a grandi au sein d’une famille aimante et dans l’idée que l’honneur est un bien précieux. Destiné à faire de longues études, il a été piégé par une intrigante et contraint d’abandonner ses espoirs d’aller à l’Université pour l’épouser. Son devoir accompli, il s’est réfugié loin de son indésirable épouse, dans un village de pêcheur. Néanmoins, grâce à un coup du destin, il a pu obtenir le divorce avant de rencontrer Miên.

Le roman de Duong Thu Huong est de ceux qui sont longs à digérer. La narration est lente. Les personnages s’expriment à tour de rôle, racontent leurs histoires personnelles et s’expriment sur leurs motivations profondes. Au fil des pages, l’auteur déroule la toile des éléments qui conduiront au dénouement final. C’est une histoire de résilience. 

Duong Thu Huong est née à Thái Bình dans le nord du Vietnam. La terre des oublis s’inspire en partie de son parcours. Grâce à ses résultats scolaires, elle a eu la chance d’aller étudier dans trois pays de l’ancien bloc de l’est (la Bulgarie, l’Allemagne de l’est et l’URSS). A l’âge de 20 ans, la future romancière a décidé d’aller sur le front, à la tête d’une brigade de la jeunesse communiste. Elle a été mariée de force à un combattant qu’elle n’aimait pas mais qui l’adulait. Après la naissance de deux enfants, elle a décidé de divorcer malgré l’opposition de ses parents.  Son parcours de militante et d’écrivain, lui ont valu d’être expulsée du parti communiste vietnamien (en 1989), emprisonnée quelques mois (en 1991) puis placée en résidence surveillée. Son roman Myosotis (1996) n’a pas été publié au Vietnam. L’auteur vit en France depuis 2006. Elle a publié plusieurs autres romans depuis cette date : Au Zénith (2009), Sanctuaire du cœur (2011) et Les Collines d’eucalyptus (2013). Terre des oublis a reçu le grand prix des lectrices de Elle en 2007.

📌Terre des oublis. Duong Thu Huong. Le Livre de Poche, 704 p. (2007)