Sur la Route de Mandalay. Mya Than Tint
Le sous-titre de cet ouvrage, Histoires de gens ordinaires en Birmanie, est plus fidèle à la version originale et rend mieux compte de son contenu. Il ne s’agit pas d’un recueil de nouvelles mais d’une série de chroniques biographiques. Ces textes sont parus, dans un premier temps, en feuilleton dans la revue mensuelle Kalya, avant d’être réunis dans une anthologie. J’imagine que l’éditeur suisse a jugé qu’un titre faisant référence au fameux poème de Rudyard Kipling, Mandalay, attiserait davantage la curiosité du lecteur. Mya Than Tint, quant à lui, précise dans l’introduction, qu’il s’est inspiré des travaux du journaliste américain Studs Terkel, en particuliers Working, histoires orales du travail aux Etats-Unis (Amsterdam, 2006) et Hard times : Histoires orales de la Grande Dépression (Amsterdam, 2009), pour les traductions françaises.
Chaque entretien débute de la même façon. Mya Than Tint explique dans quelles circonstances il a fait la connaissance de son interlocuteur et en brosse un bref portrait physique (âge approximatif, taille, vêtements, etc). La suite est semble-t-il une transcription fidèle, à la première personne du singulier, des propos tenus par la personne qu’il a interviewée. Celle-ci raconte généralement toute sa vie depuis son enfance, évoquant notamment sa région d’origine et les membres de sa famille. Elle explique ensuite comment elle a choisi (ou pas) son emploi et donne souvent des explications très techniques sur son métier. L’auteur s’est lui-même plié à l’exercice autobiographique dans une longue introduction.
Si les nombreux interlocuteurs de l’écrivains birman sont presque toujours issus de milieux sociaux très modestes, il y a des hommes et des femmes (quelques enfants et adolescents aussi) de tous âges et de toutes origines géographiques. Plusieurs ethnies sont représentées (Shans, Chins, Karens...) ainsi que les exilés Indiens ou Chinois. Certains sont des citadins, d’autres vivent à la campagne voire dans la jungle ou la mangrove. Il y a 34 portraits classés dans les 6 parties qui composent cette anthologie (Kaleidoscope, Au-delà des lumières de la fête, Les grandes espérances, Garder le cap, Rêves brisés et En quête du refuge). Ce découpage m’a parfois semblé un peu artificiel mais j’imagine qu’il correspond encore à des contraintes éditoriales.
La plupart des entretiens se sont déroulés sur une très courte période (entre 1988 et 1990) mais l’âge des individus étant très variable, les témoignages couvrent une période de plusieurs décennies qui permet d’évoquer une bonne partie de l’histoire birmane contemporaine, dont la colonisation britannique, la seconde guerre mondiale, l’occupation japonaise, l’indépendance, la guerre civile, etc. On apprend beaucoup aussi sur la vie quotidienne des Birmans, le système éducatif, les traditions familiales et culturelles. On est surpris par le nombre incroyable de petits métiers qui ne permettent pas toujours de couvrir les besoins vitaux des familles nombreuses. La pauvreté, l’alcoolisme, la drogue et les conflits familiaux sont à l’origine de beaucoup d’abandons et de morts. Des femmes et des enfants se retrouvent seuls, forcés de trouver des solutions pour survivre. Néanmoins, les Birmans font preuve d’une solidarité collective et d’une capacité de résilience impressionnante.
J’ai été captivée par ces histoires qui sont loin d’être aussi ordinaires que l’annonce le sous-titre du livre. Parmi les interviews qui m’ont le plus marquée, il y a celles d’un Kadu-Kanan (conducteur d’éléphants), de L’hotellière des douze fêtes, du blanchisseur de l’Université de Rangoun, du marin de la rivière Chindwin, d’une nonne bouddhique de Sagaing ou encore de Lady Zéro (la hors-la-loi). Certains destins sont trop dramatiques pour être lus comme des fictions mais le style de l’auteur est fluide et j’ai eu beaucoup de mal à décrocher de son livre. Je comprends parfaitement pourquoi ces portraits ont suscité tant d’engouement en Birmanie. Il a donné voix à tant d’hommes et de femmes qui n’ont jamais eu l’occasion de s’exprimer. Et ils ont beaucoup à dire et à nous apprendre. J’ai craint un moment que cette anthologie ne soit épuisée mais je n’ai finalement pas eu trop de mal à la trouver.
📝Je me suis beaucoup intéressée à la question birmane (et à ses conséquences pour les gens de lettres) depuis le putsch militaire du 1er février 2021 et j’ai consacré deux billets à la littérature (voir ici) et aux auteurs de ce pays (et là).
💪Une lecture dans le cadre du challenge Bonnes nouvelles sur ce blog et de l'activité Lire sur le monde ouvrier et les mondes du travail organisée par Ingannmic.
📌Sur la Route de Mandalay : Histoires de gens ordinaires en Birmanie. Mya Than Tint, traduit par June Ariès. Editions Olizane, 335 pages (1999)
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