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Affichage des articles du septembre, 2022

Les enfants endormis. Anthony Passeron

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Les photos de famille imprimées directement sur la couverture de ce livre donnent le ton. Il s’agit d’un récit personnel. C’est vrai et, en même temps, c’est plus compliqué que cela. Comme il arrive de temps en temps en littérature, la petite histoire rejoint la grande. Anthony Passeron alterne les souvenirs exhumés de son enfance et une chronologie de la recherche sur le SIDA.  Dans toutes les familles ou presque, il y a des secrets. Dans celle d’Anthony Passeron, il s’agit davantage d’un déni concernant le décès de son oncle Désiré, qu’il n’a pratiquement pas connu parce que disparu prématurément "suite à une longue maladie". Nous sommes dans les années 80, la recherche sur le SIDA avance lentement. Dans un premier temps, elle intéresse peu les chercheurs. En 1981, les cas sont rares et concernent une partie marginale de la population (les hommes homosexuels, les toxicomanes et les hémophiles). Les malades sont traités comme des pestiférés et les scientifiques commettent qu

Sous l'eau. Catherine Steadman

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Sous l’eau  ( Something In The Water en V.O.) est le premier roman de Catherine Steadman. La romancière a écrit trois autres thrillers depuis sa parution au Royaume-Uni et dans les pays anglophones: Mr Nobody (Simon & Schuster, 2020), The Disappearing Act (2021) et The Family Game (2022).  Sous l’eau n’est peut-être pas le roman du siècle mais c’est un thriller d’excellente facture. Les différents éléments de l’intrigue s’emboîtent avec une logique implacable. Le but étant de comprendre quel enchaînement d’évènements a conduit à la mort d’un des protagonistes. Car, on le sait dès le début, l’un des personnages principaux n’a pas survécu puisque sa jeune épouse creuse sa tombe discrètement au milieu d’une forêt. Ne faîtes pas de conclusion hâtive pour autant car l’histoire n’est peut-être pas celle que vous imaginez.  Erin, la narratrice est documentariste. Elle prépare un film consacré à trois repris de justice dont la libération est imminente. Son fiancé, Mark, travaille à la

Automne en baie de Somme. Pelaez & Chabert

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Avec cet album, l’expression 9ème art prend tout son sens. Les illustrations, à la manière des représentants de l’Art nouveau comme Alfons Mucha, sont magnifiques. Pour autant, le scénario n’a pas été négligé, bien au contraire. Ce polar historique, émaillé de textes de la féministe Nelly Roussel (1878-1922), est parfaitement ficelé. Philippe Pelaez nous régale même d’expressions familières typiques du 19ème siècle. J’imagine qu’il a fait un sacré travail de recherche. Le titre de l’ouvrage me semble un peu plus énigmatique dans la mesure où l’essentiel de l’intrigue se déroule à Paris. Pas de véritable voyage en Baie de Somme donc mais une formidable immersion dans le Paris de la Belle époque : depuis les salons des grands bourgeois de l’industrie et de la finance, en passant par les ateliers de peintres et les cabarets comme le fameux Lapin agile. Il s’y pressait une population bigarrée constituée d’artistes, d’anarchistes, d’Apaches, de Gavroches et de filles de joie.  En cette péri

Une ville idéale. Jules Verne

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Selon l’Index Translationum , une bibliographie internationale publiée par l’UNESCO, Jules Verne figure parmi les cinq auteurs les plus traduits, juste après Agatha Christie. Viennent ensuite William Shakespeare, Enid Blyton et Barbara Cartland. D’aucuns affirment que ses romans auraient été traduits dans 150 à 200 langues. En 2005, Garmt de Vries, un collectionneur hollandais, a tenté de répertorier toutes les traductions des œuvres de Jules Verne. Il a rassemblé 4418 titres en 73 langues différentes (dont afrikaans, bengali, coréen, estonien, féroïen, gallois, goudjrati, hébreu, hongrois, indonésien, irlandais, islandais, italien, japonais, …) Une ville idéale : Amiens en l’an 2000 , nouvelle méconnue de Jules Verne, est en réalité un discours qu’il a prononcé, devant ses pairs, à l’académie des Lettres, Sciences et Arts d’Amiens dont il est devenu le directeur pour une durée d’un an. Il le sera à nouveau en 1881. Le document est paru une première fois en 1875.  A la veille de l’an 2

Les Cahiers Russes. Igort

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Cet album est paru en 2012 mais il a une résonnance particulière en cette période de conflit entre la Russie et l’Ukraine.  Une décennie est passée mais presque rien n’a changé. Une guerre a chassé l’autre et, après le bref intermède Dmitri Medvedev, Vladimir Poutine est de nouveau à la tête de la Fédération de Russie. Ce second volet du diptyque consacré à l’ex-URSS, après Les Cahiers Ukrainiens , peut parfaitement se lire comme un one-shot. On y retrouve la patte d’Igort, un kaléidoscope de témoignages, extraits de documents d’archives, interviews, dessins pleine-page, planches composées de plusieurs cases, etc. Le fil conducteur de cette BD-reportage est l’assassinat de la journaliste moscovite Anna Politkovskaïa le 7 octobre 2006, dans l’ascenseur d’un immeuble au numéro 8 de la rue Lesnaïa Oulitsa. Grand reporter pour le journal indépendant Novaïa Gazeta , elle dénonçait les dérives de l’armée russe pendant les guerres en Tchétchénie (de 1994 à 1996 et de 1999 à 2009). Elle s’est

Tenir sa langue. Polina Panassenko

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Autant le dire tout de suite, Tenir sa langue de Polina Panassenko est l’un de mes coups de cœur de la rentrée littéraire 2022. A l’origine de cette autobiographie truculente, il y a une quête plus linguistique qu’identitaire. La narratrice, dont le prénom a été francisé à son arrivée dans l’Hexagone, est confrontée à de nombreux déboires administratifs pour en retrouver l’orthographe et la consonnance d’origine. Pauline, c’est le prénom que son père a inscrit sur les documents officiels français, celui de l’extérieur. A la maison, ses parents et sa sœur l’appellent toujours par la version russe : Polina. Or, ce prénom est un héritage. C’était celui de sa grand-mère juive, Pessah, qui l’avait russisé en 1954 après avoir fuir les pogroms en Ukraine. Les allers-retours de l’auteur au tribunal administratif sont autant d’occasions de revenir sur ses souvenirs d’enfance : la vie quotidienne en URSS puis en Russie, l’arrivée de sa famille à Saint-Etienne et les étés à la datcha avec les gr

Au nord du nord. Peter Geye

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  Le nord, je vois ce que c’est. Mais le nord du nord ? J’imagine une terre de confins, où le climat est rude et où la nature commande toujours à l’homme. Dans le roman de Peter Geye, cette terre inhospitalière est située aux large de la côte septentrionale de la Norvège (le nom du pays venant de l’expression "chemin du nord" selon les étymologistes) dans l’archipel du Svalbard (ce territoire s’est appelé Spitzberg jusqu’en 1920. De nos jours, le toponyme Spitzberg désigne une seule de ses îles). En 1897, l’un des héros de ce livre s’embarque sur un phoquier en partance pour le cercle arctique avec l’espoir de faire fortune. Lorsqu’il quitte le petit port d’Hammerfest, Odd Einar Eide n’est qu’un pêcheur lambda. Cent ans plus tard, il est considéré comme une légende locale, un héros ayant survécu 15 jours dans le froid tandis que son compagnon d’infortune avait péri sous les griffes d’un ours. En 2017, Greta Nansen, son arrière-arrière-arrière-petite-fille installé à Gunfl

Dernière nuit à Soho. Fiona Mozley

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Au cœur de ce roman, il y a Soho, quartier emblématique londonien, pendant de notre Pigalle parisien. C’est un quartier populaire animé, plébiscité pour ses lieux de plaisirs : restaurants cosmopolites, pubs typiques, bars gays, salles de spectacle et sex-shops. Marginaux et bobos s’y croisent à toutes heures du jour et de la nuit.  Comme la plupart des quartiers du centre de Londres, Soho attire aussi la convoitise des spéculateurs immobiliers. Agatha Howard, jeune héritière très déterminée est l’une d’entre eux. Elle est propriétaire d’un immeuble du 17ème siècle, occupée par une communauté de prostituées indépendantes. Précious, et sa compagne Tabitha, font partie des locataires. Elles sont très attachées à leur petit appartement (qui est aussi leur lieu de travail) bénéficiant d’un jardin sur les toits. C’est dire si elles ne se laisseront pas expulser facilement ! Elles parviennent d’ailleurs à fédérer les autres travailleuses du sexe, à monopoliser l’opinion publique et à attirer

Les cahiers ukrainiens. Igort

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Entre 2008 et 2009, Igort séjourne en Ukraine, le pays d’origine de sa famille, avec l’idée de réaliser une BD documentaire sur la période communiste et les années qui ont suivi la dislocation de l’URSS.  Le dessinateur italien se rend d’abord à Dnipropetrovsk (aujourd’hui Dnipro en ukrainien ou Dniepr en Russe) dont l’agglomération compte plus d’un million d’habitants. Ceux-ci la surnomment Rocket City. C’est ici, en effet, que les soviétiques fabriquaient les missiles durant la guerre froide. Aujourd’hui, la ville est le toujours le siège du Bureau d'études Ioujnoïe qui produit des satellites et des missiles balistiques. Il est associé à la société Ioujmach qui fabrique notamment des lanceurs et des fusées. L’illustrateur constate que l’eau de cette ville est impropre à la consommation mais personne ne se risque à le dire clairement ni à en donner les véritables raisons. Igort rapporte plusieurs anecdotes comme celle-ci dont une concerne Enerhodar (Energodar en russe), la ville q

Bangalore. Simon Lamouret

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Au premier abord, cette bande dessinée est un peu déconcertante. La quatrième de couverture nous apprend que son auteur déambule dans les rues de Bangalore où il croque le paysage urbain et ses habitants. Nous suivrons donc son alter égo de papier à travers les rues de la ville indienne mais nous n’en saurons guère plus sur ses motivations, si ce n’est qu’il s’agit d’un séjour dans le cadre professionnel. Il faudra googleliser l’illustrateur pour savoir qu’il a vécu 4 ans à Bangalore où il a enseigné le dessin. Il a attendu encore 2 ans pour écrire les premières lignes de texte, s’assurant la distance nécessaire avec l’objet de ses observations. La construction de la bande-dessinée est également un peu surprenante. Des planches comportant jusqu'à 16 cases alternent régulièrement avec des illustrations en doubles-pages. Les dessins changent très peu d’une case à l’autre : juste un bras ou une jambe qui se déplace, par exemple. Ce montage n’est pas sans rappeler ceux des dessins-anim