Les enfants endormis. Anthony Passeron

Les enfants endormis. Anthony Passeron



Les photos de famille imprimées directement sur la couverture de ce livre donnent le ton. Il s’agit d’un récit personnel. C’est vrai et, en même temps, c’est plus compliqué que cela. Comme il arrive de temps en temps en littérature, la petite histoire rejoint la grande. Anthony Passeron alterne les souvenirs exhumés de son enfance et une chronologie de la recherche sur le SIDA. 

Dans toutes les familles ou presque, il y a des secrets. Dans celle d’Anthony Passeron, il s’agit davantage d’un déni concernant le décès de son oncle Désiré, qu’il n’a pratiquement pas connu parce que disparu prématurément "suite à une longue maladie". Nous sommes dans les années 80, la recherche sur le SIDA avance lentement. Dans un premier temps, elle intéresse peu les chercheurs. En 1981, les cas sont rares et concernent une partie marginale de la population (les hommes homosexuels, les toxicomanes et les hémophiles). Les malades sont traités comme des pestiférés et les scientifiques commettent quelques erreurs de communication. Il faut identifier la maladie et isoler le virus. Les techniques sont couteuses et laborieuses alors il faut inventer de nouveaux protocoles. Désiré, lui, se drogue déjà depuis quelques années, victime des réseaux de la French Connection. Les enfants endormis, c’est ainsi qu’on désigne tous ses jeunes qui tombent dans un état comateux après un shoot d’héroïne. Une métaphore pour s’extraire d’une réalité trop insupportable. Les grands-parents de l’auteur sont parmi ceux qui préfèrent se voiler la face. Leur fils aîné et préféré, si drôle, si intelligent, le seul à avoir obtenu le baccalauréat, ne peut pas être un toxicomane. Il ne peut pas avoir contracté le SIDA non plus. Ils sont de la vieille école. Ils ont travaillé avec acharnement pour devenir des gens respectés, des notables même dans leur petite ville de l’arrière-pays niçois. 

C’est surtout la curiosité qui m’a poussée à ouvrir ce livre. Le sujet me faisait craindre une lecture un peu rébarbative. Je me trompais. En fait, l’ouvrage se lit d’une traite. La partie consacrée à l’histoire familiale d’Anthony Passeron est bien-sûr très émouvante mais aussi instructive. Il parle d’une époque que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, comme dit la chanson (ni ceux de 30 ans d’ailleurs). Il évoque notamment l’ascension économique et sociale de ses grands-parents, propriétaire d’une boucherie familiale. Les chapitres dédiés à la recherche scientifique sont tout aussi passionnants (même s’il faut parfois rester bien concentré). Je comprends parfaitement l’engouement que ce livre a pu susciter et je dois dire que je le partage complètement. 

📌Les enfants endormis. Anthony Passeron. Globe, 288 p. (2022)


Sous l'eau. Catherine Steadman

Sous l'eau. Catherine Steadman


Sous l’eau (Something In The Water en V.O.) est le premier roman de Catherine Steadman. La romancière a écrit trois autres thrillers depuis sa parution au Royaume-Uni et dans les pays anglophones: Mr Nobody (Simon & Schuster, 2020), The Disappearing Act (2021) et The Family Game (2022). 

Sous l’eau n’est peut-être pas le roman du siècle mais c’est un thriller d’excellente facture. Les différents éléments de l’intrigue s’emboîtent avec une logique implacable. Le but étant de comprendre quel enchaînement d’évènements a conduit à la mort d’un des protagonistes. Car, on le sait dès le début, l’un des personnages principaux n’a pas survécu puisque sa jeune épouse creuse sa tombe discrètement au milieu d’une forêt. Ne faîtes pas de conclusion hâtive pour autant car l’histoire n’est peut-être pas celle que vous imaginez. 

Erin, la narratrice est documentariste. Elle prépare un film consacré à trois repris de justice dont la libération est imminente. Son fiancé, Mark, travaille à la City et a vaillamment échappé à la crise financière avant qu’un collègue ne commette une indiscrétion. Mark a été renvoyé parce qu’il cherchait un emploi ailleurs. Il ignore alors qu’une longue période de chômage débute pour lui. Or Erin et Mark doivent se marier. Ils ont déjà réservé la noce dans un restaurant ultra chic de Londres et prévu une lune de miel à Bora-Bora. Après avoir revu le repas de mariage à la baisse, ils décident en revanche de maintenir le voyage en Polynésie française. C’est dans ce lieu paradisiaque, lors d’une séance de plongée sous-marine en amoureux, que leur vie va basculer.  

On a la sensation que rien n’est laissé au hasard dans ce polar. Tout est parfaitement tangible et cohérent. Qu’aurais-je fait à leur place ? C’est la question qui titille chaque lecteur. Et c’est tout l’intérêt de ce thriller : savoir si des citoyens lambda, dans certaines circonstances, seraient prêts à franchir la ligne rouge. Et si oui, jusqu’où pourraient-ils aller ? Quelle avalanche de catastrophes pourraient-ils déclencher ? Après tout, il existe sur Internet, des tutoriaux qui permettent de faire face aux situations les plus improbables… comme creuser une tombe assez profonde pour éviter qu’un corps ne remonte à la surface.

📌 Sous l'eau. Catherine Steadman. Editions Les Escales, 432 p. (2022)


Automne en baie de Somme. Pelaez & Chabert

Automne en baie de Somme. Pelaez & Chabert


Avec cet album, l’expression 9ème art prend tout son sens. Les illustrations, à la manière des représentants de l’Art nouveau comme Alfons Mucha, sont magnifiques. Pour autant, le scénario n’a pas été négligé, bien au contraire. Ce polar historique, émaillé de textes de la féministe Nelly Roussel (1878-1922), est parfaitement ficelé. Philippe Pelaez nous régale même d’expressions familières typiques du 19ème siècle. J’imagine qu’il a fait un sacré travail de recherche. Le titre de l’ouvrage me semble un peu plus énigmatique dans la mesure où l’essentiel de l’intrigue se déroule à Paris. Pas de véritable voyage en Baie de Somme donc mais une formidable immersion dans le Paris de la Belle époque : depuis les salons des grands bourgeois de l’industrie et de la finance, en passant par les ateliers de peintres et les cabarets comme le fameux Lapin agile. Il s’y pressait une population bigarrée constituée d’artistes, d’anarchistes, d’Apaches, de Gavroches et de filles de joie. 


Automne en baie de Somme. Pelaez & Chabert . Pages 4 et 5

En cette période automnale de l’année 1896, une goélette vient s’échouer sur une plage de la Baie de Somme. Sur le pont, il y a un mort. Il s’agit d’Alexandre de Breucq, riche capitaine des forges du même nom, domicilié à Paris. On dépêche un policier de la capitale, Amaury Broyan, pour enquêter. Car il s’agit bien d’un meurtre. Notre victime a été empoissonnée et son assassin l’a regardé se vider de son sang jusqu’à ce que le bateau arrive sur la grève.  Parallèlement à ses investigations, notre détective même une quête personnelle en rapport avec la mort de sa fille. Elle le conduit dans les bas-fonds de la ville. 

Les illustrations d’Alexis Chabert rendent bien compte de l’atmosphère des différents univers. On note une prédominance des marrons, des verts et des bleus tandis que le trait s’appuie sur des lignes courbes, emblématiques de l’esthétisme de la fin du 19ème et du début du 20ème siècles. Je suppose, qu’à l’instar de son co-auteur, Alexis Chabert a dû fouiller dans les archives parisiennes pour retrouver des gravures et des vieux plans de la capitale. Il précise, dans une note à la fin de l’ouvrage, que les histoires et les descriptions de son arrière-grand-mère parisienne l’ont beaucoup inspiré. Ses représentations des grands boulevards et de Montmartre, en particuliers, sont saisissantes. 


Automne en baie de Somme. Pelaez & Chabert . Pages 8 et 9

Mucha fait une apparition dans l’intrigue, comme un clin d’œil des auteurs à son travail d’artiste. Les quelques pages dédiées à la baie de Somme, nous rappellent à quel point ses paysages marins et estuariens ont inspiré les peintres du 19ème siècle (Jules-Désiré Caudron, Francis Tattegrain, Georges Bilhaut…).

Philippe Pelaez et Alexis Chabert rendent aussi un bel hommage à Nelly Roussel dont il cite plusieurs extraits de son essai intitulé Quelques lances rompues pour nos libertés. Mariée avec le sculpteur Henri Godet, révolutionnaire et militante néomalthusienne, elle fût l’une des premières intellectuelles à revendiquer publiquement le droit des femmes à disposer de leurs corps et à prôner une politique de contrôle des naissances. 


Automne en baie de Somme. Pelaez & Chabert . Pages 30 et 31

Cet album est un one-shot, ce qui est parfait car personne ne veut attendre plusieurs mois voire plusieurs années pour connaître la solution d’une intrigue policière. En revanche, je ne serais pas contre le fait de retrouver l’inspecteur Broyan et son ami journaliste dans une autre enquête. 

📌Automne en baie de Somme. Philippe Pelaez (scénario) et Alexis Chabert (dessins et couleurs). Grand Angle / Bamboo Édition, 64 p. (2022)


Une ville idéale. Jules Verne

Selon l’Index Translationum, une bibliographie internationale publiée par l’UNESCO, Jules Verne figure parmi les cinq auteurs les plus traduits, juste après Agatha Christie. Viennent ensuite William Shakespeare, Enid Blyton et Barbara Cartland. D’aucuns affirment que ses romans auraient été traduits dans 150 à 200 langues. En 2005, Garmt de Vries, un collectionneur hollandais, a tenté de répertorier toutes les traductions des œuvres de Jules Verne. Il a rassemblé 4418 titres en 73 langues différentes (dont afrikaans, bengali, coréen, estonien, féroïen, gallois, goudjrati, hébreu, hongrois, indonésien, irlandais, islandais, italien, japonais, …)

Une ville idéale : Amiens en l’an 2000, nouvelle méconnue de Jules Verne, est en réalité un discours qu’il a prononcé, devant ses pairs, à l’académie des Lettres, Sciences et Arts d’Amiens dont il est devenu le directeur pour une durée d’un an. Il le sera à nouveau en 1881. Le document est paru une première fois en 1875.  A la veille de l’an 2000, Le Centre international Jules Verne a décidé de rééditer le texte initial, annotée par l’historien du livre Daniel Compère et illustrée par les étudiants de l’École supérieure d’art et de design d’Amiens. Il est désormais disponible en version numérique sur le site Internet du CIDJ

Si l’auteur de Cinq semaines en ballon (Hetzel, 1863), du Voyage au centre de la Terre (Hetzel, 1864), de Vingt Mille Lieues sous les mers (Magasin d’éducation et de récréation, 1869) et du Tour du monde en quatre-vingts jours (Le Temps, 1872) est né à Nantes, il a vécu plus de 30 ans à Amiens. Il a même siégé au conseil municipal, sur la liste républicaine (gauche modérée) conduite par Frédéric Petit, entre 1888 et 1904. C’est dire s’il connait bien la ville ! 


Parcours Aronnax Square Montplaisir-Joffre @DoudouMatous

Lors de cette fameuse séance publique du 12 décembre 1875 à l’Académie, Jules Verne annonce qu’il a remplacé son discours par le récit d’une aventure personnelle, un rêve qu’il aurait fait suite au discours d’un collègue évoquant la "petite Venise du Nord", ainsi surnommée pour ses canaux et jardins flottants (les Hortillonnages). Il s’agit en fait d’un stratagème de l’écrivain pour critiquer sa ville d’adoption dans laquelle il s’imagine déambuler en l’an 2000. Le texte est une sorte d’impression en négatif ou un miroir inversé de la capitale picarde.  Jules Verne raconte comment, croyant se réveiller un matin, il parcourt la ville durant toute une journée. Or, il constate au fur et à mesure de sa promenade que sa cité d’adoption a bien changé.  « Je regardai. Une chaussée, pavée en cube de porphyre, coupait transversalement la promenade ! Quel changement ! Ce coin d’Amiens ne méritait-il donc plus le nom de « petite Lutèce » ? Comment ! on y pourrait passer, les jours de pluie, sans s’embourber jusqu’au mollet ? On n’y pataugerait plus dans cette boue argileuse, si détestée des indigènes d’Henriville ? (…) Et ce n’était pas tout ! Les boulevards, ce jour-là, avaient été arrosés à une heure judicieusement choisie – ni trop tôt, ni trop tard – ce qui ne permettait ni à la poussière de se faire, ni à l’eau de se répandre, au moment où affluaient les promeneurs ! Et les contre-allées, bitumées comme celles des Champs-Élysées de Paris, présentaient un sol agréable au pied ! Et il y avait de doubles bancs à dossier, entre chaque arbre ! Et ces bancs n’étaient pas contaminés par le sans-façon des enfants et le sans-gêne des nourrices ! Et, de dix pas en dix pas, des candélabres de bronze portaient leurs élégantes lanternes jusque dans le feuillage des tilleuls et des marronniers ! « Seigneur ! m’écriai-je, si ces belles promenades sont maintenant aussi bien éclairées qu’elles sont bien entretenues, si quelques étoiles de première grandeur brillent à la place de ces lumignons jaunâtres du gaz d’autrefois, tout est pour le mieux dans la meilleure des villes possible ! »

La maison de Jules Verne au 2 rue Charles Dubois à Amiens @DoudouMatous
L’itinéraire imaginaire de l’écrivain, part du 44 boulevard de Longueville (aujourd’hui boulevard Jules Verne), sa demeure située dans le quartier bourgeois d’Henriville. Il longe les boulevards (actuel Mail Albert 1er) et arrive Place Longueville, une esplanade se tenant sur l’ancien bastion. A cette endroit se dressera (à son initiative) le futur cirque municipal permanent. Mais, il ne le sait pas encore car le bâtiment ne sera construit qu’en 1889. Pour l’heure, l’écrivain y voit une oasis constituée d’un bassin d’eau potable et d’un tapis de verdure formé d’arbres et de massifs de fleurs. Il a néanmoins une vision approximative du bâtiment, un peu plus loin, rue des Rabuissons : « En tout cas, à gauche, se dressait un vaste monument de forme hexagonale, avec une superbe entrée. C’était à la fois un cirque et une salle de concert, assez grande pour permettre à l’Orphéon, à la Société Philharmonique, à l’Harmonie, à l’Union chorale, à l’Harmonie de la Neuville, à la Lyre Amicale, à la Fanfare du Faubourg de Beauvais et à la Fanfare municipale des Sapeurs-Pompiers volontaires, d’y fusionner leurs accords. » L’un des vœux de Jules Verne sera donc exaucé ! 

Le romancier poursuit son chemin passant devant le tout nouveau Musée (inauguré en 1867 en présence de Napoléon III), puis l’hôtel du conseil général et celui de la préfecture (dans l’actuelle rue de la République). Il se dirige ensuite vers le centre-ville et le Rue des 3 Cailloux (qui porte toujours ce nom). Il passe devant le théâtre, qui a été inauguré le 21 janvier 1780, et qui, à l’exception de la façade, sera pratiquement détruit suite aux bombardements de mai 1940. « Puis, lorsque je tournai le dos au théâtre, au coin de la rue des Corps-nuds-sans-Tête, un magasin éblouissant attira mes regards. Devanture en bois sculpté, glaces de Venise protégeant un étalage splendide, des bibelots de grands prix, des cuivres, des émaux, des tapisseries, des faïences qui me parurent absolument modernes, quoiqu’elles fussent exposées là comme des produits de la plus vénérable antiquité. Ce magasin était un musée véritable, tenu avec une propreté flamande, sans une seule toile d’araignée à ses vitrines, sans un seul grain de poussière sur son parquet. » 

Plaque à l'entrée de la Maison de la Tour @DoudouMatous
Jules Verne évoque quasiment tous les lieux emblématiques d’Amiens tel le Palais de justice (qui en 1871 était entre deux campagnes de construction) et qu’il imagine entièrement terminé. Un passage de son texte est bien-sûr dédié à la cathédrale : « Je jetai un regard oblique sur la cathédrale... Le clocheton de l’aile droite était réparé, et la croix de l’immense flèche autrefois courbée sous les rafales de l’ouest, se redressait avec la rectitude d’un paratonnerre ! Je me précipitai sur la place du parvis !... Ce n’était plus un étroit cul de sac, avec de hideuses masures mais une place large, profonde, régulière, bordée de belles maisons, et qui permettait de mettre à son point le superbe spécimen de l’art gothique au XIIIe siècle. » 

Les habitants d’Amiens s’amuseront sans doute devant l’extase feinte de jules Verne découvrant les lignes de tramway dans sa cité d’adoption. Celui-ci a effectivement fonctionné de 1888 à 1940, c’est-à-dire plus d’une décennie après la parution de ce texte. « C’était une voiture de tramway. Je n’avais pas encore remarqué que des rails en acier sillonnaient les rues de la ville, et, faut-il l’avouer, je trouvais cette nouveauté toute naturelle, bien qu’hier il ne fût pas plus question de tramways que d’omnibus ! » Lors de la Bataille de France, le dépôt de Saint-Acheul et la totalité des motrices seront détruites. En remplacement de l’ancien tramway, un réseau de trolleybus a été mis en service en 1946 et a perduré jusqu’en 1964. En 2010, la Communauté d'agglomération Amiens Métropole a engagé des études en vue de la constitution d'un réseau de transport en commun en site propre. A la suite des élections de 2014, le projet de lignes de tramway a été définitivement abandonné au profit du bus à haut niveau de service (BHNS) fonctionnant à l’électricité. Il sera finalement mis en service le 11 mai 2019. 

La ville idéale de l’an 2000, telle que Jules Verne l’imagine, n’est pas qu’une succession d’infrastructures et d’avancées technologiques. Elle implique une évolution de la société urbaine. « Oui ! tout était changé en ce monde ! Tout avait suivi la voie du progrès ! Idées, mœurs, industrie, commerce, agriculture, tout s’était modifié ! »  Et plus loin de conclure : « Tout cela n’était qu’un rêve ! Quelques savants bien informés affirment que les songes, même ceux qui nous paraissent se prolonger pendant toute une longue nuit, ne durent en réalité que quelques secondes. Puisse vous sembler telle, Mesdames et Messieurs, cette promenade idéale que, sous une forme trop fantaisiste peut-être, je viens de faire en rêve dans la ville d’Amiens... en l’an 2000. »


Monument du Square Jules Verne à Amiens @DoudouMatous


💪Cette lecture s’inscrit dans le cadre des rendez-vous en ville du mois de septembre, lectures thématiques, organisées par Ingannmic et Athalie. Le texte intégral de La cité idéale de Jules Verne peut être téléchargé librement ici ou

📝Pour faire un tour à Amiens, dans les pas de Jules Verne, c'est par ici

📌Une ville idéale : Amiens en l’an 2000. Jules Verne. Editions CDJV, 70 p. (1999)



Les Cahiers Russes. Igort

Les Cahiers Russes. Igort


Cet album est paru en 2012 mais il a une résonnance particulière en cette période de conflit entre la Russie et l’Ukraine.  Une décennie est passée mais presque rien n’a changé. Une guerre a chassé l’autre et, après le bref intermède Dmitri Medvedev, Vladimir Poutine est de nouveau à la tête de la Fédération de Russie.

📝Ce second volet du diptyque consacré à l’ex-URSS, après Les Cahiers Ukrainiens, peut parfaitement se lire comme un one-shot. On y retrouve la patte d’Igort, un kaléidoscope de témoignages, extraits de documents d’archives, interviews, dessins pleine-page, planches composées de plusieurs cases, etc. Le fil conducteur de cette BD-reportage est l’assassinat de la journaliste moscovite Anna Politkovskaïa le 7 octobre 2006, dans l’ascenseur d’un immeuble au numéro 8 de la rue Lesnaïa Oulitsa. Grand reporter pour le journal indépendant Novaïa Gazeta, elle dénonçait les dérives de l’armée russe pendant les guerres en Tchétchénie (de 1994 à 1996 et de 1999 à 2009). Elle s’est rendu plusieurs fois sur le terrain, en particuliers dans des camps de réfugiés au Daghestan et en en Ingouchie, pour recueillir les témoignages des victimes et de leurs familles. Elle a joué un rôle dans les négociations avec les membres d’un commando tchétchène lors de la prise d’otages au Théâtre de Doubrovka le 23 octobre 2002 qui s’est soldé par l’assaut des forces de l’ordre et un bilan tragique (170 morts et plus de 700 blessés). 


Les Cahiers Russes. Igort. Pages 18 et 19

Igort s’est entretenu longuement avec Galia Ackerman, amie et traductrice d'Anna Politkovskaïa en France. En Russie, il a collecté de nombreux témoignages sur la guerre en Tchétchénie, interrogeant des victimes dans les deux camps. Il évoque aussi brièvement la prise d’otages de l’école de Beslan en Ossétie du Nord et l’empoissonnement d'Anna Politkovskaïa qui devait s’y rendre en qualité de médiatrice. 

Le 19 janvier 2009, alors qu’Igort se trouve à Moscou, Stanislav Makerlov, l’avocat de Novaïa Gazeta, spécialiste des droits de l'homme, est tué d’une balle dans la tête. Il sortait d’une conférence de presse, accompagné d’une stagiaire, Anastasia Babourova. Elle est abattue à son tour après avoir tenté de porter secours à son collègue. 


Les Cahiers Russes. Igort. Pages 31

Igort, on le sent à chaque page, est très investi dans son travail de reconstitution. Raconter et dessiner l’indescriptible ce n’est pas facile et ce n’est pas anodin. Les illustrations saisissantes du dessinateur italien rapportent des faits au-delà du supportable. L'organisation Amnesty International, qui défend les droits de l'homme dans le monde entier, s'est associée à cet ouvrage. 

L’enquête concernant la mort d’Anna Politkovskaïa a trouvé sa conclusion après le retour d’Igort en Italie et la parution de son album. Elle a donné lieu à plusieurs procès. Celui qui s’est tenu de novembre 2008 à février 2009 a conduit à l’acquittement des principaux suspects : Deux frères tchétchènes, Djabraïl et Ibragui Makhmoudov, ainsi que l'ancien policier Sergueï Khadjikourbanov. En décembre 2012, l'ex- lieutenant-colonel Dmitri Pavlioutchenkov a été condamné à 11 ans de camp par un tribunal militaire de Moscou pour avoir orchestré l'assassinat d'Anna Politkovskaïa mais Les commanditaires sont restés inconnus. Le journal Novaïa Gazeta, soupçonnent des dignitaires tchétchènes liés au clan de l'actuelpPrésident de la république tchétchène Ramzan Kadyrov. En juillet 2018, enfin, la Cour européenne des droits de l'homme a condamné la Russie sur différents points concernant l'enquête sur l’assassinat d’Anna Politkovskaïa.


Les Cahiers Russes. Igort. Pages 60 et 61

📌Les Cahiers Russes. La guerre oubliée du Caucase. Igort. Futuropolis, 176 p. (2012)


Tenir sa langue. Polina Panassenko

Tenir sa langue. Polina Panassenko



Autant le dire tout de suite, Tenir sa langue de Polina Panassenko est l’un de mes coups de cœur de la rentrée littéraire 2022. A l’origine de cette autobiographie truculente, il y a une quête plus linguistique qu’identitaire. La narratrice, dont le prénom a été francisé à son arrivée dans l’Hexagone, est confrontée à de nombreux déboires administratifs pour en retrouver l’orthographe et la consonnance d’origine. Pauline, c’est le prénom que son père a inscrit sur les documents officiels français, celui de l’extérieur. A la maison, ses parents et sa sœur l’appellent toujours par la version russe : Polina. Or, ce prénom est un héritage. C’était celui de sa grand-mère juive, Pessah, qui l’avait russisé en 1954 après avoir fuir les pogroms en Ukraine. Les allers-retours de l’auteur au tribunal administratif sont autant d’occasions de revenir sur ses souvenirs d’enfance : la vie quotidienne en URSS puis en Russie, l’arrivée de sa famille à Saint-Etienne et les étés à la datcha avec les grands-parents restés au pays. Les questionnements de la narratrice sur sa langue maternelle se confrontent à sa culture d’adoption. Ils auront sans doute une résonnance particulière pour ceux qui, un jour, ont connu l’exil. La force de Polina Panassenko est d’aborder ces thématiques à hauteur d’enfant. J’ai pensé parfois à La gloire de mon père de Marcel Pagnol plutôt qu’au récit d’Enfance de Nathalie Sarraute. Les anecdotes se succèdent, sans masquer une réalité parfois difficile. Elles interpellent, émeuvent ou amusent le lecteur. J’ignore s’il existe une âme russe mais j’ai apprécié chez Polina Panassenko cet humour ravageur (y compris et surtout en terrain hostile) qui n’exclut pas l’auto-dérision. 

Extrait : 

« Russe. Français. Russe. Français. Sentinelle de la langue, elle veille au poste frontière. Pas de mélange. Elle traque les fugitifs français hébergés par mon russe. Ils passent dos courbé, tête dans les épaules, se glissent sous la barrière. Ils s’installent avec les russes, parfois même copulent, jusqu’à ce que ma mère les attrape. En général, ils se piègent eux-mêmes. Il suffit que je convoque un mot russe et qu’un français accoure en même temps que lui. Vu ! Ma mère les saisit et les décortique comme les crevettes surgelées d’Ochane-Santr’Dieu. On ne dit pas garovatsia. On dit parkovatsia ou garer la voiture. La prochaine fois que garovatsia arrive je lui dit non, pousse-toi, laisse passer parkovatsia. On ne dit pas mangévatsia, on dit stolovatsia ou manger. Attention. » 

📚D'autres avis que le mien chez Keisha, Luocine et Anne-Yes

📌Tenir sa langue. Polina Panassenko. Editions de L’olivier, 192 p. (2022)


Au nord du nord. Peter Geye

 


Le nord, je vois ce que c’est. Mais le nord du nord ? J’imagine une terre de confins, où le climat est rude et où la nature commande toujours à l’homme. Dans le roman de Peter Geye, cette terre inhospitalière est située aux large de la côte septentrionale de la Norvège (le nom du pays venant de l’expression "chemin du nord" selon les étymologistes) dans l’archipel du Svalbard (ce territoire s’est appelé Spitzberg jusqu’en 1920. De nos jours, le toponyme Spitzberg désigne une seule de ses îles).

En 1897, l’un des héros de ce livre s’embarque sur un phoquier en partance pour le cercle arctique avec l’espoir de faire fortune. Lorsqu’il quitte le petit port d’Hammerfest, Odd Einar Eide n’est qu’un pêcheur lambda. Cent ans plus tard, il est considéré comme une légende locale, un héros ayant survécu 15 jours dans le froid tandis que son compagnon d’infortune avait péri sous les griffes d’un ours. En 2017, Greta Nansen, son arrière-arrière-arrière-petite-fille installé à Gunflint dans le Minnesota, découvre le récit de cette odyssée alors qu’elle-même vit une période difficile de son existence. Les récits de ces deux protagonistes alternent de chapitre en chapitre, leurs voix finissant par se mêler dans une quête commune vers le bonheur où il est question d’amour et de désamour, pour l’une, de religion et de perte de la foi, pour l’autre.

Peter Geye signe un beau roman introspectif, un peu âpre qui, sous certains aspects, n’est pas sans rappeler l’univers et les thématiques du réalisateur suédois Ingmar Bergman. On pense, par ailleurs, à Nœuds et Dénouement, le roman d’Annie Proulx, dont le héros retourne au pays de leurs ancêtres, pêcheurs à Terre Neuve. Au nord du nord s’inscrit dans une trilogie, véritable saga familiale, qui s’appuie sur l’arbre généalogique des Eide. Néanmoins, chaque livre de la série peut être lu indépendamment. Le deuxième volet, L'Homme de l'hiver, est paru chez Actes Sud en 2017 puis en format poche chez Rivages (308 p., 2022). Le premier volume, The Lighthouse Road a été publié aux États-Unis en 2012 mais non traduit en français à ce jour.

📌Au nord du nord. Peter Geye. Rivages, 486 p. (2022)

Dernière nuit à Soho. Fiona Mozley

Dernière nuit à Soho. Fiona Mozley



Au cœur de ce roman, il y a Soho, quartier emblématique londonien, pendant de notre Pigalle parisien. C’est un quartier populaire animé, plébiscité pour ses lieux de plaisirs : restaurants cosmopolites, pubs typiques, bars gays, salles de spectacle et sex-shops. Marginaux et bobos s’y croisent à toutes heures du jour et de la nuit.  Comme la plupart des quartiers du centre de Londres, Soho attire aussi la convoitise des spéculateurs immobiliers. Agatha Howard, jeune héritière très déterminée est l’une d’entre eux. Elle est propriétaire d’un immeuble du 17ème siècle, occupée par une communauté de prostituées indépendantes. Précious, et sa compagne Tabitha, font partie des locataires. Elles sont très attachées à leur petit appartement (qui est aussi leur lieu de travail) bénéficiant d’un jardin sur les toits. C’est dire si elles ne se laisseront pas expulser facilement ! Elles parviennent d’ailleurs à fédérer les autres travailleuses du sexe, à monopoliser l’opinion publique et à attirer l’attention des médias. Autour d’elles, dans un triangle formé par leur immeuble, le restaurant français Des Sables et un vieux pub appelé l’Aphra Behn, gravitent plusieurs personnages hauts en couleurs. Il y a Robert, ex-malfrat et pilier de bar, son ami Lorenzo, jeune comédien homosexuel, et puis un jeune couple de bobos sortis de Cambridge, ainsi qu’un groupe de SDF et de drogués sous influence sectaire… Mais pour moi, le personnage le plus important est justement celui qui semble le plus insignifiant. Il s’agit de Cheryl (surnommée Debbie McGee par les membres du voisinage en référence à une animatrice de télévision). Le destin de cette jeune paumée incarne en quelque sorte celui du quartier. Figure évanescente vivant dans les caves de Soho, Cheryl se perd dans les souterrains du quartier. Elle atterrit dans un bunker (sans doute l’abri antiatomique d’une famille de nantis) et s’y installe jusqu’à épuisement des ressources. Une fois requinquée, la jeune femme remonte à la surface et décide de rentrer dans le rang. Elle décroche un boulot décent et un logement correct. Son éclat de rire tonitruant et sinistre clos le roman. 

J’ai lu beaucoup de recensions de critiques littéraires avant de lire cet ouvrage et j’ai eu un peu de mal à m’en affranchir. Le Guardian évoque la gentrification de Soho et l’atmosphère des romans de Dickens. Dans le New-York Times, Emma Brockes rappelle que le titre original, "Hot Stew" (littéralement ragoût chaud) est une expression argotique datant de l’ère élisabéthaine et signifiant bordel.  Il s’agit donc d’une référence aux lupanars… d’accord, mais pas que. Selon moi, il y a bien une vague histoire de nourriture aussi, sorte d'allégorie du melting pot londonien. Le roman débute dans le restaurant français, où l’héritière sans scrupule, déjeune avec un antiquaire. L’auteur s’épanche longuement sur l’un des plats à la carte : les escargots persillés (petit clin d’œil aux Huguenots français venus se réfugier en Angleterre pendant les guerres de religion). Dans les dernières pages du livre, la même Agathe, frustrée et épuisée, s’effondre en pleurant sur une tourte et/ou une viande en sauce, typiques de la cuisine britannique. Elle a gagné une manche mais pas selon ses règles.

Il aurait encore beaucoup à dire sur ce roman tant le propos est riche et l’intrigue ciselée. L’œuvre de Fiona Mozley est bâti comme le quartier qui en est le cœur. Chaque petite pierre, aussi divergente soit-elle apriori, participe à l’édification et à l’esthétisme de l’ensemble. C’est un coup de maître ! 


Extrait :

« Autrefois, ce quartier était situé en banlieue. Londres était encerclée par un mur, et au-delà c’était la lande : cerfs, sangliers et lièvres au nord-ouest de Londres et au nord-est de Westminster. Des hommes et des femmes surgissaient au galop pour les chasser, si bien que leurs cris ont donné son nom à cet endroit : So ! Ho ! So ! Ho !

Puis l’ère de la pierre est arrivée. Les briques et le mortier ont remplacé les arbres ; les habitants ont remplacé les cerfs ; la crasse grise et collante a remplacé la terre brune et collante. Les chemins creusés par les animaux ont été couverts de pierre puis élargis et bordés de murs et de portes. Des manoirs ont été édifiés pour la haute société. On y dansait, on y jouait à des jeux d’argent, on y faisait l’amour. On y écoutait de la musique et on y donnait des pièces de théâtre. Des pactes étaient conclus, des séditions fomentées, des trahisons organisées, des secrets bien gardés.

D’autres sortes de gens sont arrivés. Des gens qui voulaient échapper à la Révolution française, à la guillotine, à la guerre. Les manoirs ont été divisés et subdivisés. Les salons de réception sont devenus des ateliers, les petits salons des cafés. Des familles vivaient dans une seule pièce, les maladies se propageaient... »

💪Cette lecture s’inscrit dans le cadre des rendez-vous en ville du mois de septembre, lectures thématiques, organisées par Ingannmic et Athalie

📌Dernière nuit à Soho. Fiona Mozley. Joëlle Losfeld, 352 p. (2022)


Les cahiers ukrainiens. Igort

Les cahiers ukrainiens. Igort


Entre 2008 et 2009, Igort séjourne en Ukraine, le pays d’origine de sa famille, avec l’idée de réaliser une BD documentaire sur la période communiste et les années qui ont suivi la dislocation de l’URSS. 

Le dessinateur italien se rend d’abord à Dnipropetrovsk (aujourd’hui Dnipro en ukrainien ou Dniepr en Russe) dont l’agglomération compte plus d’un million d’habitants. Ceux-ci la surnomment Rocket City. C’est ici, en effet, que les soviétiques fabriquaient les missiles durant la guerre froide. Aujourd’hui, la ville est le toujours le siège du Bureau d'études Ioujnoïe qui produit des satellites et des missiles balistiques. Il est associé à la société Ioujmach qui fabrique notamment des lanceurs et des fusées. L’illustrateur constate que l’eau de cette ville est impropre à la consommation mais personne ne se risque à le dire clairement ni à en donner les véritables raisons. Igort rapporte plusieurs anecdotes comme celle-ci dont une concerne Enerhodar (Energodar en russe), la ville qui accueille la centrale nucléaire de Zaporijia, et dont le siège militaire du 28 février au 4 mars 2022 s’est soldé par une victoire de la Russie.

Pour revenir au travail d’investigation d’Igort, il faut préciser que le dessinateur a recueilli plusieurs témoignages saisissants sur l’ère soviétique. Ils sont fidèlement retranscrits dans la bande dessinée, en alternance avec des informations historiques brutes et de brèves biographies de personnalités politiques ou militaires, ainsi que des membres de l’OGPU (La Guépéou), la police secrète. Les pages inspirées des archives officielles apparaissent en sépia tandis que les planches dédiées à la retranscription des interviews sont teintées de rouge. Les confidences des anciens évoquent l'Holodomor (littéralement "extermination par la faim"), la grande famine des années 1931 à 1933 en lien avec les campagnes de "dékoulakisation", c’est-à-dire la collectivisation forcée des terres. Cette période noire est aussi celle des déportations massives et des cas de cannibalisme. Elle se solde par la mort de plusieurs millions de personnes (les chiffres sont encore controversés). 


Les cahiers ukrainiens. Igort. Pages 92 et 93

Plusieurs témoins se souviennent de la seconde guerre mondiale et de l’occupation allemande : les enfants qui meurent sur le champ d’honneur, les brimades subies par ceux qui sont restés au pays, les réquisitions, le travail forcé, etc. Durant l’ère stalinienne, les quotas de production imposés dans les kolkhozes sont impossibles à tenir. A la mort du dictateur, les Ukrainiens connaissent une période de relative embellie. Les gens mangent à leur faim et peuvent faire des études s’ils le souhaitent. Parmi les produits de la vie quotidienne, seuls les vêtements restent inabordables. Au temps de Khrouchtchev, en revanche, le comité central décrète que seuls les travailleurs intellectuels auront le droit de consommer du pain blanc tandis que les autres devront se contenter de pain noir.  


Les cahiers ukrainiens. Igort. Pages 98 et 99

Du milieu des années 60 à la fin des années 80, sous Brejnev, les produits de la vie quotidienne (et en particulier la nourriture) sont relativement bon marché. Les vêtements coûteux peuvent même être achetés à crédit… comme tout le reste ! précise une personne interrogée par Igort.  En fait, la vie est plus ou moins difficile selon le travail que l’on occupe ou son lieu de résidence. Par exemple, les citadins doivent attendre plusieurs années pour obtenir un logement et vivent dans des appartements collectifs qu’ils partagent avec d’autres familles. Il est aussi recommandé de prendre la carte du parti communiste si on souhaite faire une bonne carrière professionnelle. En revanche, à la campagne, la vie est plus simple et il est facile d’obtenir une maison individuelle. 

Comme on peut le constater, Igort a réalisé un remarquable travail d’investigation. Les histoires rapportées par ses témoins sont mises en lumière par les détails historiques qu’il nous fournit. Cette construction a l’avantage de rendre la bande dessinée plus lisible. Il faut noter que l’ouvrage est antérieur aux premiers conflits post-soviétiques et les évènements survenus depuis la révolution de février 2014 (révolution de Maïdan ou de la dignité) n’y sont bien-sûr pas évoqués, pas plus que la guerre du Dombass ou l’Invasion de l'Ukraine par la Russie en 2022. Cet album est en réalité le premier volet d’un diptyque consacré aux pays de l’ex-URSS. Le second volume, Les cahiers russes (sous-titré La guerre oubliée du Caucase) est paru chez Futuropolis en 2012.

📝Du même auteur, je recommande vivement Les cahiers japonais, une série aux antipodes de ce documentaire. 

📌Les cahiers ukrainiens. Mémoires du temps de l'URSS. Igort. Futuropolis, 172 p. (réédition. 2015)


Bangalore. Simon Lamouret

Bangalore. Simon Lamouret


Au premier abord, cette bande dessinée est un peu déconcertante. La quatrième de couverture nous apprend que son auteur déambule dans les rues de Bangalore où il croque le paysage urbain et ses habitants. Nous suivrons donc son alter égo de papier à travers les rues de la ville indienne mais nous n’en saurons guère plus sur ses motivations, si ce n’est qu’il s’agit d’un séjour dans le cadre professionnel. Il faudra googleliser l’illustrateur pour savoir qu’il a vécu 4 ans à Bangalore où il a enseigné le dessin. Il a attendu encore 2 ans pour écrire les premières lignes de texte, s’assurant la distance nécessaire avec l’objet de ses observations.

La construction de la bande-dessinée est également un peu surprenante. Des planches comportant jusqu'à 16 cases alternent régulièrement avec des illustrations en doubles-pages. Les dessins changent très peu d’une case à l’autre : juste un bras ou une jambe qui se déplace, par exemple. Ce montage n’est pas sans rappeler ceux des dessins-animés. Le dessinateur déroule ainsi une série d’anecdotes qui sont autant de tableaux de la vie quotidienne des Bangalorais. Les grandes illustrations, qui concluent chaque mini-strips, viennent apporter un éclairage supplémentaire aux saynètes. Certaines sont si foisonnantes qu’elles font penser au jeu de cherche et trouve.


Arrangé. Bangalore. Simon Lamouret

Simon Lamouret aime prendre son temps et son lecteur doit s’armer de patience pour comprendre ce qu’il veut lui dévoiler. Certaines scènes restent énigmatiques jusqu’à la fin de l’ouvrage où l’auteur a inséré un lexique. Il y donne des informations supplémentaires qui sont autant de clés permettant de déchiffrer les mini-strips. La culture indienne ne nous est donc pas présentée sur un plateau, elle nécessite un effort de la part du lecteur. Ce stratagème contribue à créer un sentiment de solidarité avec l’auteur. On comprend mieux ce qui a pu l’interroger et le dérouter au cours de ses promenades dans les rues indiennes.


Sari. Bangalore. Simon Lamouret

La BD est découpée en 4 parties, qui correspondent à différents moments de la journée (matinée, après-midi, etc), soit 24h de la vie de la cité, du lever au coucher du soleil. Les petits commerçants s’affairent derrière les comptoirs de leurs boutiques ambulantes, les véhiculent de tous types envahissent la chaussée, les piétons colonisent le moindre espace disponible. Chacun vaque à ses occupations, dans une atmosphère grouillante et (on suppose) assourdissante. La rue offre à ses habitants tout ce qu’il est possible d’y implanter : on y mange, travaille, dort… on se fait cirer les chaussures, couper les cheveux et même soigner les dents. Les forces de l’ordre sont tantôt tolérante, tantôt source de crainte (les bakchichs ne suffisent pas toujours à les amadouer). 

Bangalore a été publié une première fois en 2017 chez Warum mais dans une version en noir et blanc. Celle-ci est donc en couleurs, rendant un hommage plus authentique à cette population indienne si bigarrée (au propre comme au figuré). Simon Lamouret a rapporté un second ouvrage de son voyage en Inde. Il s’agit de L’Alcazar, un roman graphique publié chez Sarbacane en 2020. Il y décrit la vie d’un chantier de construction dans un quartier résidentiel indien.

💪Cette lecture s’inscrit dans le cadre des rendez-vous en ville du mois de septembre, lectures thématiques, organisées par Ingannmic et Athalie.

📝Découvrir l'Asie à travers la BD ici

📌Bangalore. Simon Lamouret. Sarbacane, 112p. (2021).