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Affichage des articles du novembre, 2023

Paris, mille vies. Laurent Gaudé

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   « Je crois que je suis le veilleur de la nuit. Je n’ai rien d’autre à faire que déambuler dans ses rues comme un gardien attentif. Paris veut sa bouche. Elle a faim de mots. Trop de vies s’entassent en elle. Il faut les dire. C’est pour cela que l’homme m’a demandé de le suivre. Et maintenant, partout où je vais, des foules agitées se pressent devant moi. Comme si les rues en accouchaient. La jeunesse frappe le pavé. Les années se superposent. D’un siècle à l’autre, peu importe… Elles veulent toutes entrer en moi. Le passé est vorace de nos esprits parce qu’il n’y a que là qu’il puisse encore vivre. » Ce texte n’est pas un roman mais un récit, ou plutôt une flânerie dans les rues de la capitale. Un soir de juillet, le narrateur, alter ego de Laurent Gaudé, croise sur l’esplanade de la gare Montparnasse, un homme (un fou, un spectre ou un clochard céleste), qui l’interpelle : « Qui es-tu, toi ? ». Cette question est peut-être lancée à la cantonade et ne s’adresse pas directement à no

Le bruit de la lumière. Katharina Hagena

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Je cherchais un ouvrage à lire dans le cadre des Feuilles allemandes organisées par Livrescapades et Et si on bouquinait , quand je suis tombée sur celui-ci sur les "étagères numériques" de ma bibliothèque de quartier. Je me suis souvenue que Katharina Hagena avait rencontré un certain succès avec Le Goût des pépins de pomme (Anne Carrière, 2011) et j’ai pensé que c’était l’occasion de découvrir cette autrice à travers un roman plus récent. Autant le dire tout de suite, je suis ressortie assez mitigée de cette lecture. Le titre du livre fait référence aux aurores boréales mais tout commence dans le cabinet d’un neurologue à Hambourg. Cinq patients sont présents dans la salle d’attente, en plus de la narratrice. Comme bien souvent dans ce cas, les regards des uns croisent ceux des autres personnes, puis se posent sur la décoration, les éventuels tableaux aux murs, les magazines sur la table basse, etc.   La narratrice, qui s’ennuie beaucoup et qui ne manque pas d’imagination

Article 353 du code pénal. Tanguy Viel

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 Il arrive qu’un livre conduise à un autre. C’est François-Henri Désérable qui a attiré mon attention sur l’œuvre de Tanguy Viel. J’ai lu quelque part, dans une interview, que le personnage du juge dans Mon maître et mon vainqueur était emprunté à Article 353 du code pénal . L’idée facétieuse de ce crossover à la française ne pouvait que m’inciter à rencontrer ce fameux magistrat. C’est dans le huis clos de son bureau qu’il apparait au lecteur, interlocuteur unique de Martial Kermeur, ouvrier breton au chômage, qui vient de tuer un homme.  « Peut-être il a pensé que c’était une mauvaise blague. Peut-être il a pensé qu’il allait rejoindre un rocher ou un autre qui à marée basse se verrait affleurer. Même les sternes dans leurs rires avaient l’air de penser ça – elles, posées sur les arêtes coupantes des quelques roches lointaines qui déchiraient l’horizon, comme si elles trouvaient normal ce qui venait de se passer, je veux dire, ce type tombé dans l’eau froide et qui peinait à nager t

Le Château des Rentiers. Agnès Desarthe

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Le hasard de mes lectures me conduit pour la seconde fois, en quelques jours, dans le 13ème arrondissement de Paris. Après avoir découvert la dalle des Olympiades grâce à La tour de Doan Bui, je me téléporte 600 mètres plus loin, Rue du Château des Rentiers, une adresse qui a donné son titre au dernier roman d’Agnès Desarthe. D’un point de vue esthétique, l’immeuble dont il question ne semble guère plus attrayant que la tour Melbourne de Doan Bui. L’ambiance, en revanche, y est bien plus joyeuse.  Dans les années 70, les grands-parents maternels d’Agnès Desarthe y ont acheté un appartement sur plan. Ils ont ensuite convaincu leurs amis d’investir et de s’installer au même endroit. C’est ainsi qu’une communauté d’émigrés juifs, ayant survécus aux camps de la mort, s’est installée dans ce phalanstère improvisé. L’autrice évoque avec nostalgie ce microcosme foisonnant qui a marqué son enfance. Elle raconte l’histoire de son aïeul, Haïm Sudac, venu de Bessarabie et assassiné à Auschwitz,

Les infiltrés. Norman Ohler

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  L’histoire des résistants allemands au nazisme sous le Troisième Reich est mal connue. On connait un peu celle d'Otto et Elise Hampel grâce à la version romancée d’Hans Fallada dans Seul dans Berlin . On sait par ailleurs que des groupes ont existé à Hambourg, Munich et Berlin, à l’instar de La Rose Blanche et de L’Orchestre Rouge. Norman Ohler s’est intéressé à deux personnes au sein de ce réseau. Il s’agit d’un couple : Harro et Libertas Schulze-Boysen, exécutés avec d’autres compagnons de lutte, le 22 décembre 1942 à la prison de Plötzensee. Les infiltrés n’est pas un roman mais un essai biographique. La tâche de Norman Ohler n’a pas été simple puisque Hitler avait ordonné de faire disparaître toutes traces des évènements liés à l’Orchestre Rouge. Les documents d’archives sont rares et ont été falsifiés.   Norman Ohler rencontre d’abord Hans Coppi, le fils de Hilde (1909-1943) et Hans Coppi "senior" (1916-1942), des militants communistes. Il est né en novembre 19

Éden. Auður Ava Ólafsdóttir

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J’ai découvert Auður Ava Ólafsdóttir en 2010 grâce à Rosa Candida qui l’a fait connaître au-delà des frontières islandaises. J’ai un attachement particulier pour ce beau roman et c’est la raison pour laquelle j’ai repoussé jusqu’à aujourd’hui la lecture des livres suivants. Je sais maintenant que j’avais tort de m’inquiéter car j’y ai retrouvé les thèmes qui sont chers à l’autrice. Dans Rosa Candida , le jeune héros quittait son Islande natale pour cultiver une espèce rare de rose et apprenait à devenir un père pour sa fille. Dans Éden , Alba Jakobsdóttir, la narratrice, est professeur de linguistique à l’Université de Reykjavík. Elle décide de tout laisser tomber après l’achat d’une parcelle de terrain basaltique à la campagne. Dans ce lieu isolé et fouetté par le vent, elle plantera autant de bouleaux qu’il est nécessaire pour compenser son empreinte carbone. Le premier village voisin est à 30 minutes de route. Elle y fait la connaissance de Danyel, un jeune réfugié de 16 ans, qu’el

La petite-fille. Bernhard Schlink

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Je me suis interrogée un petit moment sur la meilleure façon de présenter cet ouvrage car je ne voulais pas dévoiler un pan trop important de l’intrigue. Et puis j’ai pensé, qu’après tout, la quatrième de couverture en dit déjà beaucoup… mais elle reste factuelle. Or, la profondeur de ce roman doit beaucoup à l’habilité de Bernhard Schlink pour l’analyse historique et sa capacité à décortiquer la psyché de ses personnages.  La petite-fille (avec le trait d’union qui marque le lien de parenté) dont il est question s’appelle Sigrun, elle a 14 ans et elle vit dans une communauté Völkisch sur le territoire de l’ancienne RDA. Elle apparaît finalement assez tard dans le roman parce qu’elle est le fruit d’une histoire familiale compliquée. Cette adolescente, élevée dans un milieu néonazi prônant le paganisme et les thèses racistes s’est trouvée de singuliers héros comme Rudolf Hess, "le dauphin d’Hitler" ou Irma Grese "l’hyène d’Auschwitz". Le narrateur, Kaspar Wettner, es

La tour. Doan Bui

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Les protagonistes principaux de ce roman sont les habitants de la tour fictive Melbourne dans le quartier bien réel des Olympiades dans le 13ème arrondissement de Paris. Les immeubles sont nommés d’après les anciennes villes olympiques et les rues sont autant d’allusions aux différentes disciplines : rue du Disque et du Javelot, pour ne citer que celles-ci. Ce lieu emblématique des théories urbanistiques des années 70, compte une dizaine d’immeubles, ainsi que des commerces et des équipements publics. Bref, c’est une ville dans la ville. Malheureusement, comme beaucoup de projets vertueux, celui-ci a été revu à la baisse. Pour des raisons politiques et financières, certains aménagements, comme la patinoire ou la piscine, ont fait long feu. Mise en péril aussi, la mixité sociale tant espérée. Les appartements ne trouvent pas preneurs et sont essentiellement attribués aux migrants, dont les revenus sont faibles. Parmi eux, il y a la famille Truong. Victor et Alice, les parents ont fui le

Quand souffle le vent du nord. Daniel Glattauer

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Après Le Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates et Inconnu à cette adresse , je me suis offert une nouvelle séance de rattrapage à la faveur d’un challenge de lecture. J’ai donc profité de la 5ème édition des Feuilles allemandes, organisées conjointement par Livr'escapades & Et si on bouquinait? pour lire enfin Quand souffle le vent du nord de Daniel Glattauer, un roman épistolaire qui avait rencontré un fort succès lors de sa parution (en 2006 en Autriche et en 2010 en France).  Au risque de perdre les lecteurs allergiques aux comédies romantiques, je dois dire que l’histoire présente quelques points communs avec l’intrigue développée dans le film de Nora Ephron, V ous avez un mess@ge ( You've Got M@il ), avec Meg Ryan et Tom Hanks dans les rôles principaux.  Tout commence par un mail d’une certaine Emma Rothner désirant résilier son abonnement au magazine Like. Son message arrive par erreur dans la boîte de Leo Leike. Les protagonistes l’ignorent enco

Panorama. Lilia Hassaine

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  « C’était il y a tout juste un an. Une famille a disparu, là où personne ne disparaissait jamais. On m’a chargée de l’enquête, et ce que j’ai découvert au fil des semaines a ébranlé toutes mes certitudes. Il ne s’agissait pas d’un simple fait-divers mais d’un drame attendu, d’un mal qui irradiait tout un quartier, toute une ville, tout un pays, l’expression soudaine d’une violence qu’on croyait endormie. » Imaginez une ville où tous les murs seraient transparents. La vie de chaque foyer serait exposée au regard de tous. Comment convaincre des milliers de citoyens lambdas de vivre ainsi en vitrine ? L’alibi sécuritaire est un puissant argument. Nous sommes en 2049. Vingt ans plus tôt, la France a connu une révolution sans précédent. C’est un fait divers, relayé par les réseaux sociaux, qui a mis le feu aux poudres et entraîné une suite d’évènements en cascade. Des milliers de gens sont descendus dans les rues pour se substituer à l’appareil judiciaire déficient. Ce jour est resté dans