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Affichage des articles du novembre, 2022

Clara lit Proust. Stéphane Carlier

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Cette année, nous commémorons le centième anniversaire de la mort de Marcel Proust. Si j’avais été courageuse, j’aurais saisie l’occasion pour me plonger dans l’intégrale de À la recherche du temps perdu et j’aurais été voir l’exposition intitulée La fabrique de l’œuvre à la BNF. Or, au lieu de méditer sur les madeleines de mon enfance, j’ai préféré me jeter sur une gourmandise intitulée Clara lit Proust … non sans profit car l’opus est rafraîchissant et incitera peut-être certains lecteurs à tenter l’aventure proustienne.  A défaut de côtoyer les notables dans un salon littéraire de Combray, je me suis donc retrouvée dans un salon de coiffure à Châlons sur Saône. C’est ici que travaille Clara. Notre jeune héroïne se perd plus volontiers dans les best-sellers de Guillaume Musso que dans les grandes œuvres de la littérature classique. Mais le destin se joue parfois à peu de choses… un client inconnu, un livre oublié, cinq mois à tergiverser, un fiancé évanescent, une journée d’ennui e

W. ou la guerre. Steve Sem-Sandberg

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Le romancier suédois Steve Sem-Sandberg a déjà publié deux romans dédiés à l’histoire allemande. Le premier, Les Dépossédés (Robert Laffont, 2011), est consacré aux habitants du ghetto de Łódź entre 1940 en 1944. Le second, Les Élus (Robert Laffont, 2016), aborde le thème de l' "Euthanasie" des enfants sous le Troisième Reich. W. ou la guerre , son dernier ouvrage traduit en français, traite d’un fait divers qui a défrayé la chronique au 19ème siècle et inspiré une pièce de théâtre.  Cette œuvre de Georg Büchner (1813-1837), intitulée Woyzeck , est considérée comme un classique de la littérature allemande. Elle est pourtant restée inachevée à la mort de son auteur. En 1922, le compositeur Alban Berg (1885-1935) en a tiré un opéra ( Wozzeck ). Enfin, le réalisateur allemand Werner Herzog l’a adaptée au cinéma en 1979 avec Klaus Kinski et Eva Mattes dans les rôles principaux. A l’instar de la pièce de Büchner, le roman de Steve Sem-Sandberg s’appuie sur les archives judici

Animal du cœur. Herta Müller

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Herta Müller, récipiendaire du prix Nobel de littérature en 2009, est une romancière germanophone d’origine roumaine. Six de ses œuvres ont été traduites en français à ce jour dont Animal du cœur . Ce roman singulier s’inspire en partie de la vie de l’autrice et de ses proches. Le livre est paru dans sa langue d'origine en 1994 chez Rowohlt Verlag, soit 7 ans après l’émigration d’Herta Müller en République fédérale d'Allemagne. Ces précisions ont leur intérêt car le style d’écriture est lapidaire et le lecteur doit se référer à ce que qu’il sait de l’autrice pour s’y retrouver. A titre d’exemple, le nom Nicolae Ceaușescu, n’apparait pas avant le milieu du roman. Avant cela, il n’est question que du dictateur. De même, la ville où se situe l’intrigue n’est jamais nommée et le mot Roumanie n’apparait que tardivement.  Animal du cœur ( Herztier en version originale) raconte l’histoire de quatre étudiants issus de la minorité allemande de Roumanie. Ses jeunes Souabes du Banat se

Le jour où mon père n'a plus eu le dernier mot. Marc Meganck

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Bien que Marc Meganck soit l’auteur d’une longue et éclectique bibliographie (romans, nouvelles, polars, essais et récits), je dois confesser que je ne le connaissais pas du tout. Un petit tour sur son site Internet m’a permis de combler cette lacune et de constater que Le jour où mon père n'a plus eu le dernier mot est un roman très personnel. William Braecke, le narrateur, est sans aucun doute l’alter-ego de Marc Meganck. Jusqu’à quel point la fiction rejoint-elle la réalité ? Un début de réponse nous est fourni par Tito Dupret dans une recension du livre sur le blog Le Carnet et les Instants . L’écrivain belge lui aurait confirmé, lors d’une interview téléphonique, que la première partie du roman était bien inspirée de ses souvenirs d’enfance. La ressemblance ne s’arrête pas là puisque le héros est écrivain et historien de formation… comme l’auteur. On espère, en revanche, que Marc Meganck n’est pas aussi torturé que son personnage. William Braecke connait à la fois les tourme

Le sang des bêtes. Thomas Gunzig

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Le roman commence par une citation en exergue du groupe Radiohead. « I’m a weirdo » dit la chanson. Or, ne sommes-nous pas tous un peu étrange aux yeux d’autrui ? La bizarrerie c’est aussi le non-conformisme, la fantaisie… et Thomas Gunzig n’en est pas avare dans Le sang des bêtes !   Tom fait plutôt figure d’anti-héros en pleine crise de la cinquantaine. Membre assidu des salles de musculation, notre homme est gérant d’un magasin de compléments alimentaires pour bodybuilders. Ce métier, qui fut longtemps son principal centre d’intérêt, ne lui plaît plus. En fait, Tom a perdu le goût de toutes choses et cherche un nouveau sens à donner à sa vie. Son épouse, Mathilde, lui est devenue indifférente. A quel moment son couple a-t-il basculé dans l’apathie ? Une séparation demanderait trop d’énergie alors Tom s’enlise dans un paisible mais frustrant statuquo amoureux. Les relations avec son fils, Jérémie, ne sont pas plus chaleureuses. Les deux hommes semblent aux antipodes. Jérémie déteste

Le champ. Robert Seethaler

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Ce champ, qui a donné son titre au roman de Robert Seethaler, est en réalité un cimetière. Celui de la ville fictive de Paulstadt, dont on suppose qu’elle se trouve en Autriche, pays natal de l’auteur. Un vieil homme déambule dans la partie la plus ancienne de la nécropole. Elle occupe une friche, une terre inculte qu’un agriculteur à revendu à la ville. « Elle ne valait rien pour les bêtes, elle ferait bien l’affaire pour les morts » dit-on. Notre homme croit entendre les voix des défunts, une cacophonie qui semblent monter crescendo au fil des pages. Que disent-ils ? Le discours se fait tantôt fragments de souvenirs fugaces, tantôt récits biographiques. En revanche, il est interdit de parler de la mort, nous explique l’un d’entre eux. Certains parlent d’amour, d’autres confessent leurs erreurs ou s’abîment dans la rancœur. Ce chant dissonant, qui s’élève de la nécropole, est donc comme l’écho des vies passées et le reflet de la société de Paulstadt. Parmi la trentaine de défunts qui

Stöld. Ann-Helén Laestadius

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Je suis vraiment surprise que le roman d’Ann-Helén Laestadius n’ait pas suscité plus d’intérêt en France à ce jour. Stöld , paru chez Robert Laffont pour la rentrée littéraire 2022 a fait peu d’échos dans les médias au cours de ces trois derniers mois et aucune recension n’est encore parue sur Babelio ! J’ai finalement dégoté une chronique d’Anne-Françoise Hivert dans Le Monde des Livres où on apprend que "Stöld" signifie "vol", au sens de "cambriolage" en Suédois.  L’intrigue se déroule sur une dizaine d’années (entre 2008 et 2019) et nous conduit au nord de la Suède, au cœur de la communauté Sámie. Il faut signaler ici que les termes de "Laponie" ou de "Lapons" sont jugés péjoratifs par ce peuple autochtone. Pour désigner cette région, on utilise plus volontiers le mot "Sápmi" en langue vernaculaire. L’héroïne, Elsa, n’a que 9 ans au début du roman. Née dans une famille d’éleveurs de Rennes, elle est alors témoin d’une scè

Des meurtres qui font du bien. Karsten Dusse

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Selon les points de vue, le titre de ce roman peut sembler intrigant, marrant ou carrément bizarre. J’imagine que certains entre nous, sans être forcément des psychopathes, ont déjà souhaité la disparition soudaine d’une personne particulièrement exécrable. Souhaiter son décès ou l’égorger de ses propres mains, c’est un niveau au-dessus. Cela implique une certaine violence, n’est-ce pas ? Avoir la mort d’un individu (même antipathique) sur la conscience, cela ne doit pas être particulièrement plaisant. Et pourtant, le héros de ce polar semble penser le contraire !  Björn Diemel travaille dans un cabinet d’avocats dont le nom, DED, m’a paru phonétiquement évocateur (il s’avère finalement qu’il ne fait référence au mot "dead" en anglais mais au nom des associés Dresen, Erkel et Dannwitz). Dire que son mandataire principal, Dragan Sergowicz, est un peu louche est un gros euphémisme. En fait, c’est un mafieux de la pire espèce doté d’un niveau de tolérance assez bas et d’aucun se

Femmes d’été, femmes d’hiver. Chris Kraus

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Femmes d’été, femmes d’hiver ( Sommerfrauen, Winterfrauen en version originale) est d’abord paru chez Belfond sous le titre Baiser ou faire des films . Il s’agit d’un roman d’initiation tragi-comique dont le héros est Jonas Rozen, jeune étudiant en cinéma. Sa fille Puma Rozen publie le contenu de trois carnets, écrits à l’automne 1996 et révélant les circonstances de sa conception.  Son père, fragilisé par un traumatisme crânien, séjourne alors à New-York. Il est censé y tourner un film "érotico-porno-expérimental", sujet qui ne s’inspire guère, et préparer l’arrivée de cinq autres étudiants berlinois sans le sou. C’est dans ces circonstances que Jonas Rozen fait la connaissance de Nele Zapp, stagiaire déjanté de l'institut Goethe tandis que Mah, sa petite amie jalouse et mythomane, a dû rester en Allemagne. A New-York, le jeune homme est logé chez Jeremiah, ami et collègue de son encadrant, qui habite un taudis dans l’un des quartiers les plus mal famés de la ville. Il

Biche. Mona Messine

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Biche est le premier roman de Mona Messine. Jusqu’à ce jour, je ne connaissais pas cette autrice bien qu’elle ait participé à de nombreux projets dont la création de la revue littéraire Débuts , marrainée par Chloé Delaume. Je n’avais jamais entendu parler non plus des Livres Agités. Ceci n’est pas si étonnant puisque la jeune maison d’édition occupe une niche dans le panorama littéraire, s’étant donnée pour mission de promouvoir les primo-romancières.  Il y a de quoi être intriguée, non ? Alors, dans quoi avant nous mis les pieds et qu’avons-nous entre les mains ? Le titre et l’illustration en verso de la jaquette nous fournissent évidemment quelques indices tandis que la lecture du résumé, en quatrième de couverture, annihile toutes traces de doute : nous allons assister à une partie de chasse… dont une biche est sans doute l’héroïne et/ou la victime. Rien de très réjouissant donc apriori mais il s’avère que Mona Messine est très talentueuse et que son récit réserve quelques surpris