Paul Auster a annoncé par l’intermédiaire du Guardian que Baumgartner serait son dernier roman. Si les critiques le concernant ne sont pas unanimes, j’ai, pour ma part, trouvé ce livre touchant et un peu déroutant. Paul Auster se montre facétieux en explorant les pistes de la métafiction. Seymour (Sy) Baumgartner, son héros, lui ressemble beaucoup mais il n’est pas tout à fait son alter ego. Ancien professeur de philosophie à Princeton, spécialiste de phénoménologie, le narrateur septuagénaire écrit un ouvrage consacré à Kierkegaard. Il est veuf depuis que son épouse Anna s’est noyée à Cape Code, une décennie plus tôt. L’essentiel de l’intrigue se déroule sur une seule journée dans la maison du narrateur. Je me suis d’ailleurs fait la réflexion que le livre pourrait être adapté au théâtre. Le rideau du premier acte s’ouvrirait sur un homme vieillissant, assis à son bureau.
Au début de ce roman, donc, le narrateur travaille sur son dernier livre. Puis, surviennent une série d’accidents domestiques (une casserole qui brûle, une chute du héros dans l’escalier…) qui sont autant d’interrupteurs rallumant les lumières du passé. Le héros convoque les souvenirs des jours heureux avec son épouse, brossant l’émouvant portrait de son amour perdu, une femme indépendante et talentueuse, qui a partagé sa vie pendant 40 ans. Elle porte le même nom que l’héroïne d’un autre roman de Paul Auster (Le voyage d’Anna Blume, Actes Sud, 1987). Encore un petit clin d’œil de l’auteur, sans doute pour apporter un peu de légèreté à ce roman sur la vieillesse et le deuil.
Baumgartner est solitaire mais pas seul. Quelques personnages entrent en scène successivement. Il y a d’abord la pétillante livreuse de colis, dont les visites égayent notre héros au point qu’il commande des ouvrages dont il n’a cure. Puis apparait Ed Papadopoulos, l’électricien au grand cœur, venu relevé le compteur d’eau. D’autres seront simplement évoqués, plus ou moins longuement, comme le mari de la femme de ménage qui s’est sectionné deux doigts avec une scie circulaire ou encore Judith Feuer, la nouvelle amoureuse (pas si amoureuse), et Beatrix Coen, la doctorante prometteuse qui veut exhumer l’œuvre d’Anna. De fil en aiguille, le narrateur en vient à évoquer ses parents et ceux de son épouse défunte dont la mère et le grand-père étaient des Auster. Ces réminiscences d’histoire familiales nous entraînent jusqu’à Ivano-Frankivsk, une ville qui a été alternativement polonaise, ukrainienne ou austro-hongroise selon les évènements politiques. Le narrateur s’y est rendu en 2017, à l’occasion d’un séminaire en Europe de l’Est, pour y rencontrer un rabbin que n’avait finalement pas grand-chose à lui apprendre sur ses ancêtres.
Le dernier roman de Paul Auster n’est donc pas qu’une histoire de retraité triste dont l’esprit (pas encore sénile) vagabonderait de souvenirs fictifs en faits empruntés à la biographie de son créateur. Il y a effectivement, dans ce texte condensé, des pages pleines de nostalgie mais aussi des possibilités de recommencement et un brin de dérision.
📚Une lecture commune avec La petite liste.
📌Baumgartner. Paul Auster, traduit par Anne-Laure Tissut. Actes Sud, 208 pages (2024)




















