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Affichage des articles du avril, 2022

Randonnée en enfer. Are Kalvø

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 Si le titre de ce livre fait plutôt penser à un thriller, sachez qu’il s’agit en fait d’un récit de voyage dédié aux citadins qui ne sont pas vraiment fans de randonnée, de montagne ou de sport outdoor. Oui, le concept à de quoi surprendre mais Are Kalvø est un écrivain facétieux qui adore écrire sur ce qu’il ne connait pas voire ce qu’il ne comprend pas. Le but de cette expérience est justement de découvrir pourquoi la majorité de ses proches décident, à la quarantaine, de déserter la ville et les lieux de convivialité pour aller marcher dans la nature, si possible le plus loin possible de l’humanité. A ce stade, l’auteur établit un lien (douteux, certes) de cause à effet, entre le fait de s’enticher des sports d’extérieur et celui de perdre ses cheveux ainsi que son sens de l’humour.  L’humoriste norvégien décide donc de se lancer dans une surprenante quête qui va le conduire à tenter lui-même l’expérience de la randonnée en montagne. A ce sujet, il me semble que le titre devrait êt

Le polar coréen. Keulmadang N°5

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Après la vague noire scandinave, qui a littéralement vampirisé l’attention des médias pendant plus d’une décennie, les maîtres du romans policiers sud-coréens vont-ils déferler sur la planète et inonder toutes les bonnes librairies ? Ce phénomène porte déjà un nom : la "hallyu" (littéralement "vague coréenne"). Le succès de cette littérature semble en tout cas assez solide pour évoquer le "soft power" du Pays du Matin Calme. En 2018, cet engouement était déjà si perceptible outre-Manche qu’un article du Guardian titrait The new Scandi noir ? The Korean writers reinventing the thriller avec en une la photographie de l’écrivain Kim Un-su. Or, c’est justement cet article qui incita Pierre Bisiou, ancien collaborateur du Serpent à Plumes, à créer Matin Calme (en collaboration avec Olivier Mitterrand, déjà propriétaire de Bourgois), une maison d’édition spécialiste du polar coréen. Kim Un-su a inauguré le programme des parutions avec Sang chaud . Il a été suiv

Par le fil je t'ai cousue. Fawzia Zouari

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  Fawzia Zouari, avant dernière d’une fratrie de 8 enfants, ne connait pas la date exacte de sa naissance. Selon sa mère analphabète, elle serait née un jour de grande crue. D’après son père, elle serait née au milieu des 7 saisons, en été donc. L’année ? Quelle importance lui répondent-ils en cœur. On n’est pas à deux ou trois ans près. Et lorsque la directrice de l’école primaire réclame un acte de naissance en bonne et due forme, qu’à cela ne tienne, on y inscrit l’âge légal d’entrée en première année : 6 ans. Nous sommes en 1961. Les Nazaréens (Chrétiens) ont quitté le pays quelques années plus tôt et le président Habib Bourguiba a décidé de conduire son pays, devenu indépendant, vers la modernité. Dans le village d’Ebba (aujourd’hui Dahmani) comme ailleurs, la polygamie est désormais interdite, les filles doivent se dévoiler pour aller à l’école et le maire doit promouvoir la culture. Plus tard, le Raïs promulguera la nationalisation des terres agricoles. Les villageois appliquent

Les Ravissantes. Romain Puértolas

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La bourgade fictive de Saint-Sauveur en Arizona a été fondée au 17ème siècle par un missionnaire bourguignon appelé Sauveur Jacotot. Située à mi-chemin entre Tucson (USA) et Nogales (Mexique), la petite ville s’est développée gentiment jusqu’au 2/3 du 20ème siècle. Les choses se sont gâtées au milieu des années 1970 avec l’arrivée de la secte des Sauveurs dans la tranquille bourgade américaine. Son gourou, Emilio Ortega, ex-physicien d’origine mexicaine, prétend être, non pas la réincarnation de Jésus-Christ, mais le Christ lui-même. Dieu lui aurait demandé de bâtir une forteresse pour protéger les âmes pures de l’apocalypse à venir. Dans les faits, le lieu attire surtout les délinquants, les drogués et traîne-savate de tout acabit. Comme on peut, s’y attendre, les incivilités et les conflits se multiplient rapidement entre les citoyens d’origine de Saint-Sauveur et les membres de la secte.  C’est dans ce contexte explosif que trois adolescents disparaissent entre mars et avril 1976. L

Quand je reviendrai. Marco Balzano

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  Quand je reviendrai aborde un sujet un peu dérangeant qui est celui du travail clandestin. Ainsi que l’explique l’auteur dans une note à la fin du livre, aujourd’hui, deux tiers des migrants de la planète sont des femmes. La plupart d’entre elles sont employées comme domestiques ou comme auxiliaires de vie dans les pays riches dont l’Italie, pays vieillissant, fait partie. Daniela, l’héroïne de Marco Balzano, est Roumaine. Elle doit prendre soin de vieillards accablés de lourdes pathologies (comme Alzheimer) pour lesquelles elle n’est pas formée. C’est un travail épuisant, aussi bien physiquement que psychologiquement. A cela s’ajoute, la solitude et les privations. En effet, les migrantes sont forcées de laisser leur famille au pays et leur envoient une grande partie de leur salaire. En Roumanie, ces enfants sont appelés les orphelins blancs parce qu’ils sont souvent livrés à eux même. La migration des Roumaines vers l’Italie est d’ailleurs si fréquente qu’elle est devenue un phéno

Sang Trouble. Robert Galbraith

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 Il y a bien des manières de présenter une intrigue et je vais volontairement commencer par la pire. En effet, comment parler d’un détective privé, vétéran unijambiste de la campagne d’Afghanistan, dont la mère de substitution se meurt d’un cancer en Cornouailles pendant qu’il enquête sur un "Cold case" impliquant un tueur en série et un policier psychotique versé dans le satanisme ? Bien-entendu, une bonne partie de l’enquête se déroule sous la pluie, parfois dans des lieux un peu glauques. J’imagine que ça parait "Too much", sauf pour les amateurs du genre qui devraient se régaler.  Maintenant que vous êtes prévenus, sachez que cette histoire nous conduit plus de 40 ans en arrière, soit en 1974. A cette date, Margot Bamborough, qui avait en apparence tout pour être heureuse, disparait du jour au lendemain. Médecin généraliste dans un cabinet de Clerkenwell, le fameux quartier londonien de la Petite-Italie, la jeune femme était mariée à un séduisant hématologue et

Ce qui vient après. Joanne Tompkins

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 Port Furlong est situé quelque part, dans le fouillis constitué par la péninsule Olympique, dans l’état de Washington, et les îles gravitant dans le détroit de Puget. Il faut 1h30 en bus pour rejoindre la ville de Bremerton. Pour autant, ses habitants ne sont pas à l’abri des violences du monde et un terrible drame a secoué la communauté : Daniel, un adolescent auquel tout réussissait, a été sauvagement assassiné par son ami d’enfance. Jonah s’est ensuite suicidé sans expliquer son geste. Comment leurs parents respectifs peuvent-ils survivre à un tel drame ? Quelles relations peuvent-ils encore entretenir ? Où trouver la force de pardonner ? Dans la religion ?  Quelques jours après la mort des deux garçons, une jeune sans-abri s’invite dans la maison d’Isaac, le père de Daniel. Elle est enceinte et laisse-entendre que l’un des adolescents pourrait être le géniteur. Isaac et Lorrie, la mère de Jonah, vont devoir s’entendre pour prendre soin de la jeune-fille. Par ailleurs, une nouvelle

La vie est pleine d'hippopotames. Annette Bjergfeldt

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 J’imagine que le titre du livre et sa couverture vous ont déjà mis sur la piste. Vous avez deviné que ce roman est totalement déjanté. En effet, la prose d’Annette Bjergfeldt est un véritablement remède à la mélancolie. Son roman est une fresque familiale peuplée d’une galerie de personnages truculents. Le premier d’entre eux (par ordre d’arrivée dans la narration) doit être accordé au féminin puisqu’il s’agit d’une femme. Varinka Sovalskaïa, née en 1900, est une enfant de la balle, une contorsionniste qui ne mesure pas plus d’1m50. Son amour de jeunesse, un nain voltigeur, a fini précocement sa vie dans la gueule d’un hippopotame appelé Céleste. Cet hippopotamidé avait été livré par erreur à la place d’un éléphant en provenance d’un cirque polonais. Notre petite russe, bien qu’inconsolable après la mort de son amant, accepte la demande en mariage inattendue d’un spectateur Danois. Le type, fils d’un grossiste d’Amager, est un peu crédule et rêve du grand amour. Puisqu’ils ne parlent

Une église pour les oiseaux. Maureen Martineau

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 En dépit de sa brièveté, ce roman s’avère assez ambitieux puisqu’il traite deux faits divers simultanément. Le premier est un crime crapuleux ; le second est une histoire de pollution chimique. Tous ces évènements se passent à Ham-sud, un village de l’Estrie au Québec. Ils nous sont rapportés par plusieurs témoins dont Roxanne Pépin, la mairesse, Jessica Acteau, une ancienne droguée, et Pelé, le chef des martinets ramoneurs. Oui, vous avez bien compris, il s’agit d’un oiseau. Il fait partie d’un essaim qui niche dans une église reconvertie en une sorte d’arche de Noé. Réfugiés dans la cheminée, pour échapper à de mystérieuses fumées toxiques, la colonie attend des vents favorables pour migrer vers l’Amérique centrale. C’est dans ce contexte que les oiseaux assistent aux ébats du propriétaire avec une prostituée.  Il s’agit d’Hermann Fiesch, un suisse, qui a vendu tous ses biens dans son pays natal pour réaliser son rêve au Québec : un parc zoologique. Son projet a été contrarié par la

Jeune fille en bleu, à la fenêtre, au crépuscule. Alena Schröder

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  Jeune fille en bleu, à la fenêtre, au crépuscule ? Le tire de ce roman vous rappelle sans doute quelque chose. Vous pensez peut-être au fameux tableau de Johannes Vermeer intitulé La Femme en bleu lisant une lettre ? Ce tableau-là est actuellement conservée au Rijksmuseum à Amsterdam. Mais imaginons deux minutes que le peintre néerlandais ait réalisé une autre pièce sur le même thème et que celle-ci ait disparu des catalogues durant la seconde guerre mondiale. Et si quelqu’un s’était mis en tête, non seulement de retrouver ce tableau, mais aussi de le restituer à son propriétaire ou à son héritier ? Cette personne ne risquerait-elle pas de remuer quelques vieux souvenirs nauséabonds ? En tout cas, nous aurions le début d’une intrigue historique et romanesque. Telle est donc la proposition d’Alena Schröder dans Jeune fille en bleu, à la fenêtre, au crépuscule . La romancière a choisi de se focaliser d’abord sur un premier personnage. Il s’agit d’Hannah, une jeune berlinoise solitair

Un pays de neige et de cendres. Petra Rautiainen

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 En 1947, Inkeri Lindqvist, photographe et journaliste quinquagénaire, débarque à Enontekiö, une ville située au nord-ouest de la Finlande. Le but officiel de son installation sur les terres du peuple Same est un reportage dédié à la reconstruction de la région. En réalité, elle mène une enquête sur la disparition de son mari, Kaarlo Lindqvist, ancien prisonnier de guerre à Inari. En 1944, ce camp était géré par les Allemands mais il avait aussi des gardiens finlandais. L’un d’entre-deux, qui se présente dans son journal intime comme le représentant de l’autorité militaire de son pays et comme interprète, est arrivé au centre de détention en février 1944. Un chapitre sur deux est consacré à son récit. Le lecteur comprend rapidement que ce témoignage détient sans doute la clé du mystère qui permettrait à Inkeri Lindqvist d’en savoir davantage sur la mort de son époux. Ignorant l’existence de ce document, le journaliste tente d’interroger son entourage : le vieux Piera, l’ancien propriét

Jérôme K. Jérôme Bloche, T.28. Dodier

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  A la maison, nous sommes tous fans de Jérôme K. Jérôme Bloche. D’ailleurs, nous suivons ses aventures rocambolesques depuis ses premiers pas en tant que détective privé. Si vous ne connaissez pas ce héros de papier, vous l’avez peut-être déjà remarqué. C’est le jeune type qui arbore un chapeau à la Humphrey Bogart et un vieil imperméable tout froissé. Mais si, le trentenaire à lunettes qui ne se déplace qu’en solex… ou en 2 CV quand sa petite amie Babette est au volant ! Et oui, notre enquêteur parisien n’a pas le permis ! Mais aujourd’hui, c’est le grand jour, il va l’avoir ! Mme Zelda ne nous dit pas si elle l’a vu dans ses cartes de tarot mais tous ses amis sont là pour le soutenir. Burhan, l’épicier du quartier, lui a même préparé un petit encas. Oui, mais voilà, Jérôme n’est pas très en veine en ce moment. Il est à peine entré sur le périphérique que son regard accroche une silhouette penchée sur le parapet au-dessus de la route. C’est une jeune femme en robe de marié qui semble

Une amitié. Silvia Avallone

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 Un soir de décembre 2019, Elisa Cerruti apprend la disparition d’une célèbre influenceuse sur Internet. La trentenaire décide alors d’exhumer ses journaux intimes d’adolescentes et d’écrire un livre dont elle ignore encore si elle le livrera à la publication. La décision à prendre n’est pas anodine car son héroïne est la fameuse Béatrice Rossetti dont on parle sur tous les réseaux sociaux de la planète. En effet, Elisa et Béa se sont rencontrées durant leurs années de lycée dans la ville de T. (une petite ville balnéaire en Toscane). Elles ont même partagé une histoire d’amitié fusionnelle mais toxique dont la narratrice entend retracer les grandes étapes. Il semble difficile d’imaginer aujourd’hui ce qui a pu rapprocher la professeure d’Université et l’icône du web et moins surprenant d’apprendre qu’elles ont rompu 13 ans plus tôt. La vérité c’est que la relation s’est achevée dans le drame en 2006 alors que l’Italie gagnait la coupe du monde de football. Bref, Elisa, devenue mère d’

Ces liens qui nous enchaînent. Kent Haruf

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 Les éditions Robert Laffont publient enfin le premier roman de Kent Haruf (1943-2014), paru en version originale en 1984 sous le titre de The Tie That Binds . Ce roman est d’autant plus remarquable qu’il réalise un tour de force : tenir son lecteur en haleine de bout en bout avec une intrigue qui a-priori n’a rien de palpitant, bien au contraire. Celle-ci est basée sur l’histoire d’une octogénaire qui a sacrifié sa vie aux autres au point de ne pas en avoir du tout.  Comment l’auteur parvient-il alors un captiver son lecteur ? En fait, l’écrivain américain utilise plusieurs ressorts très efficaces. Tout d’abord, son roman se lit comme un polar puisqu’on sait dès le début que la vieille dame est accusée d’assassinat. Ensuite, si Edith Goodnough (prononcez "Good No", SVP) n’a pratiquement jamais quitté son village natal dans le Colorado et vécu à l’écart des bouleversements du monde, cela ne veut pas dire que la grande histoire n’a pas eu d’influence sur son triste sort. Enfin