Histoires de fantômes du Japon. Hearn & Lacombe
Lafcadio Hearn (1850-1904), alias Koizumi Yakumo est né Irlandais mais il a obtenu la nationalité japonaise en 1896 après son mariage avec la fille d’un samouraï. Je pourrais m’attarder sur sa biographie, qui est passionnante, mais je crains que l’exercice ne soit trop fastidieux. Sachant qu’il existe un excellent article de Koizumi Bon, l’arrière-petit-fils de l’écrivain, je préfère me concentrer sur l’objet de ce billet.
Cette anthologie est le résultat d’un minutieux travail de collaboration entre les éditions Soleil et le dessinateur français Benjamin Lacombe. Ce premier volume compte une dizaine de textes sélectionnés parmi la multitude de Kaidan (littéralement « histoire de l'étrange, du mystérieux ») compilés par Lafcadio Hearn, au tournant des 19ème et 20ème siècles. Ces histoires, traduites de textes japonais anciens, sont sublimées par une série d’illustrations, inspirées des plus grands maîtres de l'ukiyo-e (j’y reviendrai plus tard). Une autre série de textes issus de l’œuvre de Lafcadio Hearn sont parus dans un second volet intitulé Esprits & Créatures du Japon (Soleil, 2020). L’œuvre originale de l’écrivain, Kwaidan ou Histoires et études de choses étranges, a été rééditée chez Mercure de France, il y a une vingtaine d’années. Il existe également une adaptation cinématographique de Masaki Kobayashi (Prix spécial du jury au festival de Cannes en 1965)
La plupart des histoires s’inscrivent dans la tradition bouddhique et sont imprégnées de la morale orientale. Les créatures surnaturelles qui sont évoquées dans ce recueil sont bien loin de l’imaginaire occidental. Plusieurs d’entre elles sont issues à la fois de la mythologie ou du folklore japonais et chinois, comme le Roi-dragon de la mer ou les baku dévoreurs de rêves. Les Rokurokubi, quant à eux, sont extrêmement dangereux. Le jour, ces monstres se présentent sous une apparence normale mais, à la faveur de la nuit, leurs têtes se détachent de leurs corps pour attraper les humains et boire leur sang. Certains fantômes sont plus attrayants que d’autres. Ainsi, cette belle princesse, morte depuis plusieurs siècles, qui attire en sa demeure un samouraï désargenté. Le jeune homme, séduit, accepte de l’épouser le soir même, sans être informé des conséquences sur sa vie.
Ces histoires fantastiques sont sublimées par des planches dont le graphisme rend hommage à l’esthétisme de l'époque d'Edo. L’un des dessins dans Le songe d’un jour d’été n’est pas sans rappeler La Grande Vague de Kanagawa de Hokusai tandis qu’un croquis (pages 40-41) évoque Le rêve de la femme du pêcheur (dénoué de son caractère érotique). Dans Le gamin qui dessinait des chats, une illustration rappelle à la fois les estampes d’Utagawa Hiroshige et d’Utagawa Kuniyoshi. Pages 64 et 65, dans l’histoire du Mangeur de rêves, on reconnait aisément le Triptyque de Takiyasha la sorcière et le fantôme du squelette d'Utagawa Kuniyoshi. Toutes les thématiques récurrentes des artistes de l'ukiyo-e apparaissent ainsi au fil des pages : les bijin-ga (peintures de jolies femmes), les Kachō-ga (images d’oiseaux, de fleurs et d’insectes), les Meisho-e (vues célèbres) et bien-sûr les Kaidan avec moultes créatures fantomatiques et monstrueuses, squelettes rappelant notamment les œuvres de Kawanabe Kyōsai, ainsi que quelques têtes coupées à la manière de Sadahiro Gochôtei ou de Yoshitoshi Tsukioka.
Cette anthologie, qui me semble très accessible au niveau des textes comme de l’esthétisme, devrait enchanter les néophytes comme les amoureux de la culture nippone. Elle est agrémentée d’une très belle reliure illustrée qui enjolivera votre bibliothèque.
📝Si vous souhaitez creuser le thème, je vous propose de consulter ma bibliographie sélective consacrée aux Fantômes et Monstres dans la fiction japonaise.
💪Lecture dans le cadre du challenge Bonnes nouvelles
📌Histoires de fantômes du Japon. Lafcadio Hearn (textes) & Benjamin Lacombe (illustrations). Editions Soleil, 208 pages (2019)
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