Haut Val des loups. Jérôme Meizoz
« Tout est coquet dans le village de montagne, chéri des peintres paysagers. Les chalets sèchent sous le soleil cru de février. Les touristes accomplissent leurs devoirs de vacances. Yeux fermés, tourné vers la forêt, on entend le pic-bois et le ronronnement de la télécabine. Pays neutre, contrée sourde, épargnée par la guerre, obstinée et prospère. Silence, négoce et bénéfices. Vertu suprême : la discrétion. »
En février 1991, dans la région du Haut Val, un jeune militant écologiste est tabassé avec une grande violence et laissé sur le carreau, baignant dans son sang. Il ne meurt pas. Il s’en sort après un séjour à l’hôpital mais le traumatisme est tellement important qu’il préfère s’exiler outre-Atlantique. Il finira par rentrer au pays mais ne se mêlera plus jamais de politique. L’affaire a été classée sans suite. Vingt-cinq ans plus tard, le narrateur n’a pas oublié la violence dont son ami a été victime. L’accès aux archives judicaires lui étant refusé, il décide de raconter cette histoire à travers un récit romanesque dont les patronymes et noms de lieux sont volontairement expurgés.
« Tu vas trouver le Poète des cimes blanches dans son manoir humide dont les murs épais portent des cargaisons de pommes. Le vacarme du torrent couvre le petit bois alentour. A la cave, il dégote une bouteille de ton âge, un Petit Rhin, pour fêter l’ouvrage qu’il t’a confié.»
Ce court texte m’a un peu déroutée pour plusieurs raisons. Le narrateur s’exprime tantôt à la seconde personne du singulier tantôt à la troisième. Il accumule les sauts de puce dans le temps (en avant, en arrière, en avant…1991, 1976, 1984, 2014, 1989, …) et son style est lapidaire. Les protagonistes ne sont jamais clairement identifiés. Lorsqu’il s’agit de la victime, l’auteur parle du jeune homme. Ses camarades du groupe Mandarine sont rarement désignés par leurs prénoms. Il m’a fallu un peu de temps également pour identifier le mentor du jeune homme, le poète Maurice Chappaz (ses citations ne sont répertoriés qu’à la fin de l’ouvrage). Par ailleurs, je n’arrivais pas à déterminer si l’opus s’inspirait d’un fait divers ou s’il s’agissait d’un récit fictif.
Il s’avère que le livre s’appuient sur des évènements bien réels. L’affaire dont il est question est celle de l’agression de Pascal Ruedin dans son chalet de Vercorin. Ses agresseurs n’ont jamais été retrouvés et l’opinion publique a longtemps soupçonné la justice de protéger les commanditaires. La victime, était alors le secrétaire du WWF valaisan, dont certains dossiers en faveur de la défense de la nature gênaient les projets des partisans du développement du canton.
« Étendu sur le plancher, le Jeune Homme saigne, à demi inconscient. Trois types ont forcé la porte. Occupé à son bureau, il n’a pas entendu. On l’a battu avec application, en silence, longuement. La pluie de coups lui a semblé sans fin. Défenseur de l’environnement, il n’a pas ménagé ses efforts contre quelques grands projets immobiliers. Ses adversaires détestent en lui un redoutable débatteur au verbe tranchant. Puis on s’en est pris à ses dossiers, à ses lettres. Ordinateur défoncé, fils du téléphone arrachés. Des informations sensibles dormaient dans les circuits. Ont-ils emporté des documents ? Difficile de le savoir. »
Des recherches sur google m’ont permis d’identifier d’autres évènements évoqués par le narrateur, comme le scandale du conseiller d’État valaisan qui, après avoir abattu un loup en toute illégalité, exhibait sa dépouille empaillée dans son bureau.
Les loups du titre font davantage référence aux humains qu’aux animaux. Les chasseurs peu scrupuleux mais aussi les promoteurs qui exploitent le territoire, les fascistes qui ont trouvés refuge en Suisse à la fin de la seconde guerre mondiale, les religieux qui favorisent l’obscurantisme et les criminels qui martyrisent la jeunesse qu’ils jugent un peu trop rêveuse. Le livre de Jérôme Meizoz est un pamphlet contre le capitalisme sauvage et la barbarie. Il prend moins de gants lorsqu’il s’agit de dénoncer les exactions des pollueurs ou d’exprimer ses convictions politiques. Et le lecteur sent bien qu’il y a beaucoup de colère et d’émotions dans cet opus.
« Tu t’interroges sur cette nature dont on parle tant. Est-ce que nous sommes inscrits en son sein, ou posés au dehors comme ses maîtres ? Quels sont nos droits sur elle ? Et si nos actes étaient des forfaits répétés, accomplis suivant la loi du plus fort ? Tu t’imagines un instant dans la peau d’un chevreuil ou d’un faisan : l’homme t’apparait comme un prédateur absolu sur la terre. Seule bête jouissant de l’agression gratuite. »
💪J’ai lu cette novella dans le cadre du challenge Bonnes nouvelles qui se déroule du 1er au 31 janvier 2024.
📚D’autres avis que le mien via Babelio
📌Haut Val des loups. Jérôme Meizoz. Zoe Poche, 160 pages (2023)
Commentaires
Quand on te lit cela parait ahurissant et que cela se passe en Suisse !!! c'est fou
le droit aux archives judiciaires doit dépendre des pays je suppose
un livre qui alerte c'est plutôt bien, l'auteur a-t-il un peu peur lui aussi ?