Par le fil je t'ai cousue. Fawzia Zouari

 

Par le fil je t'ai cousue. Fawzia Zouari (Photo by Juan Ordonez on Unsplash)

Fawzia Zouari, avant dernière d’une fratrie de 8 enfants, ne connait pas la date exacte de sa naissance. Selon sa mère analphabète, elle serait née un jour de grande crue. D’après son père, elle serait née au milieu des 7 saisons, en été donc. L’année ? Quelle importance lui répondent-ils en cœur. On n’est pas à deux ou trois ans près. Et lorsque la directrice de l’école primaire réclame un acte de naissance en bonne et due forme, qu’à cela ne tienne, on y inscrit l’âge légal d’entrée en première année : 6 ans. Nous sommes en 1961. Les Nazaréens (Chrétiens) ont quitté le pays quelques années plus tôt et le président Habib Bourguiba a décidé de conduire son pays, devenu indépendant, vers la modernité. Dans le village d’Ebba (aujourd’hui Dahmani) comme ailleurs, la polygamie est désormais interdite, les filles doivent se dévoiler pour aller à l’école et le maire doit promouvoir la culture. Plus tard, le Raïs promulguera la nationalisation des terres agricoles. Les villageois appliquent les nouvelles règles, moins par conviction que pour échapper aux tracasseries administratives et judiciaires. Pour notre toute jeune narratrice, aller à l’école est une aubaine. Mieux, c’est le passeport pour échapper à la claustration dans le gynécée familial. Ces deux sœurs aînées n’ont pas eu cette chance. Leur mère a décidé qu’elles ne pouvaient plus exhiber leurs formes trop féminines sur la place du village. Elle brûle leurs cartables dans le four à pain. La fillette de 5 ans, n’a pas compris tout le sens de ce geste mais elle a le pressentiment que quelque chose d’important vient de se jouer. Elle décide dès lors de faire profil bas. Désormais, elle sera invisible. Elle n’aura plus de sexe, elle ne sera qu’esprit. C’est à ce prix qu’elle pourra poursuivre ses études tandis que ses sœurs n’auront pour horizon que les pieds des passants entre-aperçus par la lucarne de la maison où elles sont enfermées. 

Il y aurait beaucoup à dire sur ce passionnant roman dont Fawzia Zouari ne cache pas qu’il s’agit d’une autobiographie. Sa mère, à laquelle elle a déjà consacré un livre (Le Corps de ma mère, récompensé par le Prix des cinq continents de la francophonie en 2016), est omnipotente en sa demeure. On est frappé de constater qu’elle participe activement à l’asservissement de ses filles dont il faut à tout prix préserver l’honneur (c’est-à-dire la virginité). Le titre du livre, Par le fil je t'ai cousue, fait référence à un rituel magique sensé préserver l’hymen des jeunes filles. Il ne s’agit pas bien-sûr de mutilation génitale mais essentiellement d’incantations. La seule barbarie tient au fait de faire saigner l’enfant au niveau du genoux et d’en imprégner des raisins qu’elle doit ensuite consommer. Cela n’en est pas moins traumatisant. Notre jeune héroïne se prête néanmoins au cérémonial sans broncher car elle sait qu’elle pourra ensuite quitter sa famille et aller au collège en Internat au Kef (soit à 30 km de son village natal). Dans cette affaire, c’est son père, amoureux des sciences et chantre de l’érudition, qui sera son meilleur allié contre l’opposition maternelle. A ce sujet, le lecteur est surpris par le manque de ressentiment de l’autrice vis-à-vis de sa mère. C’était son mode de pensée, celui d’un autre âge, explique Fawzia Zouari dans les différentes interviews. En ce qui concerne les coups et les injustices (par rapport à ses frères), elle les évoque plusieurs fois mais sans trop s’y attarder. Là, n’est pas son seul propos. A travers, cet ouvrage en effet, l’écrivaine franco-tunisienne, a voulu surtout revenir sur ses racines et son enfance en milieu rural. A cette époque dit-elle, et c’est peut-être paradoxal, les petits enfants étaient plus libres que les adultes. Durant le Ramadan, par exemple, lorsque les adultes se sustentaient à la tombée du jour, la marmaille investissait le village et s’en rendait maître. Si Fawzia Zouari se penche sur la condition féminine, elle rappelle aussi à son souvenir les images et les odeurs d’un autre temps. Un temps où les femmes cuisinaient au brasero, un temps où l’arrivée d’une voiture ou d’une télévision dans un foyer était un évènement sans précédent au village. Il y a de l’humour et de la tendresse dans ces évocations. Fawzia Zouari signe un beau roman.

Par le fil je t'ai cousue. Fawzia Zouari. Plon, 368 p. (2022)

Commentaires

  1. Si c'est autobiographique, vraiment cela m'a l'air à découvrir.

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