Article 353 du code pénal. Tanguy Viel

Article 353 du code pénal. Tanguy Viel


 Il arrive qu’un livre conduise à un autre. C’est François-Henri Désérable qui a attiré mon attention sur l’œuvre de Tanguy Viel. J’ai lu quelque part, dans une interview, que le personnage du juge dans Mon maître et mon vainqueur était emprunté à Article 353 du code pénal. L’idée facétieuse de ce crossover à la française ne pouvait que m’inciter à rencontrer ce fameux magistrat. C’est dans le huis clos de son bureau qu’il apparait au lecteur, interlocuteur unique de Martial Kermeur, ouvrier breton au chômage, qui vient de tuer un homme. 

« Peut-être il a pensé que c’était une mauvaise blague. Peut-être il a pensé qu’il allait rejoindre un rocher ou un autre qui à marée basse se verrait affleurer. Même les sternes dans leurs rires avaient l’air de penser ça – elles, posées sur les arêtes coupantes des quelques roches lointaines qui déchiraient l’horizon, comme si elles trouvaient normal ce qui venait de se passer, je veux dire, ce type tombé dans l’eau froide et qui peinait à nager tout habillé, soufflait ce qu’il pouvait en répétant mon nom pour que je vienne l’aider, disant : Kermeur, merde, venez m’aider, Kermeur, qu’est-ce que vous foutez. Et il a ajouté des mots comme « bordel » ou « putain » ou « vous faites chier » en pensant que ça me pousserait à réagir. Mais cela, non, il n’en n'était pas question. »

Lors d’une partie de pêche en duo, Martial Kermeur a balancé à l’eau, un certain Antoine Lazenec, promoteur immobilier, et l’a regardé se noyer. Comment un père de famille célibataire un peu apathique a-t-il pu en arriver là ? C’est tout le propos de ce roman court au verbatim précis. Tanguy Viel nous donne à entendre la confession d’un homme poussé à bout par les manigances d’un escroc sans scrupules, l’injustice sociale et l’inertie du système juridique. Son histoire débute 6 ans plus tôt, soit au tournant des années 80 et 90. Le grand arsenal brestois vient de fermer ses portes et notre homme a été licencié en même temps que des dizaines d’autres. Néanmoins, il ne part pas sans rien puisqu’il reçoit une prime de 400 000 euros. La plupart de ses anciens collègues ont investi dans des bateaux de pêche. Kermeur, lui, rêve d’un Merry Fisher de 9 mètres mais tarde à s’engager. En accord avec le maire de sa ville, il habite au Château, une vielle bâtisse qui appartient à la commune et dont il prend soin en retour. Sa femme est partie depuis longtemps et il élève seul son fils Erwann, né en mai 1981 (tout un symbole pour ce mitterrandiste). Et puis débarque Antoine Lazenec, tel un cowboy, qui dit-on va sauver la ville du marasme économique dans lequel elle s’englue. Il rachète le château, et tout le terrain au bord de la rade, pour construire un grand complexe immobilier, une station balnéaire face à la mer. Le projet promet de multiples retombées financières pour la commune et ses habitants… mais le temps passe et le Saint-Tropez du Finistère reste figé à l’état de maquette. Les promesses n’engagent que ceux qui y croient ! Et ils seront plus d’un à s’être laissé abuser. C’est tout cela que Martial Kermeur raconte au juge d’instruction, avec ses mots à lui, ceux d’un cabossé de la vie, un homme qui n’apparait plus que comme un looser à travers le regard de son fils. 

Difficile de coller une étiquette au roman de Tanguy Viel. Article 353 du code pénal n’est pas un roman policier. Je le qualifierai plutôt de roman social et/ou de roman d’atmosphère. Avec une grande économie de moyens et un style proche de l’oralité, l’auteur parvient à susciter un fort sentiment d’empathie pour son anti-héros. Il décrit très bien les rapports dominants-dominés, la honte, la résignation, etc. A cela s’ajoute la rudesse du climat, le vent, les embruns… un peu à la manière d’un Simenon. Le texte est court et à la fois très dense. En ce qui concerne le titre du roman, ce fameux article 353 du code pénal, je vous laisse en découvrir la teneur par vous-même.

Pour ce roman, Tanguy Viel a reçu notamment le Grand prix des lecteurs RTL-Lire (2017) et Le Prix du public du Salon du livre de Genève (2017).

Lecture dans le cadre du challenge Sous les pavés, les pages, organisé par Ingannmic et Athalie

D’autres avis que le mien : via Babelio et Bibliosurf

Article 353 du code pénal. Tanguy Viel, Editions de Minuit, 176 pages (2017)


challenge Sous les pavés, les pages 2023


Commentaires

  1. Si j'ai bien compris, tu découvres les romans de l'auteur? Oh, continue!!!

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  2. J'ai lu deux titres de cet auteur, un auquel je n'ai pas du tout accroché (La disparition de Jim Sullivan) et un (La fille qu'on appelle) dont j'ai apprécié l'intrigue tout en émettant des bémols sur le style, trop alambiqué à mon goût... du coup, j'avoue ne pas avoir très envie de renouer avec lui...
    Merci en tous cas pour cette nouvelle participation !

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    1. Je n'ai lu que "Article 353 du code pénal". Je ne connais pas les autres titres de Tanguy Viel mais ce premier contact m'a donné envie de poursuivre. On verra bien si je suis déçue.

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  3. Rien à voir, mais comme je sais que tu as pour projet de lancer une activité "Nouvelles", je me suis dit que ce billet pourrait t'intéresser : https://www.undernierlivre.net/leo-henry-cent-vingt/

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  4. Anonyme23.11.23

    je n'ai pas encore lu ce roman alors que je sais qu'il est très intéressant . Le temps de lecture n'est pas extensible à l'infini, dommage!

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  5. Une lecture qui m'avait passionné.

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  6. Durant la lecture de ce roman j’ai constamment été ballottée de la compassion à l’agacement, et même l’écriture de ce livre passe de l’empathie à une forme de froideur distante. si bien que j’en garde un souvenir mitigé.

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    1. En ce qui concerne le caractère des personnages, je ne sais pas si c'est de la froideur ou une forme de rudesse liée au lieu. Pour ma part, j'ai eu envie de secouer Martial à plusieurs reprises. Il y a des moments aussi où j'ai trouvé une sorte de dignité dans son renoncement.

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  7. Ça fait un moment que je me tâte à lire cet auteur. Toujours la même question qui fait traîner les choses, par lequel commencer?... Celui-ci semble t'avoir convaincue, je lui mets un petit + dans ma liste.:)

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    1. Je ne sais pas quoi te dire car les avis diffèrent d'une personne à l'autre. Pour ma part, j'ai beaucoup aimé ce roman. Keisha me conseille vivement de lire aussi ses autres livres. En revanche, Hedwige est plus mitigée et Ingrid n'a pas accroché au style de l'auteur (Elle a lu La disparition de Jim Sullivan).

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  8. Encore un auteur que je veux lire depuis longtemps, sans avoir encore réussi à le caser quelque part. Soupirs .. soupirs ..

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  9. Il faut absolument que je découvre cet auteur. Celui-ci me tente beaucoup...

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    1. Keisha, Alex et moi, nous avons aimé. Hedwige est plus mitigée. A toi de voir !

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  10. Bonjour Je lis je blogue, le seul roman de Tanguy Viel que l'ai lu et j'ai aimé. La manière de raconter l'histoire m'a plu. Bon dimanche.

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    1. J'ai beaucoup aimé aussi l'intrigue et l'atmosphère mais j'ai détesté le cynisme de l'escroc... j'ai éprouvé de l'empathie pour son meurtrier.

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  11. Oh, j'avais tellement aimé ce roman !! Brillant ! Les autres que j'ai lus par la suite m'ont quand même moins emballée ...

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    1. J'ai l'impression effectivement que les avis sur ses autres romans sont davantage partagés.

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