Les infiltrés. Norman Ohler
L’histoire des résistants allemands
au nazisme sous le Troisième Reich est mal connue. On connait un peu celle d'Otto
et Elise Hampel grâce à la version romancée d’Hans Fallada dans Seul dans Berlin. On sait par ailleurs que des groupes ont existé à Hambourg, Munich et Berlin,
à l’instar de La Rose Blanche et de L’Orchestre Rouge. Norman Ohler s’est
intéressé à deux personnes au sein de ce réseau. Il s’agit d’un couple : Harro
et Libertas Schulze-Boysen, exécutés avec d’autres compagnons de lutte, le 22
décembre 1942 à la prison de Plötzensee. Les infiltrés n’est pas un roman mais un
essai biographique. La tâche de Norman Ohler n’a pas été simple puisque Hitler
avait ordonné de faire disparaître toutes traces des évènements liés à
l’Orchestre Rouge. Les documents d’archives sont rares et ont été falsifiés.
Norman Ohler rencontre d’abord
Hans Coppi, le fils de Hilde (1909-1943) et Hans Coppi "senior" (1916-1942), des
militants communistes. Il est né en novembre 1942, soit moins d’un mois avant
l’exécution de ses parents. Ceux-ci appartenaient au cercle de résistants
proches d'Arvid Harnack (1901-1942) et d’Harro Schulze-Boysen (1909-1942). Ils font
partie des victimes de la rafle qui a décimé l’organisation. Leur fils a grandi à Berlin Est et a passé sa
vie à reconstituer leur histoire. Ohler se rend également sur le site des
anciens quartiers généraux de la Gestapo. Les bâtiments ont été détruits à la
fin de la seconde guerre mondiale et un musée (le mémorial de la Topographie de
la Terreur) a été érigé à la place. Son étude s’appuie enfin sur les archives
familiales des Schulze-Boysen, ainsi que la correspondance d’Otto Ludwig
Haas-Heye et de Viktoria Ada Astrid Agnes Comtesse zu Eulenburg, les parents de
Libertas. En février 2006, soit 63 ans après l’exécution d’Harro, son frère
cadet, Hartmut Schulze-Boysen, obtient enfin l'annulation de l'arrêt de la cour
martiale du Reich contre son aîné.
Norman Ohler a choisi de
commencer son récit le 26 avril 1933. Hermann Göring vient d’ordonner la
création d’une police secrète d’état (Geheime
Staatspolizei). Harro a 23 ans. Il est inscrit en droit à l'Université
Friedrich-Wilhelm de Berlin. Il est aussi le rédacteur en chef d’un journal
bimensuel appelé Gegner. Ce même jour, il est en réunion de rédaction avec ses
camarades. Un groupe d’hommes en uniforme noir vient frapper à sa porte. Ils
appartiennent à la 3ème section SS. Ils confisquent de nombreux
documents (livres, photos, notes, etc) et embarquent Harro, ainsi que son
adjoint, Henry Erlanger (Karl Heinrich de son vrai nom), fils d’un banquier
berlinois juif. Les deux jeunes hommes sont conduits au quartier général de la
section, au 29 Postdamer Strasse. Henry Erlanger ne reviendra jamais de cette
rafle et Harro Schulze-Boysen en gardera les stigmates pour le restant de ses
jours. Ce drame est le détonateur qui va pousser notre héro à s’impliquer
davantage dans la résistance. Il comprend notamment qu’il sera plus utile ailleurs.
Il faut, pense-t-il, dynamiter le régime de l’intérieur. Dans cette optique,
Harro commence une formation de pilote à Warnemünde. En avril 1934, il entre au
département des communications au ministère de l'Aviation du Reich (RLM). Cette
même année, il rencontre Libertas Haas-Heye (1913-1942), qu’il épousera deux
ans plus tard. La jeune femme vient d’être embauchée comme attachée de presse
au sein de la Metro-Goldwyn-Mayer, après le licenciement de tout le personnel
de confession juive. Plus tard, elle sera employée au ministère de l’Éducation
du peuple et de la propagande, où elle aura accès à des photos de soldats
allemands montrant des crimes de guerre commis sur le front de l’Est. Notre
couple est désormais infiltré au cœur du régime nazi.
Le livre de Norman Ohler est très
dense. Il est clair que l’écrivain allemand a eu à cœur d’être le plus précis
possible et qu’il a réalisé un travail de recherche remarquable. De fait, cet
ouvrage d’historien est moins fluide qu’un roman sur le même sujet. J’ai
ressenti ces longueurs nécessaires même si j’ai trouvé le livre intéressant et
bien construit. J’ai apprécié le fait que le texte soit complété par quelques
documents iconographiques, ainsi que des extraits de correspondances et de
rapports. J’ai découvert en rédigeant ce billet qu’il existe également un
documentaire de la réalisatrice autrichienne Barbara Necek consacré aux femmes
de la résistance allemande (39-45, Les résistantes allemandes). Parmi celles
qui sont mentionnées, il y a Libertas Schulze-Boysen, mais aussi la journaliste
Ruth Andreas-Friedrich et l'étudiante Sophie Scholl.
💪Lecture dans le cadre du challenge des "Feuilles allemandes",
organisé par Livrescapades & Et si on bouquinait ?
📌Les infiltrés. Norman Ohler. Petite bibliothèque Payot, 448 pages (2023)
Très intéressant : merci pour ce conseil de lecture.
RépondreSupprimerLa résistance allemande au nazisme n'est pas un sujet souvent abordé mais elle a existé
Supprimerc'est important de lire ce livre car on ne parle pas assez de l'impossibilité de résistance sous une dictature. Je viens d'entendre deux palestiniens de Gaza qui expliquent à que Le Hamas est une dictature et que personne en peut s'opposer à eux, et en même temps bien sûr ils détestent Israël qui a tout détruit pour écraser ces terroristes . Pauvres gens!
RépondreSupprimerIl y a des contextes très difficiles et on a aussi tendance à généraliser, mettre tout le monde dans le même panier.
SupprimerMerci pour ce billet, je te dois la découverte du réseau de l'Orchestre Rouge. Je note ce titre. J'ai également lu un essai historique sur la période, il me reste à écrire la chronique...
RépondreSupprimerPour ceux qui s'intéressent à cette période historique, je pense qu'il serait intéressant de creuser un peu sur L'orchestre rouge et sur les réseaux de La rose blanche ou de La rose blanche de Hambourg.
SupprimerMerci pour cette proposition, je ne peux que la noter. J'avais adoré "Seul dans Berlin".
RépondreSupprimerJ'ai beaucoup apprécié aussi "Seul dans Berlin". Même s'il s'agit d'un roman, je crois que c'est l'un des premiers témoignages sur la résistance des Allemands au régime nazi.
SupprimerC'est une thématique très intéressante, car comme tu dis, on connaît mal l'histoire de la résistance allemande au nazisme. J'avais d'ailleurs en projet de lire Seul dans Berlin (merci pour le rappel !) que je n'ai toujours pas lu car c'est un bon petit pavé tout de même. Il faut que je trouve à le caser.^^
RépondreSupprimerSi je me souviens bien, j'avais profité de la période estivale et du challenge "Pavés". Le style m'avait d'abord dérouté un peu mais on s'y fait
SupprimerOn ne parle pas beaucoup de cette résistance là en effet et pourtant, c'est important de savoir qu'elle a existé.
RépondreSupprimerSans doute que le traumatisme était si important qu'il était difficile de faire la part des choses
SupprimerPayot propose de bons bouquins. Je préfère ces écrits, même si ardus, à du 'romancé'
RépondreSupprimerIls publient aussi pas mal de récits de voyage. J'aime bien aussi cet éditeur
SupprimerEffectivement parler de ce sujet de la résistance allemande est vraiment intéressant. Je le note car franchement je n’y connais pas grand chose mais il me semble qu’il est un peu dense et documenté pour moi. Je ne connais pas le film dont tu parles. Tu es vraiment une source d’idées !
RépondreSupprimerJe trouve aussi beaucoup d'idées (trop pour le temps dont je dispose) sur les blogs que je fréquente (dont le tiens). J'aime également participer à certains challenges qui m'obligent parfois à sortir de ma zone de confort avec de bonnes (le plus souvent) et mauvaises surprises (assez rarement).
SupprimerVoilà un livre qui m'était complétement inconnu et je dois dire qu'il m'intéresse beaucoup. Merci à toi de l'avoir chroniqué et pour cette nouvelle participation aux Feuilles allemands. Je me dis qu'il fallait un grand courage pour oser défier ainsi un régime passé maître dans la traque de ses opposants.
RépondreSupprimerj'ai étudié l'allemand et j'avais entendu, via une bonne prof, l'histoire de nombreux résistants allemands et tous ces intellectuels exécutés rapidement par Hitler. J'ai vu ensuite, en compagnie d'Allemands, le film racontant l'histoire de la Rose blanche, il m'a profondément marqué et j'y pense souvent. Du coup, je note celui-ci ! Je pense à toutes ces femmes iraniennes, du Prix Nobel de la Paix qui reprend sa grève de la faim, à toutes ces autres femmes qui osent défier le régime. Quel courage !
RépondreSupprimerDans ce cas, ce livre devrait t'intéresser effectivement.
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