La petite-fille. Bernhard Schlink
Je me suis interrogée un petit moment sur la meilleure façon de présenter cet ouvrage car je ne voulais pas dévoiler un pan trop important de l’intrigue. Et puis j’ai pensé, qu’après tout, la quatrième de couverture en dit déjà beaucoup… mais elle reste factuelle. Or, la profondeur de ce roman doit beaucoup à l’habilité de Bernhard Schlink pour l’analyse historique et sa capacité à décortiquer la psyché de ses personnages.
La petite-fille (avec le trait d’union qui marque le lien de parenté) dont il est question s’appelle Sigrun, elle a 14 ans et elle vit dans une communauté Völkisch sur le territoire de l’ancienne RDA. Elle apparaît finalement assez tard dans le roman parce qu’elle est le fruit d’une histoire familiale compliquée. Cette adolescente, élevée dans un milieu néonazi prônant le paganisme et les thèses racistes s’est trouvée de singuliers héros comme Rudolf Hess, "le dauphin d’Hitler" ou Irma Grese "l’hyène d’Auschwitz". Le narrateur, Kaspar Wettner, est son grand-père par alliance. Il a découvert l’existence de Sigrun après la mort de son épouse Birgit. Le couple s’était rencontré en 1965 à Berlin Est, à l’occasion d’un échange culturel entre jeunes Allemands des deux bords. Birgit laisse un livre inachevé dévoilant, qu’avant de passer à l’Ouest pour rejoindre Kaspar, elle a abandonné un enfant, né d’une relation illégitime avec un cadre du parti. Cette révélation explique peut-être la difficulté de Birgit à trouver sa place de l’autre côté du mur puis la dépression profonde qui l’a plongée dans l’alcoolisme.
« Il était au courant de ses dépressions depuis des années. Il avait sans cesse voulu l’envoyer chez un thérapeute ou chez un psychiatre ; il avait des amis qui avaient calmé leurs dépressions en suivant des thérapies ou les avaient bloquées en prenant des cachets. Mais elle n’avait pas voulu. Elle prétendait qu’elle n’était pas en dépression, que la dépression ça n’existait pas. Il y avait des gens mélancoliques, il y en avait toujours eu, c’était son cas. Elle ne voulait pas se laisser transformer en quelqu’un d’autre à coups de médicaments. Que tout le monde doive être équilibré et fiable, c’était une aberration de la modernité. Et de fait, même lorsqu’elle n’était pas déprimée, elle était plus réfléchie, plus sérieuse, plus triste que d’autres. Non qu’elle fût incapable de rire d’un fait ou d’une remarque amusante. »
Kaspar, qui a toujours été un mari délicat et compréhensif, encaisse tant bien que mal ces révélations et surtout le fait que son épouse lui ait caché tout un pan de sa vie. Après quelques semaines d’hébétude, il décide de mener les recherches filiales que sa femme n’a jamais osées ou voulues entreprendre. Une vieille carte postale le met sur la piste de Paula, une amie d’enfance de Birgit qui l’a aidée à accoucher de Svenga, sa fille.
« Parmi les dossiers se trouvait une carte postale. Elle reproduisait La belle chocolatière de Jean-Etienne Liotard, qui se trouve à la Gemäldegalerie de Dresde. Il tourna la carte. Elle portait un timbre de RDA et aucun nom d’expéditeur. « Chère Birgit, je l’ai vue récemment, c’est une petite fille joyeuse. Elle te ressemble. Ta Paula. » Il retourna la carte postale et regarda attentivement la belle chocolatière. Il ne put voir aucune ressemblance. Attentive, oui, Birgit pouvait avoir un air attentif, mais pas avec ce nez pointu ni cette bouche en cœur. Et joyeuse, non, de fait la belle chocolatière n’avait pas un air joyeux. »
L’enquête va se poursuivre dans le Mecklembourg et confronter Kaspar à un milieu radical qui lui est totalement étranger. Svenga a eu une jeunesse chaotique, tombant dans la violence et la drogue, avant de rejoindre un groupuscule fasciste. Puis elle s’est mariée à une sorte de gourou néonazi avec lequel elle a eu une fille à son tour. Kaspar comprend que Svenga ne veut rien accepter de lui mais il n’est peut-être pas trop tard pour Sigrun. Fils de protestants, cultivé et tolérant, le septuagénaire cherche le moyen de toucher cette étrange adolescente. Restant égal à lui-même face à l’adversité, il choisit la voie de la musique et de la littérature pour apaiser le jeune esprit de Sigrun et l’inciter à s’ouvrir d’elle-même à un autre mode de pensée.
J’ai retrouvé dans La petite-fille un certain nombre d’éléments stylistiques déjà présents dans Le Liseur (Gallimard, 1996). Bernhard Schlink, a un talent particulier pour aborder les sujets les plus périlleux avec une sorte de distance pudique mais sans concession. J’ai éprouvé beaucoup de tendresse pour Kaspar Wettner, un homme blessé mais généreux en amour tout en respectant l’individualisme de ses proches. Son sang-froid face à l’agressivité de Bjorn, le mari de Svenga et le père de Sigrun, est remarquable.
💪Lecture dans le cadre du Challenge des Feuilles allemandes à suivre sur les blogs Et si on bouquinait un peu et Livr’escapades
📚D’autres avis que le mien chez Alex Mot à Mots, Kathel, La Petite Liste, Aifelle et Marilyne
📌La petite-fille. Bernhard Schlink. Gallimard, 352 pages (2023)
Commentaires