W. ou la guerre. Steve Sem-Sandberg

W. ou la guerre. Steve Sem-Sandberg

Le romancier suédois Steve Sem-Sandberg a déjà publié deux romans dédiés à l’histoire allemande. Le premier, Les Dépossédés (Robert Laffont, 2011), est consacré aux habitants du ghetto de Łódź entre 1940 en 1944. Le second, Les Élus (Robert Laffont, 2016), aborde le thème de l' "Euthanasie" des enfants sous le Troisième Reich. W. ou la guerre, son dernier ouvrage traduit en français, traite d’un fait divers qui a défrayé la chronique au 19ème siècle et inspiré une pièce de théâtre.  Cette œuvre de Georg Büchner (1813-1837), intitulée Woyzeck, est considérée comme un classique de la littérature allemande. Elle est pourtant restée inachevée à la mort de son auteur. En 1922, le compositeur Alban Berg (1885-1935) en a tiré un opéra (Wozzeck). Enfin, le réalisateur allemand Werner Herzog l’a adaptée au cinéma en 1979 avec Klaus Kinski et Eva Mattes dans les rôles principaux. A l’instar de la pièce de Büchner, le roman de Steve Sem-Sandberg s’appuie sur les archives judiciaires. 

Le 27 août 1824 à Leipzig, une exécution attire plusieurs milliers de badauds. Elle est le dernier acte d’un procès retentissant mettant en cause un certain Johann Christians Woyzeck. Le condamné, âgé de 44 ans, est accusé du meurtre de sa maîtresse, la veuve Johanna Christiania Woost. Il a reconnu l’avoir poignardée à mort, 3 ans plus tôt… mais la question de la santé mentale du prévenu au moment de son crime a longtemps fait débat et donné lieu à deux recours en grâce auprès du roi Frederic-Auguste 1er. Il semble en effet que Woyzeck souffrait d’hallucinations, de crises d’épilepsie et de paranoïa depuis sa jeunesse. Lors de son interrogatoire, il a reconnu avoir entendu des voix lui intimant de tuer son ancienne amante. Celle-ci l’avait rejeté et humilié. L’avocat de la défense, maître Hänsel, réclame alors un examen médico-légal.  Une première expertise du professeur Clarus (1774-1854), atteste de sa santé mentale après cinq entretiens. Woyzeck est condamné à mort une première fois le 22 février 1822 mais la sentence est suspendue suite à la déposition d’un nouveau témoin oculaire. Selon lui, Woyzeck aurait présenté des signes de confusion quelques jours avant son acte. Clarus examine le prévenu entre janvier et février 1923 puis confirme son diagnostic initial. L’exécution est ordonnée par le juge en juillet 1824 et validée par le maire de Leipzig, Christian Adolf Deutrich (1783-1839). 


Illustration : Christian Gottfried Heinrich Geißler (1770–1844) via Wikipédia


Si mon résumé comporte une chronologie assez précise, je dois signaler qu’elle est le fruit de mes recherches sur Internet. En effet, le livre de Steve Sem-Sandberg est bien une œuvre romanesque et non un essai historique. Au-delà de la biographie de Johann Christians Woyzeck, son incapacité à garder un emploi, ses relations difficiles avec autrui (et en particuliers avec les femmes), les horreurs dont il a été témoin (voire partie prenante) pendant ses années de campagnes militaires, ce qui intéresse véritablement l’écrivain c’est justement ce qui n’est pas dans les archives. Que se passe-t-il exactement dans la tête de ce marginal ? L’intrigue nous est rapportée selon son point de vue, avec ses omissions (volontaires ou non) et ses incohérences. De fait, la narration est loin d’être fluide et le lecteur a parfois du mal à suivre le cheminement de pensée du narrateur. Steve Sem-Sandberg n’a pas choisi la facilité et n’apporte pas de réponse définitive. La question qui se pose finalement, est celle du déterminisme. L’homme est-il fou ? Si oui, est-il né malade ou est-ce la dureté de la vie qui l’a fait basculer dans la folie ? Les polémiques ont perduré pendant plusieurs années après la mort de Woyzeck… alors que la psychiatrie et la psychanalyse n’en étaient qu’à leurs premiers balbutiements. L'appellation psychiatrie est née en 1808 en Allemagne, et ne s'est imposée en France qu’au début du XXe siècle. Les "aliénistes" commençaient tout juste à distinguer les maladies mentales des comportements asociaux (mendicité, vols, meurtres, etc). 

Steve Sem-Sandberg est le récipiendaire de nombreux prix dans son pays natal. En 2016, L’Académie suédoise des Neuf lui a décerné son Grand Prix pour son « œuvre littéraire remarquable, caractérisée par sa dimension intellectuelle, sa précision historique et sa profondeur psychologique ». Si W. ou la Guerre semble être passé inaperçu en France, le roman a été bien accueilli par la critique suédoise. Il a remporté le prix August en 2019, ainsi que le prix du roman de la radio suédoise et le prix de littérature du Conseil nordique. Il a déjà été traduit en allemand et devrait être publié dans une douzaine de pays. 

NB : Le titre de ce roman n’a, que je sache, pas de liens avec l’autobiographie de Georges Perec, W ou le Souvenir d'enfance, si ce n’est la thématique de la guerre. 

W. ou la guerre. Steve Sem-Sandberg. Robert Laffont, 456p. (2022)


Commentaires

  1. J'avais commencé Les élus, mais je me suis enlisée... Wozzeck évoque plutôt pour moi l'opéra. Les dépossédés me dirait plutôt, mais à un moment j'avais lu un roman se déroulant dans ce ghetto, alors tu comprends que je voulais passer à autre chose!

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    1. Oui, je comprends d'autant plus qu'il m'a fallu plus de temps que prévu pour venir à bout de ce livre singulier. Je n'ai pas détesté (au contraire) mais la lecture était parfois fastidieuse

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  2. Et bien c'est vraiment très intéressant ! bravo pour ce bel article et merci pour ce partage :)

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    1. Merci, le sujet est passionnant mais il faut aimer les romans historiques exigeants

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