Stöld. Ann-Helén Laestadius
Je suis vraiment surprise que le roman d’Ann-Helén Laestadius n’ait pas suscité plus d’intérêt en France à ce jour. Stöld, paru chez Robert Laffont pour la rentrée littéraire 2022 a fait peu d’échos dans les médias au cours de ces trois derniers mois et aucune recension n’est encore parue sur Babelio ! J’ai finalement dégoté une chronique d’Anne-Françoise Hivert dans Le Monde des Livres où on apprend que "Stöld" signifie "vol", au sens de "cambriolage" en Suédois.
L’intrigue se déroule sur une dizaine d’années (entre 2008 et 2019) et nous conduit au nord de la Suède, au cœur de la communauté Sámie. Il faut signaler ici que les termes de "Laponie" ou de "Lapons" sont jugés péjoratifs par ce peuple autochtone. Pour désigner cette région, on utilise plus volontiers le mot "Sápmi" en langue vernaculaire. L’héroïne, Elsa, n’a que 9 ans au début du roman. Née dans une famille d’éleveurs de Rennes, elle est alors témoin d’une scène extrêmement traumatisante. Cet évènement est emblématique des conflits qui opposent les éleveurs sámis aux villageois suédois. La police prétend qu’elle n’a ni les moyens ni le temps d’intervenir pour des délits qu’elle juge mineur. La tension monte crescendo entre les deux communautés, tandis que les actes de discriminatoires et xénophobes se succèdent. Néanmoins, le roman d’Ann-Helén Laestadius va au-delà de ce schéma, puisqu’elle évoque en parallèle le poids des traditions au sein du peuple autochtone et le malaise de sa jeunesse. Il est également question en filigrane des problèmes engendrés par la sédentarisation et l’acculturation forcées des Sámis dont l’écrasante majorité a abandonné la renniculture pour vivre en ville.
Ann-Helén Laestadius explique dans ses remerciements qu’elle s’est inspirée de faits réels, notamment en ce qui concerne la centaine de plaintes déposées par une communauté d’éleveurs de rennes et systématiquement classées sans suite par la police. Il faut dire que la romancière est née kiruna, à 200 km du cercle polaire. Sa famille est d’origine samie et tornédalienne. Elle connait donc très bien la culture de ce peuple autochtone. Stöld est d’ailleurs composé de 86 chapitres dont les noms sont restés en version originale. Par exemple le nombre 60 se dit "guhttalogi" (De guhtta « six » et de logi « dix») en Same du Nord. Si on poursuit le comptage, on écrira guhttalogiokta(61), guhttalogiguokte(62), guhttalogigolbma(63) etc. A la fin du livre, un glossaire permet de trouver la signification du vocabulaire qui émaillent le texte (boazu pour renne, dálvi pour hiver…). Il faut savoir qu’il n’y a pas une langue unique mais plusieurs langues sames, soit 9 aires linguistiques pour 35 000 locuteurs environs, répartis entre la Norvège, la Suède, la Finlande et la Russie.
Ann-Helén Laestadius signe un livre passionnant que l’on pourrait qualifier de roman social mais aussi de thriller tant la tension dans le récit est forte. En Suède, Stöld a reçu le prix du Livre de l’année 2021. Par ailleurs, si on en croit les rumeurs qui courent sur Internet, le roman devrait être adapté en long-métrage pour Netflix. Le tournage, dirigé par Elle Màrjà Eira, devrait débuter au printemps 2023.
📝NB : L’histoire des Samis ne m’était pas totalement étrangère puisqu’elle était déjà abordée dans Un pays de neige et de cendres de Petra Rautiainen, un roman que j’ai lu récemment. L’intrigue se déroule également en Scandinavie du nord mais coté finlandais.
Extrait :
« C’était lui. Elle ne prononçait jamais son nom. Il tenait, entre ses lèvres pincées, un petit triangle duveteux. À la main, un couteau ensanglanté. Elsa serra ses bâtons de toutes ses forces. Si fort que ses articulations gelées lui faisaient mal. Il recracha le morceau d’oreille et le fourra dans la poche de son pantalon jaune crasseux. De ceux que portent les ouvriers routiers. Les larges bandes réfléchissantes scintillèrent quand il passa devant les phares de la motoneige. Le faon mort gisait près de la barrière, à l’extérieur de l’enclos. Il se pencha vers l’animal. Pour l’emporter ? Son renne à elle. Une petite femelle. Était-ce bien elle ? Oui, Elsa reconnaissait la tache blanche au niveau du front. Nástegallu. Sa gorge laissa échapper un son. Il l’entendit. Scruta de son regard expert entre les arbres jusqu’à la trouver. Peut-être ne la reconnaissait-il pas avec ses cheveux argent. Ses lèvres formèrent un juron. Il s’avança à pas lourds vers elle. Sa langue pressait son tabac sous sa lèvre supérieure, contre sa gencive. C’est alors qu’il esquissa un sourire mesquin. Il pointa l’index vers elle, le posa sur ses lèvres fines pour lui ordonner de garder le silence, puis le fit glisser sur son cou. Tu es morte. Voilà ce que cela signifiait, elle le savait. »
📚D'autres avis que le miens : Livr'escapades et Aifelle
📌Stöld. Ann-Helén Laestadius. Robert Laffont, 450 pages (2022)
Je l'ai repéré à sa sortie, et j'ai vu un billet positif chez une blogueuse (je ne sais plus laquelle). J'aimerais bien qu'il sorte en poche, plus pratique à emmener partout.
RépondreSupprimerOui, c'est un très bon roman. Il vaut vraiment la peine qu'on le lise.
RépondreSupprimerNB: J'aime bien les livres de poche, moi aussi. Ils sont moins lourds dans les mains et plus faciles à transporter. Cela dit, j'ai une liseuse maintenant. Elle fait bien le job aussi.
J'ai essayé la liseuse mais je ne suis pas à l'aise avec et je n'aime pas lire dessus. J'en reste au bon vieux papier :-)
SupprimerRobert Laffont ne fait pas bien son job... heureusement qu'il y a les blogs pour se tenir informé !
RépondreSupprimerL'auteur est en France en ce moment. Elle était au festival des Boréales à Caen ce week-end et devrait faire une petite tournée dans la foulée.
SupprimerJe viens de vérifier, il est à la bibli (mprunté d'ailleurs)
RépondreSupprimerExcellente nouvelle ! Sinon, un autre livre vient de sortir sur les Samis. Il s'agit d'un essai d'Elin Anna Labba : "Vies de Samis. Les déplacements forcés des éleveurs de rennes" aux éditions du CNRS.
SupprimerMerci pour cette découverte, je le note fissa!
RépondreSupprimerL'histoire de cette région m'intéresse beaucoup, d'autant plus que j'ai passé cinq jours dans la région d'Abisko (à 1h de route au nord-ouest de Kiruna) en août 2018. Magnifiques souvenirs...
Quelle chance ! Je suis très attirée par la Scandinavie. J'ai fait des étapes trop rapides en Suède et en Finlande (il y a une dizaine d'années déjà) et je ne suis pas allée si haut. En ce qui concerne le roman, je pense qu'il faut le lire moins pour le suspense que l'aspect ethnographique. Tu me diras ce que tu en penses.
SupprimerJe viens de vérifier : il est disponible dans ma BM, je viens de faire une réservation :-)
RépondreSupprimerBonne nouvelle ! j'ai hâte de connaître ton avis.
SupprimerJe cherchais justement des avis éclairés sur ce roman, je suis maintenant convaincue, merci !
RépondreSupprimerC'est plutôt un avis de dilettante mais je suis ravie si je vous ai convaincu.
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