Au milieu de l'été, un invincible hiver. Virginie Troussier

Au milieu de l'été, un invincible hiver. Virginie Troussier


 Il y a 60 ans exactement, en juillet 1961, un groupe d’alpinistes chevronnés partait à l’assaut d’un des derniers piliers inexplorés du Mont-Blanc. Cette aventure extraordinaire avait débuté d’une manière tout à fait exemplaire d’un point de vue sportif, technique et humain. Mais c’était sans compter avec la météo capricieuse et implacable des régions montagneuses.  L’histoire s’est achevée dans le drame avec la mort de 5 hommes. Virginie Troussier, romancière et journaliste spécialisée, nous en fait le récit. S’appuyant sur les témoignages de Pierre Mazeaud et de Walter Bonatti, elle a tenté de restituer le terrible parcours des alpinistes, jour après jour, presque heure par heure : le froid, l’humidité, l’inconfort, la fatigue, la souffrance, l’impuissance face aux éléments déchaînés… autant de sensations et de sentiments qui ont eu raison de ces sportifs aguerris. 

J’ignore s’il faut être alpiniste pour ressentir pleinement les évènements, mais quiconque a pratiqué la randonnée ou le ski dans des conditions difficiles, imagine sans doute un peu ce que les protagonistes ont pu endurer. Une chose est sûre, il faut faire un effort d’imagination et avoir au moins une vague idée de la géographie du lieu pour comprendre le déroulement de cette tragédie alpestre. Depuis sa première ascension par Jacques Balmat en 1786, le Mont Blanc (4 810m) n’a cessé d’attirer de plus en plus d’alpinistes. Il existe une trentaine d’itinéraires, sur les versants français et italiens, pour atteindre le toit de l’Europe. Au début des années 1960, il restait encore quelques parois à explorer. Le pilier central du Freney, sur le versant italien, en faisait partie. Il s’agit d’un immense "pilier" de granit rouge qui, entre 4 000 et 4 750 mètres, soutient la calotte glacière du mont Blanc. 

Le dimanche 9 juillet 1961, la cordée italienne part de Courmayeur où elle attendait une fenêtre météorologique favorable. Elle est composée de deux guides expérimentés, Walter Bonatti et Andrea Oggioni, ainsi que de leur client Roberto Galliéni. Arrivés au refuge du col de la Fourche, à 3 600 mètres d’altitude, ils croisent un groupe de Français. Ceux-là sont partis la veille de Chamonix. Pierre Mazeaud et Pierre Kohlmann sont parisiens. Ils se connaissent depuis longtemps, pratiquent l’escalade sur les rochers de Fontainebleau et se rendent régulièrement en Haute-Savoie pour assouvir leur passion. Robert Guillaume est également originaire de la capitale mais s’est installé près du Mont-blanc. Antoine Vieille est son compagnon de cordée habituel. Tous sont d’excellents grimpeurs. 

Les deux groupes décident de poursuivre ensemble l’aventure. Il faut d’abord récupérer le matériel des Italiens, caché deux ans plus tôt, suite à un abandon forcé de l’escalade. Walter Bonatti, de loin le plus expérimenté, s’impose logiquement comme chef de cordée. Le mardi 11 juillet, pourtant, il a laissé la primeur à Pierre Mazeaud. Pendant que le Français commence son ascension pour équiper la première longueur d’escalade artificielle, les Italiens préparent le dernier bivouac sur la base de la Chandelle. 

Vers 14h00, alors que le Français frappe la roche avec son marteau pour planter un piton, il croit entendre une sonnerie de téléphone. En réalité, l’air est saturé d’électricité. Le temps de redescendre vers Pierre Kohlmann, quelques mètres plus bas, et l’orage se déchaîne. Son équipier, qui porte une prothèse auditive, est frappé par la foudre. Kohlmann s’évanouit. Mazeaud lui fait immédiatement une injection de Coramine. Or, cet accident n’est que le début d’une longue tragédie. Les alpinistes attendront plusieurs jours le retour du beau temps et tiendront de longues heures dans l’espoir de « s’évader par le haut » (continuer l’escalade vers le sommet). Le vendredi 14 juillet, il faut se rendre à l’évidence et entamer la descente. Forcés d’abandonner à 80 m du sommet du pilier, ils devront descendre le glacier du Frêney, remonter le col de l’Innominata puis gagner la cabane Gamba (aujourd’hui refuge Monzino) … dans la tempête.

L’auteur s’attache à décrire ce que ces hommes vigoureux ont pu ressentir dans leur chair mais aussi face à l’agonie de leurs frères d’armes. La souffrance et l’horreur montent crescendo, les corps s’abîment au-delà des limites du possible puis les hommes s’effondrent d’épuisement ou de folie. Que dire du traumatisme des survivants, l’incompréhension et la douleur des proches… ? Les questions et les soupçons viennent ternir encore cette histoire qui aurait dû être une formidable aventure sportive et humaine, un exemple de fair-play transfrontalier et de solidarité internationale.

Walter Bonatti et Pierre Mazeaud, les deux seuls rescapés de cette tragédie, en témoignent dans leurs autobiographies respectives. L’Italien l’évoque dans ses mémoires intitulées Montagnes d'une vie et parues en 1961 (dans le chapitre XI : La grande tragédie du pilier central). L’ouvrage a été réédité cette année aux éditions J’ai Lu. Le Français, quant à lui, en parle dans son récit intitulé Montagne pour un homme nu (chapitre XI : Le pilier central du Freney), publié en 1971 et réédité plusieurs fois depuis.

Virginie Troussier est journaliste pour Montagnes Magazine, Alpes Magazine et Voile Magazine. Elle est aussi l’auteur de plusieurs livres dédiés aux sportifs de haut niveau dont le champion paralympique Michaël Jérémiasz ou le skieur américain Bode Miller. 

Au milieu de l'été, un invincible hiver. Virginie Troussier. Paulsen, 128 p. (2021)


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