Le chat dans la littérature japonaise

Le chat est l’un des animaux les plus présents dans la culture japonaise. Même s’il n’a pas toujours bon esprit dans le folklore (Nekomata, Bakeneko...), on le trouve absolument partout.  Les félins sont présents jusque dans les bars (Neko-cafés), les temples (Gōtoku-ji, Imado Shrine) ou les musées (Manekineko à Okayama). Bref, les Japonais aiment tellement leurs chats, qu’une journée entière (le 22 février) leur est dédiée. Cet amour porté à leurs animaux est célébré dans tous les domaines artistiques. Les félins ont inspiré les estampes des grands maîtres tels que Utagawa Hiroshige (1797-1858) et Utagawa Kuniyoshi (1797-1861).  En littérature et en poésie, les plus grands écrivains leur ont dédiés des œuvres entières : Kobayashi Issa (1763-1828), Natsume Sôseki (1867-1916), Junichirô Tanizaki (1886-1965) … 

Je suis un chat. Natsume Sôseki

Je suis un chat. Natsume Sôseki. Gallimard, 448 p. (1986)

« Je suis un chat. Je n'ai pas encore de nom. Je n'ai aucune idée du lieu où je suis né », ainsi débute l’un des romans animaliers les plus emblématiques de la littérature japonaise. D’abord paru sous forme de feuilleton dans la revue littéraire Hototogisu (entre 1905 et 1906), Je suis un chat de Natsume Sôseki (1867-1916) a été adapté deux fois au cinéma (en 1935 et en 1975). Il faut attendre la traduction de Jean Folley pour Gallimard en 1978 pour que le livre soit publié en France. Le narrateur est donc un félin. Il vit à Edo (Tokyo) dans la maison de son maître, Chinno Kushami, un professeur de littérature anglaise qui l’a recueilli. Le chat, très arrogant, est également extrêmement cultivé. Il pose un regard plutôt condescendant sur les humains qui défilent dans sa demeure (étudiants, philosophes, hommes d’affaires et oisifs de tous poils), y compris Kushami, sa femme et ses trois filles. La bonne, quant à elle, le déteste et réciproquement. Notre chat donc observe, écoute et analyse tout. Ainsi, à travers, le regard irrévérencieux de ce félin plutôt ingrat, c’est bien une satire de la société japonaise de l'ère Meiji que nous livre Natsume Sôseki. De nombreux auteurs ont rendu hommage à ce roman comme Hiro Arikawa dans ses Mémoires d'un chat, Dazaï Osamu dans La Déchéance d'un Homme où Jirō Taniguchi dans Au temps de Botchan. Le mangaka Tirol Cobato va même au-delà de la simple référence en réalisant une adaptation de Je suis un chat en bande dessinée. Voir la recension ici

Les mémoires d'un chat. Hiro Arikawa

Les mémoires d'un chat. Hiro Arikawa. Babel, 336 p. (2021)

Ce roman plein d’humour et de tendresse rend hommage, dès les premières lignes, au livre de Sôseki (Je suis un chat). Les héros, un chat et un homme, prennent tour à tour la parole. On dit souvent que les chats choisissent leur humain (en aucun cas un maître) et c’est le cas de Nana (qui signifie sept en japonais), dans le livre d’Hiro Arikawa. En effet, le félin a élu domicile dans un parking souterrain, pile poil sur le monospace de Satoru. L’homme nourrit régulièrement le chat de gouttière et finit par l’adopter complètement lorsqu’il est blessé par une voiture. La vie se poursuit ainsi pour le plus grand bonheur de chacun. Malheureusement, quelques années plus tard, un évènement dans la vie de Satoru le contraint à se séparer de l’animal. Il décide alors de lui trouver le meilleur foyer possible. L’homme et le chat embarquent dans le monospace et partent en quête du « maître idéal » parmi les proches de Satoru… mais Nana, qui a un fort caractère,  ne se laisse pas facilement amadouer… Peu importe ! Car, si ce voyage est l’occasion pour Satoru de renouer avec son passé, il lui permet aussi de passer de précieux moment en compagnie de Nana. Voir la recension ici

Les chats ne rient pas. Kosuke Mukai

Les chats ne rient pas. Kosuke Mukai. Picquier, 160 p. (2020)

Les chats ne rient pas est un roman émouvant, une ode à l’amour que nous portons à nos animaux domestiques et surtout au bien qu’ils nous font. Kosuke Mukai, qui est scénariste, nous conduit à travers ce roman, dans un milieu qu’il connait bien. Ces personnages travaillent en effet dans le monde du cinéma. Hayakawa, le narrateur est lui-même scénariste, tandis que Renko, son ex-compagne, est réalisatrice. Lorsqu’ils étaient en couple, ils ont recueilli un jeune chat de gouttière appelé Son. Or, Son est gravement malade. Renko, qui n’a plus de contact depuis longtemps avec Hayakawa, lui demande de lui prêter main forte pour s’occuper de l’animal. C’est ainsi que l’ex-mari vient s’installer chez Renko et son nouveau compagnon, Myata. Le ménage à trois s’organise tant bien que mal autour des soins à apporter à Son. Comme on s’en doute, la cohabitation est plutôt compliquée mais c’est l’occasion pour chacun de s’interroger sur les liens qui les unissent. 

Et si les chats disparaissaient du monde...Genki Kawamura

Et si les chats disparaissaient du monde...Genki Kawamura. Pocket, 176 p. (2018)

D’aucuns vont finir par penser que les chats portent malheur ! En effet, dans ce roman de Genki Kawamura, comme de ceux de Kosuke Mukai et Hiro Arikawa, il est question de maladie et de mort. Dans Et si les chats disparaissaient du monde, le narrateur, âgé de 30 ans, apprend par son médecin qu’il a un cancer et qu’il est condamné à très brève échéance. Le lendemain, au réveil, il reçoit la visite d’un étrange personnage (son sosie en chemise hawaïenne) qui lui propose un marché diabolique. Le héros pourra gagner un peu de sursis s’il accepte le pacte du diable (puisqu’il faut bien l’appeler par son nom). En quoi consiste-t-il ? Le jeune homme devra effacer des choses de la surface de la terre. A chaque fois qu’il aura accomplie sa mission, il gagnera 24 h de vie supplémentaire. Notre narrateur accepte en se disant qu’un certain nombre d’objets inutiles peuvent bien disparaitre sans vraiment causer de tort à personne. Or, ce n’est pas lui qui choisit ce qui doit être effacé ! Le diable lui demande d’abord de se débarrasser des téléphones portables ou des montres … notre trentenaire s’exécute, non sans se poser un certain nombre de questions existentielles… jusqu’au jour où il apprend qu’il doit procéder à l’éradication des chats.  Or, le jeune homme a lui-même un chat auquel il est très attaché. Et voici notre narrateur confronté à la triste réalité : vendre son âme au diable n’est pas un acte anodin ! Dans la précédente traduction aux éditions Fleuve, le livre était intitulé Deux milliards de battements de cœur, en référence à la durée de vie des mammifères. Cela ne correspond pas au même nombre d’années, selon si on est un homme, un éléphant ou un chat (les battements de cœur étant plus ou moins lents ou rapides).

Nosaka aime les chats. Akiyuki Nosaka

 Nosaka aime les chats. Akiyuki Nosaka. Picquier, 256 p. (2018)

Akiyuki Nosaka (1930-2015) n’a pas vécu 7 vies mais presque. Ancien membre de la Chambre des conseillers au sein de la Diète du Japon, il a été boxeur, chanteur et parolier. Il a connu la seconde guerre mondiale et le tremblement de terre de Kôbe. C’est avec son roman Les pornographes, qu’il s’est fait connaître comme romancier. Paru en 1963, le livre a fait scandale au Japon. En France, les amateurs de films d’animation le connaissent par l’intermédiaire d’Isao Takahata qui a adapté pour les studios Ghibli, la nouvelle partiellement autobiographique d’Akiyuki Nosaka sous le titre du Tombeau des lucioles. Nosaka aime les chats est en réalité une série de chroniques rassemblées en un recueil. Elles ont été rédigées par l’auteur vieillissant qui évoquent les animaux de sa vie. L’écrivain japonais nous explique qu’il a longtemps préféré les chiens. Les chroniques sont l’occasion de retracer, à travers différents épisodes de sa vie, sa découverte et son amour grandissant pour les félins. Il se souvient, par exemple, de son premier chat Dada, puis de la femelle, Anju, qui lui a donné moult descendants. Akiyuki Nosaka parle aussi de sa vie quotidienne avec son épouse et de ses filles ont quitté le nid familial. Nosaka passe beaucoup de temps à philosopher dans son bureau, avec ses chats. Il en a déjà cinq (des Himalayens), ainsi qu’une chienne Husky, lorsqu’il recueil un jeune chat de gouttière facétieux et plein d’énergie.  Charly, c’est son nom, devient rapidement le chouchou du maître de maison ; tandis que les Himalayens, plus âgés et plus calmes, préfèrent se réfugier dans les jupons de sa femme. Peu importe car Nosaka les aime tous, c’est évident !

Le chat qui venait du ciel. Hiraide Takashi

Le chat qui venait du ciel. Hiraide Takashi. Picquier Version illustrée, 136 p. (2017)

Le titre, Le chat qui venait du ciel, fait penser à un conte fantastique ou un livre pour enfant puisqu’il est illustré par Qu Lan. Sur le site des éditions Picquier, on apprend qu’il s’agit en fait d’une autobiographie. Hiraide Takashi, qui est poète, nous convit à une sorte de rêverie où la nature occupe une place importante. L’histoire débute avec l’emménagement d’un jeune couple dans une maison traditionnelle, pourvue d’un magnifique jardin. Très vite, le chat des voisins, Chibi (qui signifie petit), vient leur rendre visite. Le couple s’attache rapidement à l’animal qui semble parfois sorti de nul part. Un opus délicat et apaisant qui appelle aux bonheurs simples.

20 ans avec mon chat. Mayumi Inaba

20 ans avec mon chat. Mayumi Inaba. Picquier, 208 p. (2016)

Mayumi Inaba (1950-2014), la narratrice de ce court récit, partage avec nous une tranche de vie avec sa chatte Mî (ainsi baptisée en l’honneur de ses petits miaulements de chaton). La poétesse et sa minette ont en effet passées 80 saisons ensemble, soit 20 années de tendresse et de bonheur partagés… sans compter les diverses péripéties de la vie. C’est à la fin de l’été 1977 que Mayumi Inaba trouve un chaton abandonné, accroché au grillage d’un jardin. Emue par cette petite boule de poils, elle décide de la ramener chez elle. Or, à Tokyo, il n’est pas toujours facile d’avoir un animal domestique à demeure. Peu importe ! La narratrice entretient un lien si particulier avec sa chatte qu’aucun obstacle ne peut les séparer. Son divorce, les déménagements, sa carrière naissante de femme de lettres… Mî partagera tout avec sa maîtresse : ses premiers pas, la découverte du monde et puis la vieillesse et la maladie… La petite chatte est devenue la muse Mayumi Inaba qui lui dédie de nombreux haïkus retranscris dans le livre. Le récit, très intimiste, touchera sans doute davantage les amoureux des chats. Mayumi Inaba est également l’auteur d’un roman autobiographique intitulé La Péninsule aux 24 saisons où elle évoque son départ de Tokyo, avec son chat sous le bras, pour s’installer dans un havre de paix à plus de 500 km de la capitale nipponne. Elle y décrit sa vie quotidienne au rythme du calendrier et de la nature. Un troisième roman a été traduit en français, intitulé La valse sans fin. L’œuvre de Mayumi Inaba a été récompensé par les Prix Kawabata et Tanizaki.

Le chat dans le cercueil. Koike Mariko

Le chat dans le cercueil. Koike Mariko. Picquier, 208 p. (2002)

Le chat dans le cercueil de Koike Mariko est un roman à suspense. La narratrice, Hariu, nous conte une histoire dont les évènements remontent à plusieurs décennies. A l’époque, elle travaillait pour le compte de Gôro, un jeune veuf. Ce séduisant professeur l’avait embauchée pour donner des cours de peinture à Momoko, sa petite fille. En échange d’un logement à demeure, la jeune-fille devait aussi s’acquitter de diverses tâches dans la maison et tenir compagnie à l’enfant. Or Momoko était très secrète et réservée depuis la mort de sa mère et ne se confiait qu’à sa petite chatte, Lala. Hariu avait néanmoins fini par gagner la confiance de sa protégée et une sorte d’équilibre s’était instauré dans la maison… jusqu’à l’arrivée de la séduisante Chinatsu, qui avait fait tourner la tête de Gôro et bouleversé le huis-clos.

Le bureau des chats. Kenji Miyazawa

Le bureau des chats. Kenji Miyazawa. Picquier, 112 p. (2009)

Il s’agit ici d’un recueil de cinq contes fantastiques dont seule la nouvelle-titre convoque des félins. Les autres fables sont Les jumeaux du ciel ; L'araignée, la limace et le blaireau ; La vigne sauvage et l'arc-en-ciel et Le faucon de nuit devenu une étoile. L’auteur y mêle le monde des animaux, des plantes, des astres ou des esprits à la philosophie. Des récits pleins d’humour et de poésie. Sans dévoiler toute l’intrigue de la nouvelle intitulée Le Bureaux des chats, sachez que le sixième bureau des chats est chargé de mener des recherches sur l’histoire et la géographie des félins. Le chef de cette institution est un gros matou un peu gâteux… mais il n’est pas seul dans cette officine puisqu’il règne sur 4 greffiers ou secrétaires. Mais tout ce petit monde ne s’entend pas toujours très bien… Kenji Miyazawa (1896-1933), aujourd’hui considéré comme un classique de la littérature japonaise, n’a connu qu’une gloire posthume. Il a publié de nombreux textes de son vivant mais toujours à compte d’auteur. Il s’agit essentiellement de contes et de nouvelles. On peut le comparer à Jean de La Fontaine (1621-1695) ou à Hans Christian Andersen (1805-1875)

Le chat, son maître et ses deux maîtresses. Junichirô Tanizaki

Le chat, son maître et ses deux maîtresses. Junichirô Tanizaki. Folio, 224p. (1997)

L’ouvrage publié par Gallimard rassemble en fait quatre nouvelles Junichirô Tanizaki (1886-1965):  Le chat, son maître et ses deux maîtresses , Le petit royaume , Le professeur Rado et Le professeur Rado revisité. La nouvelle-titre est d’abord paru en 1936 dans le mensuel Kaizō en deux épisodes. En 1956, le récit a été adapté à l’écran par Shirō Toyoda sous le titre Le Chat, Shôzô et ses deux maîtresses. Il s’agit d’une comédie se jouant autour d’une chatte baptisée Lily. Celle-ci va devenir l’otage d’un véritable triangle amoureux. Shôzô, son maître, est un homme faible et paresseux qui cède aux manigances de sa mère. Shôzô plait aux femmes mais il porte un amour si profond à son animal domestique que sa seconde épouse Fukuko en devient extrêmement jalouse.  C’est ainsi que Shinako, l’ex-femme répudiée, en obtient la garde et compte bien en tirer profit. Elle espère utiliser Lily pour semer la discorde dans le nouveau ménage. Junichirô Tanizaki a eu une vie matrimoniale un peu tumultueuse. Au moment où il écrit cette savoureuse nouvelle, il en est à son troisième mariage. Morita Matsuko, sa nouvelle épouse, restera néanmoins sa femme et sa muse jusqu’à la fin de sa vie. On sait, par ailleurs, qu’avant sa mort, l’écrivain projetait d’écrire un nouveau roman animalier. Le titre (Chronique de chats et de chiens) était déjà trouvé.  

Photo by billow926 on Unsplash


NB : Il existe encore de nombreux chats célèbres ou méconnus qui peuplent les pages des romans japonais mais aussi des mangas. Pour la bande dessinée, on peut citer Chi, une vie de chat de Konami Kanata. On trouve également une liste plus exhaustive de matous dans le passionnant ouvrage de Stéphanie Chaptal et Claire-France : Les chats dans la pop culture.



Commentaires

  1. Un grand "oui" sur la présence des chats dans une foultitude de séries manga: aussi bien celles dont un ou plusieurs félins (grands ou petits, mâles ou femelles) sont personnages principaux, que sur les interactions avec leurs "humains", ceux-ci (yakusas, Mangala etc., étant parfois personnages principaux), séries réalistes ou humoristiques, chats de maison ou chats de gouttières ou des rues... ,Il y en a pour tous les goûts! Et ça mériterait bien un article à part entière...
    (s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola
    (s)

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    1. Tout à fait d'accord avec toi. Il y a beaucoup de chats dans les mangas et il faudrait dédier un autre article au sujet. Côté romans, il y a eu aussi beaucoup de nouvelles parutions depuis que j'ai posté ce billet.

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