Je suis un chat. Natsume Sôseki
« Je suis un chat. Je n’ai pas encore de nom. Je n’ai aucune idée du lieu où je suis né. La seule chose dont je me souvienne est que je miaulais dans un endroit sombre et humide. C’est là que pour la première fois je vis un être humain. En plus, comme je l’ai appris par la suite, il appartenait à l’espèce des étudiants à demeure, la plus féroce parmi les hommes. Il paraît que ces étudiants nous attrapent parfois, puis nous cuisent et nous mangent. Toutefois, comme je ne pensais à rien en ce temps-là, je n’étais pas particulièrement effrayé. »
Ces quelques lignes sont parmi les plus célèbres de la littérature classique japonaise. Elles donnent immédiatement le ton de ce roman satirique : un bijou d’humour et d’érudition, écrit dans un style étonnement fluide. Sa construction, en revanche, peut surprendre le lecteur. Composée d’une série de saynètes, d’anecdotes et de discussions mêlant l’ironie et l’absurde, elle répond aux exigences du feuilleton puisque le texte est d’abord paru dans la revue Hototogisu. Natsume Sôseki, grand intellectuel et adepte de l’autodérision (il raconte, par exemple, sa piètre expérience d’enseignant dans Botchan ou Le Petit Maître) ne s’était pas imaginé en romancier. Il fut incité à publier sa prose après une lecture entre amis et fut surpris par le succès remporté par Je suis un chat.
Composée de 11 chapitres (500 pages quand même !), l’intrigue nous conduit dans le huis clos de la maison du professeur Kushami à Edo. Selon les spécialistes, la langue française ne permet pas toujours de restituer l’arrogance du narrateur qui transpire dans la version japonaise. Néanmoins, il n’échappe à aucun lecteur que le félin n’a guère de considération pour son maître ou les différents personnages qui défilent en sa demeure. Si Chinno Kushami partage de nombreux points communs avec son créateur, il est loin d’être aussi instruit et brillant que Natsume Sôseki. Disons le carrément, c’est un fumiste, un fainéant qui fait plus souvent la sieste qu’il n’est nécessaire et qui est complètement dépassé par les évènements. Pour autant, et en dépit de ses problèmes d’argent, de couple et de voisinage, il ne semble guère motivé pour changer de posture.
Parmi les familiers de la maison, il y a Meitei, un ancien camarade de classe plutôt hâbleur et fantasque, et Kangetsu, un étudiant pour le moins farfelu. Le premier fait sans cesse des blagues qui mettent ses interlocuteurs dans l’embarras et le second se perd dans une thèse de physique abracadabrante mais qui est censée lui ouvrir les portes du bonheur matrimonial. Les échanges entre ces protagonistes, et le compte-rendu qu’en propose le chat, sont proprement jubilatoires.
Le roman est truffé de références aux cultures grecque antique, chinoise, anglaise et japonaise, ainsi que d’allusions au contexte de l’époque. Il est notamment question de la guerre russo-japonaise, de la fin du "sakoku" (littéralement « fermeture du pays »), de la modernisation du Japon sous l’ère Meiji (1868-1912) et de l’influence croissante de l’occident sur la société nippone de ce début de 20ème siècle. De fait, il y a beaucoup de digressions mais elles sont le sel de ce plaisant roman. A la fin du prologue, Jean Cholley, le traducteur, conclut avec raison que « Je suis un chat (…) suffit amplement à démentir l’opinion si répondue selon laquelle les Japonais manquent d’humour. »
📝Il n’est bien sûr pas nécessaire d’aimer les chats pour goûter toute la saveur de ce roman. Pour ma part, c’est un gros coup de cœur qui m’a donné envie d’en savoir davantage sur Natsume Sôseki (cf une présentation de Sanshirô par Cécile Sakai et un documentaire de France culture intitulé Natsume Sôseki (1867-1916) : D'un Japon clair-obscur - une vie, une œuvre). Par ailleurs, pour ceux que ça amuserait comme moi, j’ai rédigé une bibliographie non exhaustive dédiée au Chat dans la littérature japonaise.
📌Je suis un chat. Natsume Sôseki. Gallimard, 501 pages (1986)
Commentaires
J'ai aussi prévu (un jour?) de lire oreiller d'herbe.
Merci pour la bibliographie. Tu as aussi Mémoires d'un chat. Prévoir mouchoir.
Sinon, dans ma PAL, j'ai une autre histoire de chat (par une autrice chinoise cette fois) mais je crains un peu d'être déçue.