Les mémoires d'un chat. Hiro Arikawa
« “Je suis un chat. Je n’ai pas encore de nom.” Il paraît que dans ce pays, un chat de génie a prononcé ces mots. Je ne sais pas s’il était génial, mais moi, au moins, j’ai un nom. Sur ce point, le chat de génie, je le mets à l’amende. Quant à savoir si mon nom me va bien, c’est une autre histoire. Parce que celui qu’on m’a donné pose tout de même un problème d’adéquation au niveau du genre. Ça fait environ cinq ans que je le porte, ce nom. »
Notre narrateur, à l’inverse du chat gouailleur de Sōseki, a donc un nom. Un nom aux consonances féminines, ce qui ne lui plait guère. Il s’appelle Nana parce que sa queue prend la forme du chiffre 7. C’est du moins ainsi que son nouveau maître, Satoru Miyawaki, explique son choix. Et puis Nana ressemble tellement à Hachi, le chaton qu’il a adopté lorsqu’il était enfant…
« La seule différence, c’est que le crochet de sa queue était tourné dans l’autre sens. Mais les taches sur la tête étaient pareilles. Ses taches formaient une sorte d’accent circonflexe ouvert, comme le chiffre 8 en japonais, alors on l’avait appelé Hachi, qui veut dire “huit” »
Nana ne sait pas lire mais il est polyglotte. Cette compétence lui permet de nous raconter son histoire et celle du jeune homme qui l’a recueilli dans son foyer. Ces ceux-là se sont rencontrés dans un parking où le chat de gouttière aimait se réfugier, confortablement installé sur le monospace de Satoru. Un peu farouche, au début, le matou s’était finalement laissé amadouer par l’humain.
« Nos relations s’étaient donc établies sur la base du maintien d’une distance convenable entre les deux parties, quand un changement radical est intervenu, qui devait bouleverser notre vie à tous les deux. Un changement, qui, pour ma part, s’est produit dans la douleur. »
Après un accident de voiture qui lui blesse sévèrement la patte, Nana accepte de s’installer chez Satoru le temps de la sa convalescence. Cette cohabitation temporaire va se prolonger pendant cinq ans, cinq ans de respect mutuel et de tendresse réciproque. Et puis un jour Satoru explique à Nana qu’il ne pourra bientôt plus s’occuper de lui. Soucieux de lui trouver un foyer de substitution, il organise un voyage qui doit les amener jusqu’au maître idéal. Ce road-trip va conduire les deux amis à traverser pratiquement tout le Japon, depuis Tokyo jusqu’à l’île d’Hokkaido, en passant par le mont Fudji. Chaque arrêt est un crève-cœur, pour l’humain comme pour le félin, puisqu’il est peut-être le dernier, le lieu où ils devront se dire adieux. Il s’agit également d’une sorte de voyage à rebours dans la vie de Satoru. Chaque étape lui permet de renouer avec une personne chère à son cœur. Et, à chaque fois, Nana trouve le moyen de faire capoter son adoption, obligeant le tandem à reprendre la route vers un nouveau refuge potentiel. Le lecteur sait que leur quête doit nécessairement aboutir, car il comprend que Satoru n’abandonnerais jamais son compagnon sans une raison valable. Si le mystère n’est officiellement dévoilé que dans la dernière partie du récit (la plus émouvante), tout le monde l’aura deviné depuis le début.
Les mémoires d'un chat semblent faire l’unanimité en France comme dans les autres pays où il a été publié. Certains adjectifs reviennent souvent dans les critiques comme humoristique, poétique ou touchant. J’ai même trouvé une recension très positive dans The Guardian et une chronique de l’écrivain irlandais John Boyne pour l’Irish Times. Par ailleurs, le roman a été adapté au cinéma (sous le titre de Tabineko ripôto) par le réalisateur japonais Kôichirô Miki en 2018.
Je dois avoir l’esprit chafouin car je ne partage pas complètement cet engouement. J’avais pourtant apprécié le second ouvrage d’Hiro Arikawa, Au prochain arrêt (2021) et même prévu de lire Au revoir les chats ! (2023), la suite des Mémoires. Je ne suis plus si sûre d’en avoir envie. J’ai trouvé l’histoire et la construction de l’intrigue intéressantes. En revanche, les dialogues m’ont paru lourds et l’expression des sentiments un peu maladroite. Sachant que l’autrice publie des "Light Novels" pour adolescents, je me suis demandée s’il ne s’agissait pas d’une sorte de déformation professionnelle consistant à s’assurer que le lecteur a bien compris les intentions de l’autrice. Ces circonvolutions m’ont beaucoup agacée. J’ai sauté de nombreuses pages et j’ai même songé à refermer le livre sans l’avoir terminé. Aux amoureux des chats, je préfère recommander Je suis un chat de Natsume Sōseki.
La relation homme / chat est un sujet souvent traité dans la littérature japonaise comme en témoigne les romans de Junichirô Tanizaki, Kosuke Mukai, Akiyuki Nosaka ou, plus récemment, Sosuke Natsukawa (Le chat qui voulait sauver les livres).
📚D’autres avis que le mien : Aifelle, Luocine, Keisha et Alex-mot-à-mots. Allez voir aussi les billets de Fanja, Keisha et Sunalee sur Au revoir les chats, des "gaiden", c'est à dire des histoires parallèles à l'histoire principale ou en complément de celle-ci.
📌Les mémoires d'un chat. Hiro Arikawa, traduit par Jean-Louis de la Couronne. Actes Sud Babel, 336 pages (2021)
Commentaires
Ce qui est intéressant à remarquer, c'est le nombre de romans japonais traduits qui parlent de chats. Même des librairies à Hong Kong ou Bangkok les exposent ensemble (dans leur traduction anglaise) (et il y en a bien 6 ou 7). C'est sans doute un filon qui se vend bien !
"Au prochain arrêt" m'a beaucoup plu aussi.