Une brève et incomplète histoire de la littérature bangladaise

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Le 21 février nous célébrons la Journée internationale de la langue maternelle. Cet évènement a été institué par l’UNESCO en novembre 1999 en hommage à la Journée du Mouvement pour la Langue au Bangladesh. Celle-ci commémore la manifestation du 21 février 1952 à Dacca au cours de laquelle l'armée de l'État pakistanais (qui occupait alors le Bangladesh) a ouvert le feu sur la foule des locuteurs de Bengali défendant leurs droits linguistiques. En effet, jusqu’à la partition des Indes en 1947, la littérature bangladaise est indissociable de la culture bengalie. Cet héritage commun avec le Bengale Occidental (Inde) est vieux de plusieurs centaines d’années. Aussi, dans un esprit de concision, je me suis focalisée sur les grandes lignes, procédant par petits coups de projecteurs et snobant quelques grands écrivains indiens de langue bengalie pour me concentrer sur les auteurs bangladais. Par ailleurs, bien que la culture bengalie puisse se targuer d’une longue tradition poétique, j’ai donné une place plus importante au genre romanesque. Ce parti pris se justifie encore par la nécessité d’être concise. Cela ne signifie pas que je considère la poésie ou le théâtre comme des genres mineurs. Cette histoire de la littérature est donc non exhaustive et emprunte de nombreux raccourcis. 

Bangla, Charyapada, Chandidas et cetera

Au commencement, il a surtout des textes s’inspirant des mythes fondateurs et des croyances religieuses. L’œuvre la plus ancienne en Bangla (Bengali) est la Charyapada. Il s’agit d’une collection de 47 hymnes religieux rédigés, entre les 8ème et 12ème siècle, par des moines bouddhistes. Chandidas, au 15ème siècle, serait le premier poète humaniste du Bengale. Ses poèmes relatent l’histoire d’amour entre un brahmane, qui refuse de renoncer à ses devoirs envers le temple, et une jeune femme de caste inférieure. Ce texte, inspiré de l’histoire mythique de Radha et Krishna, a influencé de nombreux auteurs et il n’est pas toujours facile de les identifier avec exactitude. On ignore même si Chandidas ne serait pas le pseudonyme de plusieurs poètes. L’un d’entre eux, Baru Chandidas, aurait composé les premiers vers dès l’an 1350. On distingue également un courant placé sous le patronage des dynasties musulmanes qui se sont succédées durant le sultanat du Bengale (1352-1576). Il serait fastidieux d’évoquer tous les auteurs qui se sont distingués à cette période, mais on peut néanmoins citer Shah Muhammad Saghir (14/15 ème siècles), considéré comme le premier poète musulman du Bengale avec son œuvre romantique Yusuf-Zulekha. On peut aussi évoquer le poète Daulat Qazi (1600-1638). Né dans un village de l’actuel district de Chittagong (Bangladesh), il serait parti exercer son art sous des auspices plus cléments à la cour du roi d’Arakan (actuel État de Rakhine en Birmanie). Le poète est mort en laissant une œuvre posthume non achevée. C’est un autre poète originaire du Bengale qui la termine. Il s’agit de Syed Alaol (1607 -1680). Né dans un village du district de Madaripur (actuel Bangladesh), le poète est enlevé par des pirates portugais et conduit au royaume d’Arakan. Son œuvre majeure est Padmavati, un poème épique s’inspirant de l’auteur indien Malik Muhammad Jayasi (1477-1542). La littérature en Bengali peut en effet se targuer d’une longue tradition poétique et folklorique s’inspirant souvent des divinités locales. Au 17ème siècle, Les Bāuls, des bardes itinérants, ne jouissaient pas d'un grand prestige dans la société. Néanmoins, le plus célèbre d’entre eux, le Lalon Fakir (1772-1890) a inspiré les plus grands poètes et penseurs dont Rabindranath Tagore et Kazi Nazrul Islam.

Statue_of_Kazi_Nazrul_Islam,_Asansol-Bodhisattwa via Wikimedia

(Re)naissance

On place l’apogée de la littérature bengalie à la fin du 19ème siècle. L’influence du colonisateur britannique n’est évidemment pas anodine, tant sur le plan des apports culturels que de la contestation. D’autre part, le rayonnement culturel de Calcutta s’étend sur l’ensemble des territoires du Bengale. Parmi les pionniers, le prix Nobel indien Rahindranath Tagore (1861-1941) est particulièrement apprécié. Les Bangladais adopteront, quelques décennies plus tard, l’une de ses compositions (Amar Shonar Bangla) comme hymne national. Michael Madhusudan Datta (1824-1873), né dans l’actuel district de Jessore (Bangladesh), est considéré comme le premier grand poète moderne du Bengale. Formé dans un établissement de Calcutta réservé à la classe moyenne Bengalie, il se converti au christianisme en 1843.  Après l’échec de ses premières compositions en anglais, il se tourne avec réticence vers sa langue natale. Parmi ses œuvres principales, on peut mentionner Sarmistha (1858), une pièce de théâtre basée sur un épisode de l’épopée sanskrite du Mahabharata (la Grande Histoire des Bharata). Il est également l’auteur de nombreux poèmes, parmi lesquels Meghnadbadh, un recueil inspiré du Râmâyana (la Geste de Rāma). Néanmoins, c’est l’œuvre d’un autre poète qui marque le véritable tournant dans l’histoire culturelle et folklorique du futur Bangladesh. Il s’agit de Kazi Nazrul Islam (1899-1976). Ce poète musulman, devenu figure nationale du pays, emprunte autant à la tradition musulmane qu’aux mythes hindous.  Il est passé à la postérité avec le surnom de poète rebelle, en référence à son texte intitulé Vidrohi (Le Rebelle). Parmi les grandes figures d’expression bengalie, on peut encore mentionner l’écrivain musulman Mir Mosharraf Hossain (1847-1912), auteur de Bishad Sindhu (Un océan de chagrin), une œuvre classique très populaire. Cette (re)naissance de la littérature bangla a favorisé l’émergence d’un mouvement indépendantiste. On pourrait citer les grands écrivains du Bengale Occidental, dont le destin est lié à ceux de la partie orientale, mais la liste serait trop longue. Bankim Chandra Chatterji (1838-1894) est le plus connu. Son roman historique intitulé Le Monastère de la félicité a un retentissement politique considérable. 

Littérature & ruralité

En 1947, lors de la partition du Bengale, le territoire (appelé Bengale Oriental) est intégré au Pakistan.  Une partie de production littéraire est alors largement axée sur le thème de la ruralité. Des romans comme Lal Shalu du romancier Syed Waliullah (1922-1971) sont emblématiques de cette période. Publié en 1948, le livre a été traduit en français par Anne Marie Thibaud, son épouse, et publié chez Seuil sous le titre L'arbre sans racines. Le roman se déroule dans le village de Mahabbatnagar. Il dépeint la vie d’une communauté musulmane rurale abusée par un faux religieux qui exploite leurs superstitions en sa faveur. Le livre a été adapté au cinéma par le réalisateur bangladais Tanvir Mokammel en 2001. Alauddin Al-Azad (1932-2009) s’est également intéressé aux vicissitudes de la vie rurale, ses luttes et ses répressions. C’est un écrivain prolixe qui a publié une vingtaine de romans, des pièces de théâtres, des recueils de nouvelles et de poésie, ainsi que des essais. Il a été récompensé par de nombreux prix dont le Prix littéraire de l’Académie Bangla et l’Ekushey Padak (une distinction créée en mémoire aux martyrs du Mouvement pour la Langue). Akhteruzzaman Elias (1943-1997) est considéré comme l’un des grands écrivains du panthéon bangladais. Pourtant, il n’a publié que deux romans : Chilekothar Sepai (Le soldat dans le grenier) et Khoabnama (La saga des rêves). Le premier est consacré aux soulèvements de masse de 1969 tandis que le second dépeint la scène socio-politique en milieu rural avant la guerre d’indépendance.

Mouvement pour la Langue

En 1948, le gouvernement pakistanais décide d’imposer l’Ourdou comme seule langue nationale. C’est le début d’une longue contestation pour la majorité de langue bengalie au Bengale Oriental. Le "mouvement pour la langue", qui explose lors de la manifestation du 21 février 1952, est le catalyseur des mouvements indépendantistes bengalis (A noter, qu’en 1999, cette date a été déclarée Journée internationale de la langue maternelle par l’Unesco). De fait, bien qu’un statut officiel soit accordé à la langue bengalie en 1956, les troubles se poursuivent. La Ligue Awami milite pour une plus grande autonomie de cette province qui prend le nom de Pakistan Orientale en 1955. C’est finalement en mars 1971 que débute la guerre entre les forces armées du Pakistan et les rebelles bangladais. L'intervention des forces armées indiennes, envoyées par Indira Gandhi, met fin aux combats et le Bangladesh (littéralement Terre du Bengale) déclare son indépendance le 16 décembre 1971. Deux jours avant, l'armée pakistanaise et ses collaborateurs locaux ont exécuté plus de 200 intellectuels bangladais (enseignants, journalistes, médecins, artistes, ingénieurs et écrivains). Parmi eux, il y a le dramaturge Munier Choudhury (1925-1971). C’est pendant son emprisonnement, entre 1952 et 1954, qu’il a écrit Kabar (La tombe), une œuvre symbolique dédié au mouvement pour la langue. Les romanciers Shahidullah Kaiser (1927-1971) et Anwar Pasha (1928–1971) sont également victimes de cette purge, tout comme Zahir Raihan (1933-1972), auteur de Hazar Bachhar Dhare, un roman sur la dureté de la vie rurale. Néanmoins, il est plus connu pour son documentaire intitulé Stop Genocide qui a été réalisé pendant la guerre d’indépendance. Il est capturé par l’armée pakistanaise et exécuté en 1972.

Université de Dacca par Shaikh Ahmed on Unsplash

Littérature & indépendance

Après la guerre d’indépendance, l’heure est au bilan pour les uns et aux règlements de compte pour les autres. Une grande partie de la production littéraire se focalise sur cette période historique. Le rêve d’un Bangladesh libre et égalitaire, la campagne de libération, les atrocités commises durant la guerre, l’instabilité politique et le découragement post-indépendantiste sont autant de sujets récurrents. Le roman devient prétexte à l’analyse politique. Il aborde les questions liées au militarisme ou à la religion, ainsi que des réflexions sur la réhabilitation des criminels de guerre. Ahmed Sofa (1943-2001) est considéré comme l’un des auteurs contemporains majeurs du Bangladesh. Son chef d’œuvre, intitulé Bangali Musalmaner Man (Esprit d’un musulman bengali) s’intéresse à la formation de l’identité musulmane au Bengale. Buddhibrittir Natun Binyas (Un nouveau mode d’intellectualisme) est un essai dénonçant l’incapacité des intellectuels bangladais à s’investir dans le développement culturel et social de leur pays, leur opportunisme politique voire leur collaboration avec l’establishment. Ahmed Sofa a publié de nombreux ouvrages parmi lesquels des essais, des romans et des recueils de poèmes. Le titre de son roman le plus fameux, Omkar (Om), fait référence à une syllabe sanskrite représentant le son originel à partir duquel l'Univers se serait structuré. L’ouvrage s’inscrit dans le mouvement de libération du Bangladesh.  En dépit des controverses autour de son œuvre, de sa pensée et de son mode de vie, Ahmed Sofa a été salué par nombre de ses pairs. Certains le considèrent comme un visionnaire, un patriote luttant contre le fondamentalisme religieux voire comme l’héritier spirituel de Kazi Nazrul Islam. 

Littérature & féminisme

Les femmes de lettres bangladaises participent activement à la dénonciation des crimes de guerre commis durant la campagne de libération. L’écrivaine Jahanara Imam (1929-1994) est même surnommée « Shaheed Janani » (Mère des martyrs). Elle est l’auteur d’un journal de guerre intitulé Ekatturer Dinguli (L'année 1971). Nilima Ibrahim (1921-2002), spécialiste de la littérature bengalie à l’Université de Dacca, défend activement les droits des femmes victimes de la guerre d’indépendance. Elle publie de nombreux ouvrages : romans, pièces de théâtre et essais. La romancière indienne Rokeya Sakhawat Hussain alias Begum Rokeya (1880-1932) et la poétesse bangladaise Sufia Kamal (1911-1999) font partie des pionnières du mouvement féministe. Née à Rangpur (actuel Bangladesh), Begum Rokeya fonde l’Association des Femmes Musulmanes en 1916 pour défendre les droits à l’éducation et au travail des femmes. Elle publie son premier livre Pipasa (Soif) en 1902. Dans un roman de science-fiction intitulé Sultana's Dream, elle imagine une société dans laquelle les femmes domineraient les hommes. Elle contribue également à plusieurs revues progressistes. Chaque année, le 9 décembre, jour de naissance de la romancière, les Bangladais observent un jour de commémoration en son honneur. Dans les années 1950, Sufia Kamal s’engage en faveur des indépendantistes et soutient le mouvement pour la langue. Elle participe aux grandes manifestations de 1969 puis se concentre sur la défense du droit des femmes à travers la fondation Bangladesh Mahila Parishad. La romancière Makbula Manzoor (1938-2020) contribue aussi grandement à dénoncer les exactions commises envers les femmes durant la guerre d’indépendance. Son « roman autobiographique » Kaler Mandira (Cymbales du temps), par exemple, évoque les tortures infligées aux femmes par les soldats pakistanais. Elle est l’auteur d’une vingtaine œuvres, sans compter les livres pour enfants. La romancière Rizia Rahman (1939-1919) a écrit une cinquantaine de romans et recueils de nouvelles parmi lesquels Rokter Okkhor (Paroles de sang). Cet ouvrage, portant sur les prostituées de Dacca, a provoqué beaucoup d’émois dans l’opinion publique. Le premier roman de l’auteur, Bong Theke Bangla (Bengali à Bangla), qui questionne les notions de nationalités et de langue, a reçu un accueil plus chaleureux.

Nurunnaby Chowdhury via Wikimedia Commons

L’Academie Bangla

L'Académie Bangla, qui a été fondée en 1955, est installée sur le campus de l'Université de Dacca. Sa présidence a été assurée pendant plus de deux décennies par le romancier Bashir Al Helal (1936-2021). En 1960, l’Académie Bangla crée son Prix littéraire. Cette récompense distingue plusieurs disciplines : Poésie, roman, nouvelle, recherche, essai, science, traduction, théâtre et littérature jeunesse. On peut consulter la liste des lauréats sur Wikipédia. Abul Mansur Ahmed (1898-1999) est l’un des premiers récipiendaires du prix de Littérature. Journaliste et homme politique, il est élu député de Trishal, dans la circonscription de Mymensingh, en 1954. Il devient ensuite ministre provincial de l'Éducation, puis ministre central du Commerce et de l'Industrie et, enfin, vice-premier ministre du gouvernement. Il est emprisonné lors de la proclamation de la loi martiale par le général Ayub Khan en 1958 et libéré 4 ans plus tard. Dès lors, il se retire de la politique. Il est l’auteur de plusieurs romans, satires et mémoires. L’Academie Bangla organise chaque année, l’un des plus importants festivals du pays : l’Ekushey Boi Mela (Ekushey Book Fair). L’histoire de cet évènement culturel remonte aux années 1970.  Le 21 février 1972, soit 20 ans après le martyr des militants du Mouvement pour la Langue, la maison d’édition Muktodhara s’installe devant les locaux de l’Académie Bangla. L’institution reprend officiellement l’organisation du festival à partir de 1976. Aujourd’hui, l’Ekushey Boi Mela attire 300 à 400 éditeurs selon les années et favorise la publication de plus de 2 500 ouvrages, toutes catégories confondues. Au cours de la décennie 1990-2000, Humayun Ahmed (1948-2012) est l’écrivain le plus vendu de l’Ekushey Book Fair. Il a écrit pas moins de 200 livres (fictions et essais) dont une bonne partie sont des bestsellers. L’humour et la non-violence sont ses crédos. Il a également un faible pour les sagas familiales. Son roman intitulé Nondito Noroke s’intéresse aux déboires de la classe moyenne urbaine. Il a été adapté au cinéma en 2006 par Belal Ahmed. 

La revue Bichitra

La presse joue un rôle essentiel dans le paysage littéraire bangladais. Les revues littéraires indépendantes sont largement auto-éditées et ont trouvé un nouveau moyen d’expression grâce à Internet. La revue Bichitra, qui a été fondée en 1972, sous le patronage du gouvernement bangladais, a favorisé la promotion de quelques auteurs. Le journaliste Shahadat Chowdhury (1943-2005) en est le rédacteur en chef, depuis sa première parution jusqu’à la dernière en 1997. A partir de 1978, le magazine hebdomadaire ouvre ses pages au caricaturiste Rafiqun Nabi. Il est le père d’un personnage subversif appelé Tokai, symbole des petits mendiants vivant dans les rues de Dacca. L’auteur de science-fiction Muhammed Zafar Iqbal fait partie de ceux qui ont publié dans le magazine. Le journaliste Shahriyar Kabir contribue également à Weekly Bichitra. Ce militant est l’auteur de plus de 70 livres sur les droits de l'homme, le communisme, le fondamentalisme et la guerre d'indépendance du Bangladesh. Ses opinions l’ont conduit à deux reprises en prison (en 2000 et en 2002) et il a même été victime d’un attentat à la bombe en février 2002. 

Vent en rafales

Fatwas & exils 

La plupart d’entre nous connaissent l’affaire Taslima Nasreen (née en 1962) victime d’une fatwa lancée contre elle après la publication de Lajja (La honte). Ce roman- pamphlet s’attache à décrire les atrocités subies par une famille hindoue persécutée par des fondamentalistes musulmans. Taslima Nasreen, fille de médecin et gynécologue elle-même, est forcée de se refugier à l’étranger où elle poursuit son combat en faveur de l’émancipation des femmes. En dépit des menaces de mort réitérées de ses ennemis, elle continue de publier divers essais et poèmes, ainsi qu’une biographie en plusieurs volumes : Amar meebela (Enfance, au féminin), Utal hawa (Vent en rafales), Sei Sob Ondhokar (Rumeurs de haine) etc. Taslima Nasreen n’est pas la seule intellectuelle d’origine bangladaise à avoir fait l’objet d’une fatwa. Parmi ses compatriotes, Humayun Azad (1947-2004) a été victime d’une tentative d’assassinat après la publication de son roman Pak sarzamin shad bad. Le titre du livre est une référence à la première ligne du Qaumi Tarana, l’hymne national pakistanais. L’ouvrage est une critique sans concession des exactions des fondamentalistes islamistes. Malgré les menaces qui pèsent sur lui, Humayun Azad écrit une soixantaine de livres dont 10 romans, 7 recueils de poésie, 7 livres de littérature comparée, 2 livres pour enfants et de nombreux articles. Il meurt dans des conditions douteuses en 2004, alors qu’il est réfugié à Munich en Allemagne. 

Blogosphère

L’écrivain et éditeur Ahmedur Rashid Chowdhury (né en 1973) a dû fuir son pays natal, suite à une violente agression en 2015. Il vit en Norvège depuis sa prise en charge par le programme de résidence ICORN (International Cities of Refuge Network) en 2016. La même année, il a remporté le prix Pinter International Writer of Courage et le prix Jeri Laber international freedom to publish. Shuddhashar, le magazine qu’il avait fondé en 1990, est désormais édité en ligne. A la même période, on assiste à une série de meurtres et d’agressions contre les défenseurs de la laïcité comme l’écrivain Avijit Roy (1972-2015). Son éditeur, Faisal Arefin Dipan (1972-2015), directeur de la maison Jagriti Prokashoni, a été assassiné à son tour quelques mois plus tard. Ces purges contre les intellectuels laïcs débutent en réalité en 2013, après les manifestations de la place Shahbag à Dacca. Le tribunal des crimes du Bangladesh vient de condamner le chef islamiste Abdul Quader Molla, et d’autres criminels de guerre, à la prison à perpétuité (il sera finalement exécuté par pendaison le 12 décembre 2013). Les cyber activistes veulent obtenir la peine de mort et tente de mobiliser l'opinion publique. Il s’ensuit un long bras de fer entre les libres penseurs d’un côté, le gouvernement et les fondamentalistes, de l’autre. Ces derniers exigent des lois sévères sur le blasphème et le gouvernement leur répond par une surveillance accrue des blogs prétendument « anti-religieux ». Les troubles s’intensifient conduisant à de nombreuses arrestations dans le camp des écrivains et bloggeurs athées voire l’assassinat de plusieurs d’entre eux. Le 4 avril 2013 commence le « Blackout du blog bengali » pour obtenir la libération inconditionnelle des militants pour la laïcité. La lutte pour la liberté de pensée au Bangladesh s’est donc déplacée sur le terrain de la blogosphère. Selon Reporter Sans Frontière, une dizaine de blogueurs ont été tués par des groupes jihadistes ou fondamentalistes en une décennie. Parmi ces intellectuels, on compte aussi plusieurs éditeurs comme Xulhaz Mannan (mort en 2016) ou Shahzahan Bachchu (2018) ; ainsi que des universitaires comme Rezaul Karim Siddique (2016). Le bilan se porterait ainsi à plus de 50 assassinats selon le Journal Le Monde, dont 28 revendiqués par Al-Qaida et l’organisation Etat Islamique (EI). L’histoire littéraire du Bangladesh semble encore vouée à une longue lutte pour son émancipation.

Un bon musulman de Tahmima Anam

Femmes de lettres contemporaines

Le roman n’est pas forcément le moyen d’expression le plus prisé des auteurs d’origine bangladaise qui lui préfèrent souvent la poésie, la nouvelle ou la Novella. Parmi les auteurs contemporains de renommée internationale, pratiquement aucun ne sont traduits en français à l’exception de Taslima Nasreen (dont on a déjà parlé), Monica Ali (née en 1967) et Tahmima Anam (née en 1975). Ces deux dernières vivent au Royaume-Uni. D’autres femmes de lettres bangladaises se sont néanmoins exprimées. Maria Chaudhuri est l’une d’entre elles. Elle est née à Dacca puis a étudié aux Etats-Unis avant de s’installer à Hong-kong. Un extrait de ses souvenirs d’enfance au Bangladesh, une biographie intitulée Beloved Strangers, a été publiée dans un numéro de la prestigieuse revue Granta. Néanmoins, la romancière la plus renommée et la plus prolixe est sans doute Selina Hossain (née en 1947). Elle a écrit une vingtaine de romans en bengali, des recueils de nouvelles, des contes pour enfants. Deux de ses livres ont été adaptés à l’écran au Bangladesh et elle a été récompensée par plusieurs prix. Son roman intitulé Bhumi O Kusum est le premier ouvrage en Bangla à aborder la question des Chhitmahals (littéralement miettes de terres), les anciennes enclaves indo-bangladaises. En tant que membre de la commission des droits de l’homme au Bangladesh, Selina Hossain représente son pays au Conseil exécutif de l’UNESCO.

Tahmima Anam, la cosmopolite

« J’ai grandi à l’extérieur du Bangladesh (…). J’adore y séjourner mais je ne m’y sens pas à l’aise à 100%. Je préfère l’atmosphère plus cosmopolite, plus internationale de Londres. Je m’y sens davantage chez moi. Je m’y sens plus libre. » [Extrait d’une interview de Laurent Ribadeau Dumas pour France Télévision]

Comme ses personnages de romans, Tahmima Anam navigue entre plusieurs mondes. Né le 8 octobre 1975 à Dacca au Bangladesh, l’auteur vit aujourd’hui dans le quartier d’Hackney à l’est de Londres. Dans un article du Guardian elle explique comment sa mère a dû accoucher dans le cabinet d’un médecin de quartier, parce qu’elle était prématurée et qu’il n’y avait pas de place à la clinique. La future romancière a passé les deux premières années de sa vie, près de ses grands-parents paternels. Son père et sa mère se sont beaucoup impliqués dans la campagne pour l’indépendance du Bangladesh et sa grand-mère aimait lui raconter quelques anecdotes à ce sujet. Elle lui a ainsi rapporté comment l’armée avait attaqué la maison familiale, découvrant les armes que son oncle avait enterrées dans le jardin. Cette histoire est devenue l’une des scènes majeures du premier roman de Tahmima Anam (Une vie de choix). Deux ans plus tard, les parents de Tahmima Anam, alors employés par l’Unesco, quittent le Bangladesh. Leur fille grandit entre Paris, New York et Bangkok. Néanmoins, tout le monde reste persuadé qu’il s’agit d’une situation transitoire avant le retour au pays. C’est pourquoi, raconte Tahmima Anam, on continue de parler et de cuisiner « bangla » à la maison. En effet, cette vie d’expatriation prend fin lorsque la jeune fille a 15 ans. Son père décide de retourner au pays pour lancer un journal. Sa sœur cadette naît peu de temps après leur déménagement. Deux plus tard, la future romancière décroche une bourse d’étude pour le Mount Holyoke College (à South Hadley dans le Massachusetts). Elle étudie ensuite à l’Université d’Harvard où elle obtient, en 2005, un doctorat en anthropologie sociale. Sa thèse intitulée Fixing the Past: War, Violence, and Habitations of Memory in Post-Independence Bangladesh porte sur l’histoire du Bangladesh après la guerre d’indépendance. Tahmima Anam est l’auteur d’une trilogie dont les chroniques suivent une famille bengalie sur trois générations, depuis la guerre d’indépendance à aujourd’hui : A Golden Age (Une vie de choix), The Good Muslim (Un bon musulman) et The Bones of Grace (Les Vaisseaux frères). Son premier roman est traduit dans le monde entier et reçoit le prix du premier roman du Commonwealth Writers 'Prize en 2008. En 2013, Tahmima Anam figure sur la liste des meilleurs jeunes romanciers britanniques de la prestigieuse revue Granta. Elle reçoit le O. Henry Award deux ans plus tard. En 2016, la romancière est élue à la Royal Society of Literature. Elle publie aussi diverses chroniques dans le New-York Times et dans The Guardian. En France, les romans de Tahmima Anam sont d’abord parus aux Editions des deux terres puis chez Actes Sud. Son dernier roman, The Startup Wife, est paru en juin 2021 au Royaume-Uni.  

Monica Ali, la déconcertante

Love Marriage, le dernier roman de Monica Ali (après 10 ans d’absence) vient de paraître ce mois-ci dans les pays anglophones. En attendant sa traduction en français, rien ne nous empêche de (re)lire ses précédents ouvrages et de se remémorer son parcours. Celui-ci a été ponctué de critiques dithyrambiques et d’attentes parfois déçues. Qualifiée de phénomène littéraire à la sortie de son premier roman (Brick Lane) en 2003, l’auteure s’est ensuite souvent présentée là où on ne l’attendait pas. Née à Dacca en 1967, Monica Ali vit aujourd’hui à Londres. En effet, la romancière a immigré au Royaume-Uni avec sa famille pour échapper à la guerre civile en 1971. Elle a d’abord vécu à Bolton dans le comté urbain du Grand Manchester puis a suivi un cursus de Philosophie, sciences Politiques et Economie (PPE) au Wadham College à Oxford. Depuis 2003, elle est membre de la Royal Society of Literature et a aussi figuré sur la liste des 20 meilleurs jeunes écrivains britanniques de la revue Granta. Traduite dans plus de 25 langues, la romancière a publié 5 livres à ce jour : Brick Lane (Sept mers et treize rivières), Alentejo Blue (Café Paraíso), In the Kitchen (En cuisine), Untold Story (La Véritable Histoire de Lady L.) et Love Marriage (paru en Grande-Bretagne en février 2022). Elle a été nominée tour à tour pour le Booker Prize, le George Orwell Prize et le Commonwealth Writers’ Prize. Elle a également été finaliste du National Book Critics Circle Award et du Los Angeles Times Book Prize. En France, elle est éditée chez Belfond. Monical Ali a écrit de nombreux articles pour le Guardian, le Times, le New Yorker et le New York Times. Elle a été occasionnellement rédactrice et présentatrice pour la BBC. Par ailleurs, Monica Ali a enseigné l’écriture créative au sein de l’Université de Columbia et a été invité en résidence à l’Université du Surrey entre 2015 et 2018. Son premier roman est une saga épique racontant l’histoire d’une famille bangladaise installée à Brick Lane, une longue rue de l’est londonien. Le second roman de Monica Ali, Café Paraíso, s’envole vers d’autres horizons puisque l’intrigue se situe dans un petit village au sud du Portugal. L’immigration reste néanmoins l’une de ses thématiques de prédilection et Monica Ali renoue avec son univers londonien dans le roman suivant (En cuisine). Avec son quatrième roman, intitulé La Véritable Histoire de Lady L., elle surprend de nouveau son lectorat. Il s’agit d’un biopic digne des grands tabloïds américains où elle imagine que la Princesse Diana n’est pas morte dans un accident de voiture mais a refait sa vie aux Etats-Unis. 

Sept mers et sept rivières de Monica Ali

Bangla vs Anglais

Quelques écrivains bangladais écrivent ou sont traduits en anglais.  On peut mentionner, par exemple, l’écrivain et journaliste Kazi Anis Ahmed (né en 1970). Il est le co-fondateur du Dhaka Tribune, un quotidien de langue anglaise ; du Bangla Tribune, un magazine en ligne en Bengali et de Bengal Lights, une revue littéraire. Il est également co-directeur du Dhaka Literary Festival, un festival littéraire dont l’objectif est de promouvoir la culture bangladaise à l’étranger. Kazi Anis Ahmed a publié deux ouvrages en anglais dont un roman The World in My Hands (Le monde entre mes mains) et un recueil intitulé Good Night Mr. Kissinger and Other Stories (Bonne nuit, M. Kissinger et autres nouvelles). Il a également contribué au journal britannique The Guardian et à la revue littéraire américaine World Literature Today. Farah Ghuznavi est journaliste et traductrice mais elle est surtout connue pour ses nouvelles qui ont été publiées dans des anthologies au Royaume-Uni, au Canada, en Inde, à Singapour et aux Etats-Unis. Un recueil de nouvelles intitulé Fragments of Riversong est paru en 2013. Mahmudur Rahman est né à Dacca. Il s’est réfugié à Calcutta durant la guerre d’indépendance et vit désormais aux Etats-Unis. Killing Water, son premier recueil de nouvelles est paru en 2010 chez Penguin India. En 2012, il a également traduit Kalo Barof (Black Ice), le roman culte de l’écrivain bangladais Mahmudul Haque (1941-2008). Ce livre est paru dans sa version originale en 1977. Mahmudul Haque a publié 10 romans et une collection de nouvelles. Si les traductions du Bengali vers l’Anglais se multiplient depuis quelques années, il semblerait que cela ne suffise pas à exporter la littérature bangladaise dans le reste du monde. En 2018, la maison d’édition Penguin Random House India a fait savoir à ses auteurs bangladais qu’il serait bon d’écrire directement en anglais. On comprend que le concept de "Best-sellarisation" au service de l’acculturation puisse choquer quand on connait le combat mené depuis les années 1950 par locuteurs bengalis pour défendre leurs droits linguistiques! 

Crédits photos : Unsplash & Wikipédia


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