Lajja. Taslima Nasreen
Pour la Journée internationale des femmes, j’ai choisi de lire Lajja de Taslima Nasreen. Médecin, humaniste et féministe, l’écrivaine bangladaise est la première lauréate (avec Ayaan Hirsi Ali) du prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes, créé en 2008. Paru au Bangladesh en février 1993, Lajja (La Honte) a été interdit dans ce pays dès le mois de juillet et le 27 septembre de la même année, la tête de la romancière était mise à prix par un groupe fondamentaliste local. Cette fatwa a forcé Taslima Nasreen à quitter son pays en 1994 et à vivre en exil pendant plusieurs décennies. Elle habite actuellement en Inde.
A l’origine de Lajja, il y a une série de faits historiques tragiques sur fond de conflit intercommunautaire entre musulmans et hindous. L’élément déclencheur est la destruction de la Mosquée de Babri à Ayodhya dans l’Etat de l’Uttar Pradesh en Inde, à l'occasion d'une manifestation de nationalistes hindous. Mais les racines du conflit sont bien plus profondes et les conséquences de cet évènement dépassent les frontières indiennes. Le Bangladesh s’embrase et la communauté hindoue est visée par une répression extrêmement violente. Parmi les victimes des pogroms, il y a la famille Datta. Sudhamoy, le père, est médecin à Dacca. Il a toujours refusé de quitter son pays natal même après la partition de l’Inde en 1947, lorsque le Bengale oriental est devenu un dominion du Pakistan où les Hindoues étaient déjà minoritaires. Il a combattu pour l’indépendance en 1971, rêvant d’un Bangladesh démocratique et laïc où le communautarisme religieux serait aboli. Emprisonné et torturé lors des vagues de persécution, il est finalement relâché mais comprend rapidement, en dépit du discours politique de façade, qu’il sera toujours un citoyen de seconde zone. Un comble pour cet homme qui est athée ! Il refuse pourtant de s’exiler à Calcutta comme le reste de sa parentèle et perd le domaine familial à cause des discriminations persistantes qui finissent par causer sa ruine. Le 6 décembre 1992, lorsque les évènements dégénèrent une fois de plus entre les communautés religieuses, Sudhamoy et Kiranmayee, son épouse, s’enferment dans leur maison dans l’espoir d’échapper à la folie vengeresse des fondamentalistes musulmans. Maya, leur fille de 21 ans, se refugie chez une amie musulmane tandis que son frère, Suranjan sillonne désespérément la ville à l’affût d’informations qui lui permettraient de croire encore en une réconciliation définitive des différentes communautés et un avenir meilleur pour son pays.
Ce roman, sans doute écrit dans l’urgence de dénoncer l’insupportable, n’est pas facile à lire. Le lecteur ressent au plus profond de lui-même les poids de la peur et de la colère qui habitent les personnages. Fort heureusement, les scènes de sévices corporelles ne sont jamais rapportées en temps réel et donc de manière directe. En revanche, il y a des pages entières d’exactions commises par les deux camps religieux. Les listes de noms de villes et de patronymes, si peu familiers aux lecteurs occidentaux, en rendent la lecture encore plus fastidieuse. Il y a également de longs extraits de la constitution, des citations de lois et d’amendements successifs, etc. On peut louer la précision du témoignage mais ce parti pris nuit à l’intrigue romanesque. De même que les discussions sans fin de Suranjan avec ses camarades Hindous et musulmans. On comprend rapidement que la politique tourne en rond au Bangladesh et que les problèmes communautaires ne seront pas résolus en un jour mais je me demande s’il était nécessaire d’être aussi aride dans la narration.
Il est clair que le roman n’est qu’un prétexte pour mobiliser l’opinion public autour de la question des communautarismes qui gangrènent le Bangladesh depuis si longtemps. Et pourtant… En 2019, Taslima Nasreen a publié une séquelle intitulée Shameless (HarperCollins Publishers). On y retrouve la famille Datta finalement exilée à Calcutta en Inde. Ce second volet, qui ne semble pas avoir suscité un intérêt démesuré en Inde ou aux Etats-Unis, n’a pas été traduit en Français à ce jour. Si Taslima Nasreen s’est engagée dans la lutte pour la laïcité contre l’obscurantisme religieux, elle est également connue pour son combat en faveur de l’émancipation des femmes. L’ensemble de son œuvre témoigne de ses engagements :
- La Honte (Stock, 1994)
- Lieux et non lieux de l’imaginaire (Actes Sud, 1994)
- Femmes, manifestez-vous ! (Editions des femmes, Prix Sakharov, 1994)
- Une autre vie : poèmes (Stock, 1995)
- Un retour suivi de Scènes de mariage, récits (Le Grand Livre du Mois, 1995)
- L’Alternative suivi d' Un destin de femme : récits (Stock, 1997)
- Enfance, au féminin (Stock, 1998)
- Femmes : poèmes d’amour et de combat (Librio, 2002)
- Vent et rafales, récit (Philippe Rey, 2003)
- Libres de le dire (Flammarion, 2010)
- À la recherche de l'amant français (Utopia, 2015)
📚D’autres avis que le mien via Babelio
📝Voir aussi: Une brève et incomplète histoire de la littérature bangladaise
📌Lajja. Taslima Nasreen, traduit par C.B. Sultan. Le Livre de Poche, 288 pages (1996)
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