Péripéties romanesques et culinaires en Chine

 En Chine, il n’existe pas UNE mais DES cuisines, dont huit grandes traditions régionales qui font la diversité de la gastronomie chinoise. On peut nommer la cuisine du Sichuan, du Hunan, du Shandong, du Jiangsu, de l’Anhui, du Zhejiang, du Fujian et du Guangdong (ou cantonaise). Elle respecte plusieurs principes essentiels (nature, saveur, directions et harmonie) car l’art culinaire chinois est intimement lié à la société, à la philosophie et à la médecine. Nos déambulations littéraires et gustatives au cœur du pays du Milieu vont nous permettre d’aborder tous ces aspects de cette institution qu’est la cuisine, soit par le truchement de la grande histoire (A la table de l’Empereur de Chine de William Chan Tat Chuen et La langue et le couteau de Jeong-Hyun Kwon) et de la politique (Vie et passion d'un gastronome chinois de Lu Wenfu et Nouilles Chinoises de Ma Jian) , soit de manière plus ludique avec un brin de suspense (L'affaire du cuisinier chinois de Pascal Vatinel et Mort d'un cuisinier chinois de Frédéric Lenormand) et quelques frissons chinoise (Cuisine chinoise de Zao Dao), soit enfin avec une bonne dose d’humour et d’auto-dérision (La baguette et la fourchette de Yu Zhou).

L'affaire du cuisinier chinois de Pascal Vatinel

L'affaire du cuisinier chinois de Pascal Vatinel aux Editions du Rouergue (2020, 580 p)

Parmi les romans culinaires dédiés à la Chine, celui de Pascal Vatinel, écrivain sinologue et sinophile, est un ouvrage foisonnant mêlant gastronomie, histoire et intrigue policière. L'affaire du cuisinier chinois nous conduit, à la suite de l’archéologue Li Zhenduo, sur les traces de trente-deux rouleaux de bambou datant de l’époque des Royaumes Combattants. Le vol de ce trésor inestimable serait lié à un complot millénaire où apparait la figure de Zhang Chenfu. Ce cuisinier aurait révolutionné la gastronomie sous le règne du roi Xuan de Qi, à la fin du IIIème siècle avant notre ère. Accompagné de son ami Wang Pei, spécialiste des écritures anciennes, Li Zhenduo doit déjouer les intrigues de la Commission centrale d’archéologie. Or celle-ci semble avoir de dangereuses accointances avec le Comité Central du Parti Communiste. 

Mort d'un cuisinier chinois : une nouvelle enquête du juge Ti de Frédéric Lenormand

Mort d'un cuisinier chinois : une nouvelle enquête du juge Ti de Frédéric Lenormand chez Fayard (2005, 288p.)

Décidément les temps sont durs pour les cuisiniers chinois ! Il semble qu’au Moyen-Age, sous la dynastie des Tang au VIIe siècle de notre ère, leur vie était bien compliquée aussi… Dans Mort d'un cuisinier chinois, Frédéric Lenormand ressuscite une nouvelle fois, le fameux juge Ti, le héros récurrent de Robert van Gulik. Pour mémoire, ce personnage inspiré, du magistrat Di Renjie (vers 630-700), fut d’abord le héros de Dee Goong An dans Trois affaires criminelles résolues par le juge Ti . Dans ce 6ème volet des nouvelles aventures du juge Ti, notre magistrat est de retour à Chang-an, la capitale de l'empire des Tang, avec ses trois épouses. Il est bientôt acculé à résoudre deux énigmes parallèles. La première enquête est une affaire familiale impliquant sa première épouse ; tandis que la seconde concerne un crime de lèse-majesté. En effet, un cuisinier est mort empoissonné sur le sol sacré de la cité interdite. L’empereur est-il en danger ? Si Ti ne résout pas rapidement ce crime, les 100 cuisiniers impériaux seront exécutés !  

La langue et le couteau de Jeong-Hyun Kwon

La langue et le couteau de Jeong-Hyun Kwon chez Picquier (2019, 304 p.)
 

Et voilà un nouveau coup dur pour les brigades (culinaires) chinoises puisque cette fois, c’est un soldat japonais qui menace la marmite… ou l’inverse ?!  Jeong-Hyun Kwon, l’auteur de ce roman, est coréen mais l’intrigue se passe bien en Chine… enfin, dans l’état fantoche du Mandchoukouo (1931-1945), pour être précise, alors que les Russes s’apprêtent à lancer une offensive contre l’occupant japonais. Yamada Otozôcommandant en chef des forces armées japonaises, est un ancien professeur de lettres. Face à lui, Chen, son prisonnier, est dans le camp des Révolutionnaires chinois. C’est un maître-queux originaire de Canton dont l’arme principale, dans cette aventure, un billot de bois. Or, c’est bien sur le terrain de la cuisine que l’officier, fin gourmet, défie son adversaire. S’il veut obtenir sa grâce, le cuisinier devra faire feu de tout bois et surtout dégainer tous ces talents en matière culinaire. Mais Chen a une autre mission, secrète celle-ci : il doit se débarrasser du commandant des forces d’occupation. 

A la table de l’Empereur de Chine de William Chan Tat Chuen

A la table de l’Empereur de Chine de William Chan Tat Chuen chez Picquier (2007, 240 p.)

Bien avant que les Japonais n’envahissent une partie de la Chine, et que la cuisine ne devienne une arme de défense redoutable, elle était l’héroïne des banquets impériaux au sein de la cité interdite. Dans cet opus, William Chan Tat Chuen conduit son lecteur au sein du palais de la cité interdite, à la table des empereurs chinois, et en particuliers celle de la dynastie Qing (1644-1911). Nous partageons, avec toute la cour, les plats et recettes qui ont enchanté le palais impérial (je parle ici des papilles gustatives de l’empereur et non de l’édifice évidemment). Ainsi les plus néophytes d’entre nous, découvrirons que l’art culinaire chinois est l’un des plus anciens et des plus raffinés du monde. Ces grandes règles et principes ont été élaborés dès la dynastie des Zhou (1045 av. J.C. ; 246 av. J.C.) et s’accompagnent d’un protocole minutieux régentant la table impériale. Il ne s’agit pas ici d’un roman mais bien d’un essai accompagné de quelques recettes et documents divers.

Nouilles Chinoises de Ma Jian

Nouilles Chinoises de Ma Jian chez J’ai Lu (2009, 224 p)

Ma Jian nous invite ici à des dîners intimistes entre deux convives. Le premier est un écrivain chargé d’écrire le panégyrique d’un héros du Parti (qui reste à dénicher). L’autre est un entrepreneur spécialisé dans le don de sang (son emploi consiste à aider les directeurs d’usines à obtenir leur quotas), cette activité pouvant être très lucrative. Le communiste et le capitaliste sont pourtant amis et aiment à se retrouver chaque semaine, autour d’une, table pour manger et discuter. Il en sort neuf récits et neuf portraits, qui sont autant d’incursions la société chinoise contemporaine. Notre propagandiste trouvera -t-il son nouveau Lei Feng (1940-1962) parmi les personnages évoqués ? Grace à cela, il espère bien voir un jour son nom apparaitre dans le dictionnaire des grands écrivains chinois.

Vie et passion d'un gastronome chinois de Lu Wenf

Vie et passion d'un gastronome chinois de Lu Wenfu chez Picquier (1996, 192 p)

Même passion, même combat… Paru en 1982 dans son pays, Vie et passion d'un gastronome chinois  couvre plusieurs décennies depuis le début des années 40. Dans le roman de Lu Wenfu, deux personnages, réunis par les nécessités de la vie, s’opposent, tant du point de vue idéologique que gastronomique. Gao Xiaoting, le narrateur, est le héros de la révolution et de l’ascétisme, tandis que, Zhu Ziye est le chantre de la bourgeoisie et de l’épicuréisme. C’est ainsi que nous traversons avec eux, par le prisme de l’alimentation, les turbulences et contradictions des années maoïstes. Un conflit qui remontrait à bien plus longtemps…. Puisque ces questions étaient déjà abordées sous l’empire des Tang (618-907). Dans ce texte, paru d’abord en France dans un recueil de nouvelles, Lu Wenfu, nous entraîne dans les rues et arrières cours de Suzhou (près de Shanghai), de cantines d’ouvriers en échoppes de gastronomes… et nous fait saliver à l’évocation de nombreux mets raffinés. 

La baguette et la fourchette : Les tribulations d'un gastronome chinois en France de Yu Zhou

La baguette et la fourchette : Les tribulations d'un gastronome chinois en France de Yu Zhou chez Fayard (2012, 192 p)

Comme nous l’avons vu, l’art culinaire est une affaire aussi sérieuse en Chine qu’en France. Petite parenthèse à ce sujet pour rappeler que le repas gastronomique français a été inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco en 2010. C’est dire, si les Français tiennent à leurs traditions gastronomiques. A ce sujet, Yu Zhou nous délivre un message explicite et rafraîchissant dans son ouvrage La baguette et la fourchette : Les tribulations d'un gastronome chinois en France. La cuisine est un art et la manière de la déguster aussi… mais c’est avant tout une histoire de culture. Et le barrage de la langue se fait sentir dans la communication comme en gastronomie. Quelle meilleure façon pourtant de se rapprocher qu’autour d’une table ? Dans cet opus, Yu Zhou, écrivain chinois, francophile et fin gourmet, nous ouvre les portes de la compréhension des us et coutumes de son pays… et surtout de sa cuisine ! Pourquoi les Chinois utilisent-ils des baguettes et les Français des fourchettes ? Pourquoi les Chinois mangent-ils des raviolis tandis que les Français préfèrent les sandwichs. Les Chinois ne supportent pas le fromage tandis que les Français déteste le Tofu…. Yu Zhou nous présente une multitude de parallèles culturels et d’anecdotes culinaires. Il nous offre surtout un moment de pur délice.

Cuisine chinoise de Zao Dao chez Mosquito (2018, 80 p)

Cuisine chinoise de Zao Dao chez Mosquito (2018, 80 p)

Oui, la cuisine réserve parfois bien des surprises ! Elle peut en pousser certains à dépasser leurs limites voire à basculer au-delà du réel…. C’est en tout cas, l’avis de Zao Dao dont l’œuvre nous conduit dans un univers fantastique. Cette bande-dessinée présente 5 histoires originales dont le fil conducteur est la nourriture. Le sous-titre de la version anglaise (Five Tales of Food and Life) est d’ailleurs plus explicite à ce sujet que le français. L’univers de la manhuajia (auteur du manhua ou manga chinois) est surtout peuplé de créatures proches du folklore chinois : monstres, démons et autres créatures bizarres. Les plats qui nous sont présentés au fil des pages ne sont pas toujours très ragoûtants puisque les recettes sont composées ingrédients improbables et soupoudrés de potions magiques. Bref, le monde de Zao Dao est plus fantasmagorique que gastronomique.

À la table d'une famille chinoise, recettes de mes parents

En guise de conclusion

J'aimerais signaler le roman de l'écrivain sino-taïwanais, Chang Kuo-Li, Le sniper, son wok et son fusil. Le héros, est une sorte de Jason Bourne asiatique, reconverti dans la vente de plats traditionnels à emporter. Cet ancien tireur d’élite, formé par l’armée taïwanaise puis engagé dans la légion étrangère française, est rappelé sur le terrain pour éliminer l’un de ses compatriotes en déplacement à Rome. (voir la recension ici). Les romans, les polars, c'est très bien, mais la vraie magie de la cuisine chinoise ne se trouve-t-elle pas dans ses livres de recettes ? On parle souvent de plats régressifs, réconfortants et généreux pour faire allusion aux recettes familiales qui bercent nos souvenirs d’enfance. La cuisine, en effet, est éminemment conviviale et nous permet parfois d’exprimer des sentiments qu’il nous est impossible d’extérioriser autrement. C’est ce que nous explique Éliane Cheung, auteur d’un livre illustré de recettes chinoises traditionnelles : À la table d'une famille chinoise, recettes de mes parents chez Alternatives (2016, 144p). Autre trésor rendant hommage au patrimoine gastronomique chinois, Les séductions du palais, édité par Actes Sud, est le catalogue de l’exposition du musée du Quai-Branly de 2012. Ici, on s’intéresse un peu moins au contenu qu’au contenant. 


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