Fukushima en BD

 

Les plaies de Fukushima d'Emmanuel Lepage

Au Japon, un Genpatsu-shinsai est une catastrophe combinant les effets d'un accident nucléaire et d'un séisme, potentiellement doublé d’un tsunami.  Or, le vendredi 11 mars 2011, à Fukushima, ce scénario en trois actes a été l’origine de l’une des plus grandes catastrophes nucléaires depuis Tchernobyl (texte en bleu dans cette chronique). Le dessinateur et scénariste, Emmanuel Lepage, est l’un des premiers observateurs étrangers à s’être intéressé, dans son œuvre, aux conséquences de la catastrophe. Dès novembre 2012, soit 1 an et demi après l’accident nucléaire, le Français s’est rendu dans la zone sinistrée autour de Fukushima. Son reportage a été publié dans le n°2 de La Revue Dessinée. Huit bandes dessinées sont particulièrement percutantes et certaines peuvent être considérées comme de véritables documentaires. L’aspect visuel de ce support permet de s’immerger véritablement au cœur du drame de Fukushima. Le lecteur suit les évènements au travers de personnages très différents : un ingénieur de chez TEPCO, un ouvrier embauché dans le cadre du démantèlement de la centrale, un riziculteur militant dans la zone interdite, deux adolescents vivant dans la région contaminée, un « salaryman » tokyoïte en colère, une japonaise exilée en Europe et un reporter étranger. 

Fukushima, chronique d’un accident sans fin de Bertrand Galic & Roger Vidal

Parmi, les bandes dessinées parues récemment, Fukushima, chronique d’un accident sans fin, nous conduit dans les entrailles de la centrale et raconte les cinq premiers jours de l’accident dont on connait d’ailleurs la chronologie parfaite. Les auteurs, Bertrand Galic et Roger Vidal, s’appuient essentiellement sur le témoignage de Masao Yoshida, employé de la société TEPCO et directeur de la centrale. Au début de l’ouvrage, celui-ci doit répondre aux questions d’une commission d'enquête gouvernementale. Cette audition a d’ailleurs donné lieu, sous la pression de l’opinion publique, à la publication d’un rapport de 400 pages. On y apprend comment le directeur et les membres de son équipe ont tenté de reprendre le contrôle de la situation. Ces hommes héroïques, qui sont restés sur le site après l’incendie, ont été surnommés par les médias, les 50 de Fukushima. Un film, sorti en 2020, leur est dédié. Masao Yoshida est décédé le 9 juillet 2013 d'un cancer de l'œsophage.

A 14 heures, 46 minutes et 23 secondes, heure locale (05 h 46 GMT), un séisme sous-marin d’une magnitude de 9,1 survient dans le Pacifique, à 130 kilomètres au large des côtes japonaises. Il est suivi de très nombreuses répliques dont certaines supérieures à une magnitude de 6. Moins d’une heure après, une alerte tsunami est lancée. De nombreuses zones côtières sont dévastées.  Plusieurs sites industriels ont été touchés par le tremblement de terre et le tsunami qui a suivi. A la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, exploitée par TEPCO (Tokyo Electric Power Company), l’alerte est donnée à 21 h 25. L’eau a envahi les installations, coupé l’alimentation électrique et noyé les générateurs diesel de secours. La première explosion d’hydrogène a lieu le lendemain, samedi 12 mars 2011 à 15h36. Elle est suivie d’une seconde explosion le lundi puis d’une troisième le lendemain.  Il faut attendre le 5 mai pour qu’une première équipe puisse entrer dans le réacteur N°1.

Au cœur de Fukushima de Kazuto Tatsuta

Au cœur de Fukushima, Journal d’un travailleur de la centrale nucléaire 1F.
, est un manga autobiographique en 3 volumes de Kazuto Tatsuta.  Il s’agit davantage d’un compte-rendu factuel sans prise de position, que d’une BD-reportage.  Le mangaka, qui écrit néanmoins sous un pseudonyme, a consacré son récit au chantier de démantèlement de la centrale dans les années qui ont suivis la catastrophe. Originaire de Tokyo, le dessinateur s’est fait embaucher par un sous-traitant de TEPCO et a travaillé pendant plusieurs mois (en 2012 et en 2014) à Fukushima. Il y décrit le quotidien des liquidateurs exposés à d'importantes doses de radioactivité et les mesures de sécurité mises en place pour les protéger. Le regard de Kazuto Tatsuta est assez neutre vis-à-vis de TEPCO et cette distance lui a été beaucoup reprochée dans son pays.

On sait que plus de 46 000 personnes ont été exposés aux rayonnements ionisants sur le site de la centrale entre 2011 et 2016. TEPCO prétend que la décontamination du site prendra encore 30 à 40 ans, alors que Greenpeace estime que le processus ne sera pas achevé avant 100 à 200 ans.

Colères nucléaires de Takashi Imashiro

Dans Colères nucléaires (3 tomes), le mangaka Takashi Imashiro aborde à l’inverse sans nuance ni complaisance les divers aspects de la crise politique et sociale, engendrée par la gestion et les retombées écologiques de la catastrophe nucléaire. Satô, son « héros » s’insurge contre les manœuvres du gouvernement, des industriels et des médias qui participent à la désinformation des citoyens japonais. Satô, quadragénaire ordinaire, devient un militant actif qui participe à des débats et des manifestations anti-nucléaires. Il va même jusqu’à se rendre à proximité de la centrale. L’ouvrage de Takashi Imashiro est complété par des textes documentaires comme une chronologie des évènements, un lexique et des interviews. Colère nucléaire a été sélectionné pour le 22e prix France Info de la bande dessinée d’actualité et de reportage en 2016.

En 2011, la NISA (Agence de sûreté nucléaire et industrielle) s’est montrée réticente à classer l'accident nucléaire de Fukushima comme un accident majeur. En ce qui concerne l’évaluation des conséquences sanitaires, il semble que les données aient été « prises en main » par le lobby nucléaire à travers l’AIEA (Agence Internationale de l’Energie Atomique) qui a signé, en fin d’année 2013, un protocole d’accord avec l’Université Médicale de Fukushima. Ce protocole précise, par exemple, que l’AIEA se réserve le droit de publier ou non les données. L’UNSCEAR (Comité scientifique des Nations unies pour l'étude des effets des rayonnements ionisants) a réalisé plusieurs études et publié deux rapports (en 2013 et en 2020). Leurs résultats sont très contestés. Le 10 octobre 2017, un groupe de citoyens de Fukushima a remporté une première victoire dans un procès l’opposant à TEPCO et au gouvernement japonais. Ces derniers sont jugés coupables de négligence et sont condamnés à verser des dommages et intérêts.

Naoto, le gardien de Fukushima de Fabien Grolleau et Ewen Blain

Dans leur roman graphique intitulé, Naoto, le gardien de Fukushima, Fabien Grolleau et Ewen Blain s’inspirent de la vraie vie de Naoto Matsumura, un fermier habitant à proximité de la centrale de Fukushima-Daiichi. Il témoigne du quotidien à Tomioka après l’accident. En effet, l’agriculteur a décidé de retourner vivre sur les terres irradiées pour aider les animaux qui étaient laissés pour morts. Son expérience en zone interdite l’a incité à s’engager dans le militantisme anti-nucléaire. Il est considéré comme un véritable héros au Japon.

A l’exception de quelques chats et chiens domestiques, aucun animal n’a été évacué après la catastrophe de Fukushima en mars 2011. Une mission de sauvetage a été organisée le 18 mai pour secourir ceux qui étaient restés sur place. En revanche, le bétail (soit environ 30 000 porcs, 600 000 poulets, plus de 10 000 vaches) a été abandonné sans eau ni nourriture lors de l’évacuation de la zone des 20km. Le 12 mai, le gouvernement a procédé à l’abattage de ces animaux. De fait, la faune et la flore ont réinvesti la zone d’exclusion, là où les niveaux de radiation restent encore trop élevés pour les Hommes. De nombreuses études ont été réalisées sur les conséquences de la radioactivité, en particuliers sur les oiseaux, les papillons, les vaches ou les singes. Des scientifiques de l’Université de Géorgie ont montré que plus de 20 espèces d’animaux sauvages (des ours, des lapins, des ratons laveurs, des faisans ou encore des macaques japonais) ont investi les lieux abandonnés

Daisy Tome 1 de Reiko Momochi

Le manga de Reiko Momochi, en deux tomes, nous conduit sur les pas de Fumi Kubo, une lycéenne de Fukushima. La jeune fille est autorisée à reprendre les cours, moins de deux mois après la catastrophe qui a anéanti la centrale nucléaire. A travers les yeux de cette jeune fille et de son groupe d’amis, la mangaka aborde ici le problème de la reconstruction, entre crainte de contamination radioactive et espoir d’une vie meilleure… peut-être ailleurs. Cette œuvre est plutôt destinée aux adolescentes. Daisy est le nom du groupe de rock formé par l’héroïne et ses amies.

En avril 2011, les zones situées dans un rayon de 30 km autour de de Fukushima Daiichi sont déclarées inhabitables. Ainsi, selon les estimations, environ 160 000 personnes ont évacué la région après la catastrophe. Dès 2013, les autorités japonaises ont lancé un vaste chantier de décontamination des 9000 km2 de la zone mais en 2017, le gouvernement a annulé l’ordre d’évacuation dans la plupart des communes. Les populations ont été appelées à revenir et les aides financières aux sinistrés ont été annulées. Ainsi, au 31 décembre 2019, selon l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire), environ 20% des 95.000 personnes évacuées autour de la centrale sont revenues dans la SDA (Special Decontamination Area ou zone de décontamination spéciale).

Fukushima 3.11

A l’occasion de la commémoration du 10ème anniversaire de Fukushima, l’Association Nos Voisins Lointains 3.11 a annoncé la mise en ligne en libre accès de la bande dessinée intitulée Fukushima 3.11. (publiée dans la revue TOPO en 2019). Il s’agit du témoignage de Suguru Yokota, un collégien originaire de la ville de Koriyama, située à 70 km de Fukushima. Le jeune garçon y aborde de nombreuses questions et notamment des préoccupations liées à la vie quotidienne comme la contamination de l’eau et des aliments, le risque de cancers, le refus de ses camarades de classe de voir la vérité en face, etc.

Les conséquences environnementales et sanitaires de l'accident de Fukushima sont très controversées. L’UNSCEAR (Comité scientifique des Nations unies pour l'étude des effets des rayonnements ionisants), par exemple, arrive à la conclusion que les faibles doses de radioactivité ne sont pas dangereuses pour la santé. Ainsi, toujours selon ce comité, la forte augmentation du nombre de cancers de la thyroïde détectés chez les enfants exposés, ne serait pas le résultat d'une exposition aux rayonnements mais à un effet de dépistage systématique ou de surdiagnostic. Ce constat est largement remis en cause par les organisations indépendante et, en particulier, dans un communiqué de la CRIIRAD (Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la Radioactivité) en France, daté de mars 2021.

Les cerisiers fleurissent malgré tout de Keiko Ichiguchi

Les cerisiers fleurissent malgré tout
, l'œuvre de Keiko Ichiguchi est, sans doute, la plus intimiste. Le traumatisme de la catastrophe nucléaire est abordé par l’intermédiaire d’Itsuko Sonada, rédactrice japonaise expatriée depuis quelque temps déjà en Italie. Si l’héroïne vit la situation à distance, elle nous permet d’aborder le sujet d’une manière originale. La jeune femme s’inquiète pour ses proches restés au pays et tente de glaner des informations souvent contradictoires. Le regard est très introspectif. L’auteur y mêle émotions et souvenirs d’enfance, inspirés de sa propre vie.



NB: Il existe une abondante littérature consacrée à la catastrophe de Fukushima dépassant le cadre de la bande dessinée. Parmi les œuvres romanesques et les essais, on peut citer :

A l’instar de celle dédiée à la BD, cette liste n’est pas exhaustive.



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