Escapade gourmande et littéraire en Corée

Si la cuisine est un art emblématique de la culture française, la littérature gastronomique (exception faite des livres de recettes et des traités culinaires) fait figure de niche dans le monde de l’édition. Il est clair que le public se réduit d’autant plus que le sujet se spécialise. Du coup, un thème consacré aux romans et aux manhwas (BD coréennes) dédiés à la cuisine coréenne n’intéressent-ils que quelques aficionados.  Certes, nos palais comme nos esprits ne sont pas insensibles aux saveurs asiatiques, mais celles venues de Chine ou du Japon nous sont plus familières. En ce qui concerne la littérature générale, on observe depuis quelques années, une incursion notable du Pays du Matin Calme dans le paysage éditorial français. Les traductions connaissent une belle avancée et les échanges culturels entre les deux pays favorisent les découvertes. Ainsi, en 2016, la Corée du Sud était l’invitée d’honneur du salon du livre de Paris dans le cadre de l'année France-Corée 2015-2016. En conclusion, il y a peu de romans et de bandes dessinées disponibles en traduction sur le thème de la gastronomie coréenne. C’est pourquoi, j’ai inclus dans cette bibliographie des ouvrages assez difficiles à trouver chez les libraires de proximité. 

Les petits pains de la pleine Lune de Byeong-mo Gu

Les petits pains de la pleine Lune de Byeong-mo Gu chez Picquier, 224 p. (2013)

Dans Les petits pains de la pleine Lune, le narrateur est un adolescent bègue. Sa maman s’est suicidée après l’avoir abandonné, sa belle-mère est une véritable marâtre et son père cache un lourd secret. Notre jeune héros décide un jour de s’enfuir et se refugie dans une drôle de boulangerie. La Wizard Bakery est ouverte 24h sur 24. Mais ici, rien n’est comme ailleurs. Le boulanger est un magicien, la vendeuse se transforme en oiseau à la tombée de la nuit et les gâteaux sont porteurs de sortilèges. Dans cette boulangerie, on trouve par exemple des meringues à remonter le temps, des flans porte-bonheur, des sablés du refus poli, des scones de la paix ou des madeleines à cœurs brisés… Un conte culinaire fantastique qui permet d’aborder des thèmes très difficiles comme le suicide, l’abandon, le harcèlement, le viol ou la pédophilie. Le roman est en principe destiné aux adolescents.

Le cuisinier du dictateur de Kenji Fujimoto

Le cuisinier du dictateur de Kenji Fujimoto chez Hugo & Cie, 236 p. (2019)

Le cuisinier du dictateur est le récit autobiographique de Kenji Fujimoto, un cuisinier japonais qui a travaillé en Corée du Nord, au service de Kim Jong-il. Si la validité du récit peut parfois prêter au doute, elle semble néanmoins confirmée par les nombreuses photos de l’auteur. La version qui nous parvenue est en réalité une compilation de deux ouvrages parus respectivement en 2003 et 2004 : un livre de mémoires du cuisinier japonais et un autre sur la vie privée de Kim Jong Il. Kenji Fujimoto est arrivé en Corée en 1982. Contacté par la Chambre de commerce nippo-nord-coréenne, il débute dans un restaurant appelé Ansangwon. Cette première expérience tourne court au bout de quelques mois et le cuisinier japonais rentre à reculons dans son pays natal. Une occasion de revenir en Corée du Nord se présente à lui fin 1987. Dès lors, l’ascension de Kenji Fujimoto est en marche. Celui-ci entre au service de Kim Jong-il et devient l’un de ses proches. De cette incroyable expérience, Kenji Fujimoto a rapporté nombres d’anecdotes (les banquets dispendieux, les goûts et les phobies de son puissant employeur) et d’informations sur la vie quotidienne en République populaire démocratique de Corée. Le lecteur navigue ainsi entre blagues potaches des cadres dirigeants du Parti (par exemple lors du mariage du cuisinier) et constats inquiétants sur l’état économique du pays (la Corée du Nord a connu la famine dans les années 1990). Kim Jong-il ouvre grand les portes de son intimité à ce cuisinier étranger et, de manière très surprenante, celles du secrétariat du Parti du travail. Kenji Fujimoto, devenu conseillé du dirigeant malgré lui, se voit offert moult avantages. L’alcool coule à flot, les voitures de luxe défilent, le Japonais épouse Om Jong Nyo, une chanteuse Nord-Coréenne… Et puis le vent tourne. Kenji Fujimoto découvre qu’il a été placé sous surveillance permanente de la police, y compris quand il se rend au Japon (via la Chongryon) pour son shopping. Il est finalement accusé d’espionnage et assigné à résidence entre 1998 et 1999. Pardonné puis réintégré dans ses fonctions (sous certaines conditions), Kenji Fujimoto se résout finalement à prendre la fuite en 2001.

La végétarienne de Han Kang

La végétarienne de Han Kang (Han Gang) chez Le Livre de Poche, 216 p. (2016)

La végétarienne est un roman étrange et dérangeant dont la narration est découpée en trois temps autour d’une héroïne appelée Yonghye. L’auteur nous place ainsi, tour à tour, du point de vue de son mari (La végétarienne) puis de son beau-frère (La tâche mongolique) et enfin de sa sœur aînée (Les Flammes des arbres). C’est le récit d’une descente aux enfers, celle d’une jeune femme ordinaire qui, voulant devenir végétarienne, croit se transformer en végétal, devient anorexique et tombe peu à peu dans la folie… Tout commence avec des rêves de boucherie angoissants. Yonghye décide alors de jeter toute la viande et le poisson qui se trouve dans son frigo. Dans un premier temps, son mari ne s’inquiète guère de cette « lubie ». Mais Yonghye ne s’arrête pas là. Elle décide de bannir tout produit animal de sa vie, y compris le cuir des chaussures. L’expérience commence à prendre un tour inquiétant lorsque la jeune femme, sous-alimentée, commence à se décharner et à perdre sa libido. Le mari de Yonghye tente de la ramener à plus de raison, faisant appelle à sa famille pour la forcer à manger de la viande.  Le second chapitre donne la parole à un artiste fasciné par la transformation de sa belle-sœur (il est marié avec Inhye, la sœur de Yonghye). Le narrateur développe une obsession charnelle exacerbée par une tâche de naissance de l’héroïne. Le livre se clôt enfin avec le témoignage de Inhye et l’internement de Yonghye dans un hôpital psychiatrique. Han Kang a reçu l’International Booker Prize en 2016 pour La Végétarienne. Elle est l’auteur de plusieurs romans et recueils de nouvelles dont Pars, le vent se lève et Celui qui revient.

Les Petites épiceries de mon enfance de Mekyeong Lee

Les Petites épiceries de mon enfance de Mekyeong Lee chez Picquier, 208 p. (2018)

Pendant une vingtaine d’années, Mekyeong Lee a parcouru les routes de Corée du Sud, pinceaux en main, à la recherche des épiceries traditionnelles (les gumeong gagae dans sa langue natale). Comme son titre l’indique, Les Petites épiceries de mon enfance, n’est pas un simple ouvrage d’illustrations. C’est aussi l’occasion pour la dessinatrice, de convoquer de nombreux souvenirs liés à ces boutiques un peu désuètes mais qui sont aussi l’âme des campagnes au Pays du Matin Calme. Les dessins sont magnifiques. Le raffinement du trait et les couleurs pastel (à l’exception des boîtes aux lettres rouges qui ornent souvent l’entrée des échoppes) servent à merveille le propos de l’auteur. Ces illustrations dégagent une atmosphère d’un autre temps, certes, mais aussi d’une grande sérénité… comme si le temps s’était effectivement arrêté. Les dessins accompagnent de charmantes chroniques autobiographiques qui sont autant de délicieuses évocations comme la préparation des dalgona, de délicieuses friandises cuites au feu de bois, spécialité de ce type de petits commerces. 

A vos papilles ! de Dong-Kee Hong

A vos papilles ! de Dong-Kee Hong (Illustrations) et Young-Bin Kim (scénario) chez Clair de Lune, 2 vol. (2014)

A vos papilles ! voyage culinaire en Corée est une bande dessinée (manhwa) en deux tomes qui vient compléter la série Geonbae en 4 volumes. On y retrouve les mêmes personnages et, en particulier, Yu Tae-Gyong, une réalisatrice de documentaires télévisuels. En revanche, Geonbae n’est pas dédiée à la gastronomie. La série a plutôt vocation à présenter un panorama des alcools traditionnels coréens (ainsi que l’indique le sous-titre). Les deux séries sont aujourd’hui épuisées chez l’éditeur mais certaines librairies les ont encore en stock. Dans A vos papilles, chaque chapitre met à l’honneur un plat traditionnel ou une friandise. Il ne s’agit pas de plats de fête destinés à de fastueux banquets mais de mets ordinaires illustrant la cuisine familiale voire la junk food asiatique. On y trouve, par exemple, le fameux Bibimbap, composé d’un bol de riz cuit, agrémenté de différents ingrédients (généralement viande, œuf, carottes, courgettes, gingembre…). Le Tteokbokki, moins connu, est un plat également très populaire en Corée. Il s’agit de galettes de riz à la sauce pimentée, garnies d’un œuf dur, de viande, de légumes, de graines de sésame et de ciboulette. La découverte ne s’arrête pas là puisque le livre présente des mets plus exotiques comme les vers à soie. Evidemment, ces épisodes gustatifs sont aussi l’occasion, pour les personnages, d’évoquer des souvenirs d’enfance et quelques aspects de la culture coréenne.

Kitchen de Jo Joo Hee

Kitchen de Jo Joo Hee chez Clair de Lune, 3 vol. (2012)

Kitchen est un manhwa culinaire en 3 volumes, paru chez Clair de Lune en 2012. La série est malheureusement épuisée chez l’éditeur mais on la trouve encore en stock chez certains libraires (en livres neufs ou d’occasion).  Il s’agit ici de petites histoires autour de la cuisine où l’auteur se met en scène avec sa famille. Jo Joo Hee, professeur et illustratrice de bande dessinée est aussi une maman très gourmande ayant un penchant pour l’autodérision. Les tranches de vie, qui ne comptent guère plus de 3 ou 4 pages chacune, sont autant d’anecdotes amusantes ou d’épisodes émouvants. Elles sont complétées par des vignettes ou des comic strips un peu absurdes qui servent d’épilogues. 

Cook Korean, La cuisine coréenne en BD de Robin Ha

Cook Korean, La cuisine coréenne en BD de Robin Ha chez Glénat, 176 p. (2018)

Voilà un livre de recettes original ! Car, il s’agit bien d’un livre de recettes et non d’un manhwa culinaire à la manière de Kitchen ou de A vos papilles !  Robin Ha est née à Séoul, en Corée du Sud, mais sa mère a émigré aux Etats-Unis alors qu’elle était adolescente. Arrivée en Alabama, elle s’est inscrite à un stage de bande dessinée. Un choix décisif qui lui a permis de faire sa place dans son nouveau pays. Cette expérience lui a inspiré un roman graphique, intitulé Almost American Girl (non paru en France à ce jour). Elle a mis 5 ans à le terminer. Entre deux, elle a fait un petit break pour réaliser un projet avec sa maman : un livre de cuisine coréenne.  Il a été publié en 2016 aux Etats-Unis ; deux ans plus tard, en France. Robin Ha vit aujourd’hui à Washington.  Le titre est en anglais mais les textes ont bien été traduits en français. Cela arrive assez fréquemment dans les mangas et les manhwas. J’imagine qu’il s’agit d’une astuce d’éditeur pour permettre aux lecteurs de s’y retrouver dans les diverses traductions. Dans un prologue dessiné, Robin Ha nous explique tout le parcours qui l’a conduite jusqu’à la réalisation de ce livre de recettes. Depuis les plats concoctés par sa maman quand elle était petite, en passant par ses années Junk food à l’université, la découverte de la cuisine lors d’un séjour en Italie puis l’installation à New-York et le désir de renouer avec ses origines culinaires. Le livre présente une soixantaine de recettes traditionnelles ou plus cosmopolites. Il y a même des plats à emporter type Street Food. On trouve bien-sûr des recettes de kimchi (un plat de légumes fermentés, souvent du chou), des marinades de viande, des fruits de mer, des soupes, des nouilles et des gâteaux de riz. Certaines recettes sont un peu longues mais les dessins sont très utiles et permettent de bien détailler les diverses étapes. Comme l’auteur a pensé à tout, elle propose des alternatives pour remplacer certains ingrédients typiques. Elle nous prend même carrément par la main, grâce à un personnage fictif, Dengki, qui nous guide dans les recettes. Il y a aussi beaucoup d’anecdotes qui rendent ce livre à la fois savoureux et très réconfortant. Evidemment, on serait bien embêté s’il fallait le classer : bande dessinée, livre de recettes ou littérature feel-good ?

La Cuisine coréenne de Fabien Yoon

En guise de conclusion

J'aimerais signaler le roman du romancier coréen Jeong-Hyun Kwon, La langue et le couteau, qui ne figure pas dans cette bibliographie du Pays du Matin Calme mais dans celle dédiée à la Chine (voir ici) puisque l'intrigue se déroule au Pays du Milieu. Cette chronique ne serait pas complète sans au moins un livre de recettes dans un format plus traditionnel que celui de Robin Ha. Je suggère donc celui de de Fabien Yoon La Cuisine coréenne (Chêne, 2016). L’originalité de cet ouvrage vient plutôt de son auteur puisque Fabien Yoon est français. En l’espace d’une dizaine d’années, il s’est fait une place au soleil au Pays du Matin Calme comme mannequin, acteur et animateur d’émissions culinaires (je précise accessoirement qu’il a découvert la Corée du Sud très jeune, grâce à la pratique du Taekwondo). Bref, le jeune homme a plusieurs cordes à son arc et les Coréens semblent l’adorer. C’est réciproque évidemment. Comment Fabien Yoon est-il passé du Taekwondo à la cuisine ? Un exécutant un grand écart ? Non, il s’est mis derrière les fourneaux, d’abord par obligation (parce qu’il faut bien cuisiner un peu quand on vit seul dans un pays étranger) puis en y prenant de plus en plus de plaisir. De fil en aiguille, il commence à partager ses recettes avec ses proches, via un blog, et découvre alors qu’il existe peu de livres de recettes dédiés à la cuisine coréenne. Le succès de son blog est pratiquement immédiat. Fabien Yoon est ainsi repéré par une chaîne de télévision coréenne qui lui propose d’animer l’émission culinaire You Can Cook. L’ouvrage de Fabien Yoon ne compte pas moins de 80 recettes, depuis les plats traditionnels comme le banchan (une sorte d’amuse-bouche) ou le bulgogi (le barbecue coréen avec de la viande marinée) en passant par les dernières tendances de la cuisine fusion (mélange entre la cuisine coréenne et de saveurs venues d’ailleurs). Le livre s’inspire de la plupart des livres de cuisine étrangère, c’est-à-dire qu’on y trouve une description détaillée des ingrédients les plus courants et la meilleure manière de s’en procurer en France. On y trouve également de précieuses informations sur la culture gastronomique du Pays du Matin Calme (l’origine des plats, les coutumes etc). Les recettes sont censées être à la portée de tous et ne nécessitent pas d’ustensiles exotiques ou de manipulations compliquées. Il y a même des recettes express dont la préparation ne dépasse pas 10-15 mn. Si Fabien Yoon ne se présente pas un grand chef, il a le mérite d’être un bon pédagogue !  



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