Badjens. Delphine Minoui
Souvenez-vous. En septembre 2022 à Téhéran, la mort suspecte de Mahsa Amini, une étudiante kurde de 22 ans arrêtée par la police des mœurs pour « port de vêtements inappropriés », déclenchait un mouvement de révolte virulent en Iran. Des milliers de femmes sont descendues dans la rue pour scander le slogan déjà connu des Iraniens : « Zan, Zendegi, Azadi » (Femme, Vie, Liberté). Parmi elles, Nika Shakharami, une adolescente de 16 ans. Elle a été filmée lors d’une manifestation, debout sur une benne à ordure, foulard enflammé en main. C’est cette image qui a frappé et inspiré Delphine Minoui, sachant que le corps sans vie de Nika a été retrouvé 10 jours plus tard.
L’héroïne de ce roman s’appelle Zahra mais sa mère l’a surnommée "Bad-jens" ce qui, en persan, signifie "mauvais genre" et, par extension, "espiègle" ou "effrontée". Nous sommes à Chiraz, un mois après les évènements survenus à Téhéran. La scène décrite plus haut se répète mais, cette fois, c’est Zahra/Badjens qui la joue au péril de sa courte vie. Choisissant ce moment décisif où l’adolescente s’apprête à monter sur la benne à ordures, l’autrice déroule toute sa biographie. Née 16 ans plus tôt alors que son père espérait un fils, Zahra est considérée comme une demie-personne par les hommes de sa famille… au point qu’on l’oublie dans sa chambre lorsqu’un incendie ravage son domicile. Sa mère ne s’oppose jamais frontalement à son époux mais c’est une complice discrète, fière du caractère rebelle de son enfant. En Iran, les hommes sont éduqués pour devenir des tyrans domestiques. Les filles doivent porter le manto puis le tchador dès l’âge de 9 ans. Medhi, le frère cadet de l’adolescente, est déjà un despote en puissance. Le cousin Ali, camarade des jeunes années, se métamorphose très vite en prédateur. Tout comme, l’amoureux, qui exige des relations charnelles avant de rompre brutalement. Zahra/Badjens est en colère et on la comprend. Ses copines l’incitent à se joindre au mouvement Femme, Vie, Liberté tandis que son père tente de la retenir à la maison.
Delphine Minoui, romancière et journaliste franco-iranienne, s’est glissée avec application dans la peau de ces adolescentes iraniennes. Elle les a étudiées pendant plusieurs mois et a même correspondu avec un petit groupe d’entre elles par l’intermédiaire des réseaux sociaux. Il en résulte un roman d’une grande justesse dont le sujet dramatique fait froid dans le dos. La lectrice que je suis a éprouvé beaucoup d’empathie pour la principale protagoniste et même un fort sentiment de solidarité. C’est le troisième ouvrage que je lis en quelques semaines sur le thème de la condition féminine et je commence à avoir atteint les limites de ce que je peux supporter en matière de violence faites aux femmes… mais c’est la triste réalité et il faut la dénoncer encore et encore pour faire changer les choses.
📑A lire aussi en cette période de rentrée littéraire : Les hommes manquent de courage de Mathieu Palain. Et pour en savoir plus sur les évènements de 2022 en Iran, je vous suggère l’album coordonné par Marjane Satrapi, Femme, Vie, Liberté paru aux éditions de L’Iconoclaste en 2023 et le film de Mohammad Rasoulof, Les Graines du figuier sauvage, prix spécial du jury au Festival de Cannes, qui sort en salles le 18 septembre 2024.
📌Badjens. Delphine Minoui. Seuil, 160 pages (2024)
Je connais l'auteure e nom en tout cas, elle connait l'Iran.
RépondreSupprimerJe crois même qu'elle y a vécu quelques années
SupprimerQuelle tristesse ce monde... tout ça pour dieu, la pire des inventions humaines sans doute...
RépondreSupprimerC'est une manière efficace d'obtenir ce que l'on veut des gens, j'en ai peur...
SupprimerJe me suis procuré l'album "Femme, Vie, Liberté", qui permet en effet de se faire une bonne idée du contexte et des événements. Je comprends l'effet de saturation à ces lectures, qui sont malheureusement le reflet d'une réalité désespérante...
RépondreSupprimerJ'aime bien Marjane Satrapi. J'avais même adoré Persepolis
SupprimerTu as raison : lire et s'informer là-dessus est très dur, mais nécessaire, surtout quand c'est fait avec talent. Les graines du figuier sauvage me tente beaucoup, j'espère qu'il passera près de chez moi...
RépondreSupprimerJ'ai bien envie d'aller le voir aussi... il ne passera sans doute pas au multiplexe mais nous avons aussi un cinéma plus indépendant dans ma ville.
Supprimeret que dire des femmes afghanes !!! quelle horreur que ce statut des femmes confortées par une religion qui ne veut pas évoluer !
RépondreSupprimerC'est un peu désespérant en effet. J'espère qu'on arrivera un jour à dépasser tout ça mais je doute de vivre assez longtemps.
SupprimerJe suis d'accord sur la nécessité de parler et d'écrire sans relâche sur le sujet mais je fais une pause personnellement. J ai suivi pas mal de podcasts et j'ai besoin de souffler.
RépondreSupprimerJe te comprends d'autant mieux que je ressens exactement la même chose en ce moment.
Supprimeret c'est très bien que la littérature s'empare encore et encore de ce sujet
RépondreSupprimeron en parle de plus en plus, dans la littérature et au cinéma. Je ne sais pas si ça portera ses fruits mais c'est déjà un premier pas
SupprimerUn livre que je ne connais pas, mais certainement très intéressant.
RépondreSupprimerLe dernier que j''ai lu, c'est sur la violence faite aux femmes en Russie.
"Les hommes manquent de courage", on commence à en parler pas mal...
oui, ces dernières années la parole semble se libérer
SupprimerRien qu'à te lire j'en ai les larmes aux yeux pour ces femmes dont le mouvement a été étouffé dans les armes, les prisons et les tortures. C'est
RépondreSupprimereffrayant la vie des femmes dans ces pays qui inversent toutes les valeurs et prônent la haine de l'autre.
Il en faut du courage pour se rebeller dans ces pays là !
Supprimer" En Iran, les hommes sont éduqués pour devenir des tyrans domestiques." Moi c'est ça que je n'ai jamais compris. Les femmes participent donc à leur propre oppression en en perpétuant la "tradition". C'est bien tragique.
RépondreSupprimerexactement, c'est une chose que je n'arrive pas à comprendre. Du lavage de cerveaux sans doute
SupprimerCe genre de romans semble nécessaire pour faire prendre conscience au plus grand nombre des conditions de vie des femmes ici dans un pays que j'avoue peu connaître. Je n'ose imaginer ce qu'on doit ressentir au quotidien...
RépondreSupprimerEn tout cas, je comprends la colère de la jeune héroïne
SupprimerIl serait peut-être bien que tu changes de sujet, en effet.
RépondreSupprimerJ'ai déjà prévu des lectures réconfortantes
SupprimerDe Delphine Minoui j'ai lu il y a des années "Je vous écris de Téhéran" et plus récemment "L'alphabet du silence" (les deux chroniqué sur le blog). J'aime son engagement et je n'hésiterai donc pas à lire ce nouveau titre (mais pas tout de suite).
RépondreSupprimerJe vais lire tes chroniques mais je vais attendre un peu aussi avant de me lancer dans une nouvelle lecture de ce type. J'ai besoin d'un livre distrayant en ce moment
SupprimerA lire assurément...même si tout cela est très dur à supporter ! Comme tu le dis il faut un peu alterner les lectures difficiles avec d'autres plus légères ce qui ne veut pas dire que l'on se désolidarise du destin de ces femmes courageuses. Dénoncer les violences faites aux femmes à travers nos lectures c'est un peu aussi une des "missions" de nos blogs. Nous nous sentons parfois tellement impuissantes...L'autrice est connue pour son engagement alors je te fais confiance, je suis certaine que ce roman est très bien et je le note en espérant le trouve en médiathèque.
RépondreSupprimerJ'espère que tu le trouveras à la médiathèque mais il est paru très récemment. La jeune héroïne suscite beaucoup d'empathie. C'est une toute jeune fille qui ne demande qu'à vivre normalement.
SupprimerCe titre ci, je l'avais repéré dans les sorties de la RL. En plus il est court, donc cela confirme mon envie de le lire.
RépondreSupprimerEn effet, il se lit en quelques heures. ça ne vaut pas le coup de se priver
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