L'Eté des quatre rois. Camille Pascal

 

Voici un pavé qui parle d’une révolution (la boutade était facile) finalement méconnue, celle de 1830. Pour Camille Pascal, c’est pourtant un évènement charnière qui, plus que la révolution de 1789, marque véritablement la fin de l’ancien régime. Certes, un roi en chasse un autre (même trois autres si on compte le Dauphin et le petit duc de Bordeaux après l’abdication de Charles X) mais Louis-Philippe 1er (dont le choix de nom de règne composé le démarque déjà de ses prédécesseurs) ne gouverne pas de la même manière que ses cousins Bourbons. Il n’accède pas au trône par la seule volonté de Dieu mais par celle du peuple… même s’il s’agit en fait d’un tour de passe-passe. Le représentant de la branche cadette inaugure la mise en place du régime parlementaire. Cela ne suffira pas à sauver la royauté puisque 18 ans après son avènement, la maison d’Orléans disparaîtra comme elle est arrivée : avec des barricades ! L’autre fait marquant de la révolution de 1830 est le rôle joué par la presse, si bien qu’on peut parler de premier coup d’état médiatique en France.

Pour l’heure, c’est encore le vieux Charles X, frère cadet de Louis XVI et de Louis XVIII, qui est au pouvoir. Il vient de remporter une importante victoire contre le Dey d’Algérie et pense son autorité désormais bien assise sur le trône de France. La succession est assurée, en dépit de l’assassinat du duc de Berry, qui laisse un héritier, considéré comme un enfant miracle (posthume). Sa fille aînée (et légitime), Louise d’Artois, ne compte bien sûr pas dans l’ordre d’accession au trône. Le Dauphin, le duc d’Angoulême, marié à sa cousine orpheline du Temple (fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette), n’a pas de descendance. De toute façon, il n’a pas la faveur du monarque qui le juge incompétent à cause de ses crises d’épilepsie et de son manque d’assurance. Il est vrai que le Dauphin, écrasé par le charisme et l’ironie de son père, perd tous ses moyens en sa présence. Mais Charles X est un homme d’un autre temps, habitué aux usages de l’ancienne cour et qui n’a rien appris de son séjour prolongé en exil. Il n’a pas les atouts du Bien-aimé Louis XV, le dernier roi flamboyant.

Au matin du lundi 26 juillet, le roi Charles X est en villégiature estivale au château de Saint-Cloud. Il se lève en grande pompe, comme l’exigent les vieilles règles de l’Etiquette. Et il est fort content de lui-même, persuadé d’achever enfin son grand œuvre : la restauration pleine et entière du pouvoir des Bourbons. Les ordonnances qu’il a signées la veille, ont été portées au Moniteur, pour être publiées officiellement. Elles prévoient notamment la suspension de la liberté de la presse, la dissolution de la Chambre des députés, dominée par les Libéraux, et la restriction du droit de vote. Museler la presse, c’est déclarer le décès des journaux politiques comme le Globe ou le National. Adolphe Thiers, qui dirige ce dernier, réplique aussitôt. Or, il a des appuis sérieux au sein du gouvernement et du grand capital. Jacques Laffitte, le prince de Talleyrand et James de Rothschild sont de ceux-là. La mèche s’embrase lorsque la police débarque dans les locaux des journaux pour fermer les imprimeries. Les ouvriers typographes sont parmi les représentants du peuple les plus éduqués et les plus politisés. Les priver de leur gagne-pain, c’est les pousser dans la rue pour manifester. Or, la presse n’est pas la seule à s’agiter. Les bourgeois, qui paient des impôts, refusent d’être des citoyens passifs, privés de vote par le retrait de la patente dans le calcul du cens électoral. Bref, ça gronde partout dans les chaumières comme dans les hôtels particuliers !

Camille Pascal ne se contente pas de raconter une histoire (en l’occurrence la grande Histoire), il en façonne élégamment chaque tournure et lui insuffle un supplément d’âme comme seul un historien maîtrisant pleinement son sujet peut le faire. La langue est précise, l’écriture enlevée et le style plein de verve. Par ailleurs, les portraits que Camille Pascal brosse des différents protagonistes sont un régal de dérision. Le roi est poseur et surannée, le Dauphin est un abruti, la duchesse d’Angoulême est tantôt hystérique tantôt catatonique, la duchesse du Berry est exaltée et frivole (pour ne pas dire nymphomane), les Ultraroyalistes ont l’honneur ridicule, les pairs de France sont des couards hautement corruptibles, les écrivains sont imbus d’eux-mêmes et se drapent pompeusement dans leur propre littérature, les bourgeois sont vénaux, la populace est bestiale, les femme du peuple sont échevelées et dépoitraillées, les soldats suent sang et eau, tandis que la domesticité décampe… le lecteur est téléporté au cœur des évènements, il les suit heure par heure, de château en château, dans chaque salon et à chaque coin de rue où se jouent la révolution, pendant les Trois Glorieuses (du 26 au 28 juillet), puis la débâcle de Charles X jusqu’à Cherbourg, port de salut vers un nouvel exil (16 août).

💪J’ai découvert Camille Pascal sur le blog de Luocine grâce à sa recension de L’air était tout en feu. Puis j’ai vu qu’il avait écrit un premier roman sur la révolution de 1830, L’Eté des quatre rois, qui avait également enchanté KeishaAleslire et Eimelle. J’ai immédiatement téléchargé le livre sur ma liseuse où il est resté stocké jusqu’à aujourd’hui à cause de ses 700 et quelques pages. Les challenges littéraires estivaux, organisés par La Petite Liste et Ta_d_loi_du_ciné, étaient l’occasion idéale de m’y plonger enfin. Pour ceux qui hésiteraient à se lancer dans la lecture d’un tel pavé, je signale qu’il existe une adaptation en BD par Hervé Loiselet (scénario) et Antonin Dubuisson (illustrateur) aux éditions Philéas parue en 2023. 

📝Parmi les belles plumes qui s’intéressent à l’histoire, je recommande également Philippe Claudel.

📌L'Eté des quatre rois. Camille Pascal. Pocket, 752 pages (2019)

Challenges Pavés de l'été + Epais de l'été


Commentaires

  1. J'ai très récemment abandonné ma lecture après 1/3 de "L'air était tout en feu" car j'ai trouvé l'intrigue très confuse. Elle est certes complexe, mais l'écrivain devrait la rendre plus fluide...

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  2. Je vais voir si je trouve la version BD.
    Et bravo pour ton premier (gros) pavé! :-)

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  3. Bonjour Je lis je blogue
    Tu m'a battu sur le fil alors que je n'ai pas réussi à finaliser ma propre première contribution pour que le billet en paraisse à une heure du matin aujourd'hui!
    Bravo pour cette première participation au challenge des Epais d elété 2024, donc.
    Je viens d'ores et déjà de vérifier que, sur les six volumes en prêt dans les bibliothèques parisiennes pour la BD, cinq sont actuellement empruntés... L'oeuvre paraît donc avoir du succès!
    Je ne devais pas être bien réveillé à ma première lecture de to billet: j'ai pensé bêtement "mais non, premier "nom de règne composé, c'est Philippe-Auguste!", avant de vérifier que (bien entendu) le surnom "auguste" a été accolé à Philippe II. Je dois être perverti par le métro parisien...
    Pour en revenir à ton billet, l'avant-dernier paragraphe construit en anaphores ironiques (est... est... sont... sont...) me met bien l'eau à la bouche!
    (s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola

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  4. ça, c'est du pavé, du vrai, du solide !
    Je n'ai encore jamais lu cet auteur, mais l'époque dont il est question m'intéresse, et tout le monde loue son écriture, je vais donc finir par y venir !

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  5. j'avais tellement aimé ce roman, tu le décris très bien et je pense que d'autres lectrices ou lecteurs auront envie de le lire.

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  6. @ Sandrine. J'ai prévu de lire aussi "L'air était tout en feu". Il est plus court que "L'été des quatre rois" qui n'est pas seulement un pavé. Il est aussi très dense. Il faut du temps pour le lire mais ça valait le coup. As-tu lu d'autres livres de Camille Pascal ?

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  7. @ La petite liste J'aimerais bien comparé la version BD avec le roman mais l'album n'est pas dispo à la bibli. Peut-être plus tard.

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  8. @ tadloiducine Désolée de t'avoir coupé l'herbe sous le pied. J'avais prévu de lire ce livre depuis longtemps. Il ne me manquait que la bonne occasion et je commence à me prendre au jeu de la compétition avec les challenges. Je ne connaissais pas du tout l'auteur avant de lire le billet de Luocine puis ceux de Keisha et Athalie. Je ne regrette pas du tout d'avoir cédé à la tentation. Je me suis régalée. Je ne peux que le recommander à mon tour.

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  9. @ Kathel J'ai été totalement séduite par le style de l'auteur. Ses portraits sont d'une ironie féroce, j'adore ! Si tu t'intéresses à cette période, tu devrais te régaler. Je te le recommande.

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  10. @ Luocine Je te dois un beau moment de lecture. Merci encore.

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  11. tu donnes envie, le livre et/ou la BD
    merci pour ce billet !

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  12. Je le note pour mon père féru d'histoire et lui emprunterai à l'occasion, l'auteur semblant avoir le don de rendre l'histoire très vivante. Pour ma part, je pense commencer par le BD dont je vais me mettre en quête :)

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  13. @ Electra Je ne sais pas ce que donne l'adaptation en BD. Est-ce qu'on y retrouve le style de l'auteur et pas seulement l'histoire, par exemple.

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  14. @ Audrey Si ton frère aimes l'histoire, il devrait se régaler (sauf si ce n'est pas sa période favorite ?) car dans chaque détail, on sent que l'ouvrage a été écrit par un historien maîtrisant son sujet.

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  15. Fan de l'auteur depuis cette lecture! Bien évidemment tu vas continuer à découvrir ainsi l'histoire de France?

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  16. Super chronique, l'avant dernier paragraphe me retéléporte dans ce pavé passionnant, drôle, à l'écriture informée mais qui nous rend toutes ces intrigues passionnantes !
    Vivement le prochain livre de l'auteur ( je crois bien qu'il y en a un nouveau de prévu pour la rentrée littéraire.

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  17. La période ne me passionne pas trop, mais je pense savoir qui autour de moi appréciera cette lecture. Merci pour cette recommandation enthousiaste !

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  18. Une amie qui l'a adoré m'avait proposé de me le prêter (elle l'avait acheté et lu à sa sortie) mais tu vois je n'ai pas d'excuse, je n'aime pas assez l'histoire pour me plonger dans un tel pavé. Merci de ton enthousiasme

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  19. J'avais essayé de le lire, mais il m'était tombé des mains à cause du style.

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  20. @ j'ai choisi histoire moderne à la fac mais bien sûr j'ai presque tout oublié depuis ! En tout cas, c'est une période qui m'intéresse et l'auteur me donne envie de continuer.

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  21. @ Athalie C'est grâce à vos chroniques, Luocine, Keisha et toi que j'ai découvert cet auteur. Donc merci à vous 3 !

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  22. @ Athalie (suite) Ah, je note qu'il y a un livre à paraître !

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  23. @ Sacha Effectivement si la période ne te passionne pas, le livre risque de te paraître un peu long. Il reste le style mais je ne sais pas si ça suffit

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  24. @ Manou Oui, le nombre de pages fait peur. J'ai mis du temps à me lancer et j'aime bien l'Histoire...

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  25. @ Alex Ah tiens, à l'inverse, je trouve que l'auteur à une très belle plume. Comme quoi, ce qui plait à l'un pour rebuter l'autre.

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  26. Je connais évidemment plus la révolution en Belgique en 1830 qui a d'ailleurs amené son indépendance.
    Là, c'est un pavé; je ne suis pas suffisamment intéressé par le sujet pour le lire.

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  27. Je l'avais repéré chez Keisha, j'aime assez les romans historiques situés dans ces périodes, mais il faut que la qualité narrative soit au rendez-vous, ce qui semble bien être le cas ici. Il y a vraiment tout pour me plaire donc. Bon, bien sûr, PAL, LAL, autres tentations... Je n'ai pas encore réussi à le caser...

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  28. @ Philippe Si ça peut te motiver, je précise que c'est très bien écrit.

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  29. @ Fanja On sent que l'ouvrage a été écrit par un historien dans le sens où il maîtrise parfaitement son sujet. La verve de Camille Pascal est la cerise sur le gâteau.

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  30. Je le note quoique, des épais, j'en ai plusieurs en magasin pour juillet!

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  31. @ Miriam Moi aussi. ça va être difficile de choisir... sans compter les autres tentations !

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  32. Bonsoir Je lis je blogue, je compte bien le lire un de ces jours car j'ai beaucoup aimé son roman suivant : La chambre des dupes qui se passe sous Louis XV. Bonne soirée.

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  33. @ Dasola Je viens de découvrir qu'un nouveau roman de Camille Pascal doit sortir pour la rentrée littéraire. Le titre est "Le labyrinthe de la reine". Je compte aussi lire ses deux autres romans.

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  34. Non, c'était ma première tentative.

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  35. La période historique a tout pour me plaire, j’ai pris un grand plaisir à lire ton billet, mais je suis un peu refroidie par le nombre de pages (parfois ça ne se joue à pas grand-chose !)

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