Seins et Œufs. Mieko Kawakami
Seins et Œufs est le second roman de Mieko Kawakami publié au Japon après My Ego, My Teeth and the World (non traduit en Français). Il a reçu le fameux prix Akutagawa en 2007 et a propulsé la romancière sur la scène littéraire internationale, l’élevant au rang d’icône féministe. Ce texte court, qui tient plutôt de la novella, s’intéresse à trois figures féminines singulières qui se retrouvent à Tokyo. La narratrice accueille chez elle sa sœur aînée Makiko, une mère-célibataire, et sa nièce pré pubère, Midoriko. L’intrigue est condensée sur une période de 3 jours. Makiko, quadragénaire mal assumée, arrive d’Osaka pour une consultation dans une clinique privée de chirurgie esthétique. Complexée par sa poitrine, qu'elle trouve diminuée depuis la naissance de sa fille, elle est obnubilée par l’idée de recourir à une augmentation mammaire. Cette opération est évidemment hors budget pour une hôtesse de bar comme elle. Midoriko, sa fille, s’est enfermée dans un silence pesant, ne communiquant avec les deux femmes que par l’intermédiaire d’un carnet qu’elle emmène partout avec elle. Le fil narratif est d’ailleurs entrecoupé d’extraits de son journal intime. Le lecteur découvre ainsi que la jeune fille éprouve un fort dégoût pour ce qui touche au corps ou à la biologie féminine et surtout au cycle menstruel dont elle redoute l’arrivée à la puberté. La narratrice, quant à elle, tente de comprendre ce qui se passe dans la tête de sa sœur et celle de sa nièce mais son intervention aboutie à une scène d’hystérie collective impliquant deux douzaines d’œufs frais.
C’est le second ouvrage que je lis, en l’espace de quelques semaines, sur la condition féminine au Japon. Dans Journal d'un vide d’Emi Yagi, il était déjà question du poids de la société patriarcale, de la maternité et de la place de la femme dans le monde du travail. Seins et Œufs aborde des questions similaires mais sous un angle différent : le corps féminin est ressenti comme un carcan social. L’une pense qu’il pourrait devenir l’outils de sa réussite professionnelle et sentimentale, tandis que l’autre aimerait pouvoir s’en affranchir totalement. Il y a de longs passages consacrés à l’esthétique des corps ou à sa mécanique (l’ovulation, les règles, etc). Je me suis sentie parfois mal à l’aise face à ces descriptions quasi-chirurgicales et la crudité du vocabulaire employé mais c’est justement le talent de la romancière que de nous faire partager le dégoût que ces femmes ont d’elles-mêmes. Paradoxalement, en dépit des tentatives répétées de la narratrice, nous n’arriverons jamais à entrer complètement dans la psyché des personnages. L’ouvrage se termine sur une sensation d’inachèvement. On ne sait pas vraiment quels enseignements les personnages ont pu tirer de cette aventure intime et familiale. Je me suis beaucoup interrogée sur cette chute un peu aride et mes recherches sur Internet m’ont apporté une réponse. Il s’avère en effet que Mieko Kawakami a complètement retravaillé son texte et qu’une nouvelle version de Seins et œufs a été publiée au Japon en 2019 sous le titre Natsu Monogatari (Histoires d’été). Elle est parue en 2020 chez Europa Editions aux États-Unis (sous le même titre que la version initiale) mais pas encore en France. Si j’ai bien compris, les protagonistes sont les mêmes mais l’action se situe huit ans plus tard. Je serais curieuse de découvrir cette nouvelle version de Seins et Œufs si elle paraît en France.
📚J’ai partagé cette lecture avec Sunalee (qui a lu la version anglaise comprenant la suite du roman initial). Par ailleurs, Electra a consacré un billet à Heaven qui est considéré comme le second volet d’un triptyque avec Seins et Œufs et De toutes les nuits, les amants. Plus récemment, Actes Sud a édité un roman intitulé J’adore et le magazine Tempura a publié deux nouvelles inédites en France : La preuve d'amour de Mary et La Honte.
📌Seins et Œufs. Mieko Kawakami, traduit par Patrick Honnoré. Actes Sud, 112 pages (2012) / Babel, 112 pages (2014)
Commentaires
Pour moi, c'était clairement une lecture en demi-teinte, j'ai l'impression que pour toi aussi.