Journal d'un vide. Emi Yagi
💪L’activité littéraire proposée cette année par Ingannmic, autour des mondes du travail, m’a permis de découvrir une nouvelle écrivaine japonaise. Son Journal d’un vide été récompensé en 2020 par le prestigieux prix Osamu-Dazai du meilleur premier roman japonais. Il a ensuite été traduit dans plusieurs langues dont l’Anglais, l’Espagnol, l’Allemand, l’Italien ou le Danois.
La narratrice est une jeune célibataire trentenaire qui a quitté son précédent job en intérim pour échapper au harcèlement sexuel. Elle occupe désormais un poste de gestionnaire de production dans une entreprise fabricant des mandrins en carton. Ces tubes servent de supports à dérouler pour divers matériaux. Il s’agit d’un univers exclusivement masculin et ses collègues trouvent normal que la seule femme du bureau s’acquitte de toutes les corvées subsidiaires (faire du café, vider les cendriers, ranger la salle de réunion, réapprovisionner l’encre de l’imprimante ou distribuer les goodies). Rien n’est imposé en théorie, mais ces messieurs tournent ostensiblement la tête vers elle lorsque ses tâches n’ont pas été exécutées. Lassée des heures supplémentaires que cette seconde charge de travail occasionne, notre héroïne va trouver un moyen inattendu de s’en débarrasser. Pour s’émanciper des règles patriarcales, elle choisit d’utiliser le système contre lui-même. Elle prétexte une grossesse ! Une idée géniale, certes, mais un peu schizophrène et pas toujours facile à assumer dans la pratique.
La construction du roman semble inspirée du boshi techō, le fameux livret que les services de santé japonais distribuent aux femmes enceintes depuis 1947. Elles y enregistrent leur parcours de grossesse jusqu’à l’accouchement, et continuent même de l’alimenter après la naissance de l’enfant (visites médicales, régime alimentaire, vaccination du nouveau-né, etc). Les différentes parties du livre sont autant d’entrées (comme pour un journal intime) qui s’articulent sur une période de plusieurs mois, depuis la 5ème semaine d’aménorrhée jusqu’à l’accouchement. Il s’achève par un épilogue intitulé Un an plus tard. La narratrice utilise, par ailleurs, une application dédiée qui lui permet de suivre la croissance du fœtus (dont la taille est comparée à des fruits ou des légumes) sur son smartphone. Elle se prend tellement au jeu de cette grossesse fictive que le lecteur finit par s’interroger sur un éventuel déni de grossesse ou un syndrome de couvade. Car la jeune femme prend du poids et se comporte vraiment comme si elle attendait un bébé. Elle décide de manger plus sainement, cuisine des bentos maison pour le boulot, s’inscrit à un cours d’aérobic prénatal, et passe des heures à étudier les sites de vêtements d’occasion pour enfants. Son "état" officiel lui permet de quitter le travail plus tôt. Mais comment occuper tout ce temps libre, ce vide existentiel qui afflige notre mythomane esseulée ?
Ce court roman est loin d’être superficiel. Il questionne la place de la femme dans la société japonaise contemporaine à travers le prisme de la situation professionnelle, du statut matrimonial et de la maternité. D’autres sujets sont discrètement abordés, comme ceux de la solitude et de la surconsommation, mais le texte n’est pas dénoué d’humour pour autant. C’est une belle découverte pour moi.
📚D'autres avis que le mien via Babelio et Bibliosurf
📌Journal d'un vide. Emi Yagi, traduit par Mathilde Tamae-Bouhon. Robert Laffont, 224 pages (2023) / Editions 10/18, 216 pages (2024)
Commentaires