Dis-moi pour qui j'existe. Abdourahman A. Waberi
Dis-moi pour qui j'existe est le 7ème roman de l’écrivain franco djiboutien Abdourahman A. Waberi. On peut le considérer comme le second volet d’un dytique autofictionnel débuté avec Pourquoi tu danses quand tu marches ? mais les deux ouvrages peuvent se lire séparément.
Aden Robleh, le double romanesque de l’auteur, enseigne les études romanes à l’université George Washington sur la côte Est des Etats-Unis. En septembre 2017, Béa, sa fillette de 6 ans tombe malade. Le diagnostic n’est pas annoncé tout de suite mais on apprend plus tard qu’il s’agit d’arthrite juvénile. L’enfant est hospitalisée à l’hôpital Robert-Debré à Paris. Margherita, sa maman italienne, doit gérer le quotidien toute seule puisque le narrateur doit retourner à Washington DC pour le second semestre de cours. Son sentiment de culpabilité est d’autant plus prégnant qu’il est persuadé d’avoir transmis le mal à sa fille. Aden a contracté la polio à l’âge de 7 ans puis une maladie des articulations à 14 ans. Les souffrances endurées par Béa font écho à des souvenirs similaires.
« Les psychologues le savent : la mémoire du corps, celle des os et des vaisseaux sanguins est plus infaillible et plus souterraine que celle de l’esprit. J’écoute mon corps. L’enfant est là, frétillant. Tout est là, à fleur de peau. Susceptible de remonter à la surface. Ce retour me fait l’effet d’un détonateur. Spasmes, crampes, tétanies et tremblements. Je me souviens, ou plus exactement mes articulations se souviennent, que la douleur était partout, aiguë, sans répit. J’y étais plongé comme dans un étang. Un lac, je barbotais dedans. »
Le salut d’Aden et de Béa passe par l’écriture, une idée inspirée par un soignant qui suggère au narrateur de tenir un journal de bord. Dès lors, s’instaure entre le père et sa fille, une sorte de correspondance, un dialogue épistolaire qui va durer 5 mois, entre janvier et mai 2018.
« Si je prends des notes dictées par l’urgence médicale, il m’arrive aussi d’écrire tout ce qui me traverse l’esprit. J’alterne les notes et l’expression libre. Entre deux recherches scientifiques, je dénoue les fils de mon passé. Et en remontant dans le passé, je fais œuvre utile. Je veux dire que j’instruis ma fille sur sa culture et son héritage, du côté africain et paternel. Mon besoin d’écriture et de transmission a fini par prendre des allures d’enquête sur cette maladie qui nous est tombée dessus et sur les moyens de la contrer tout en s’adaptant au rythme, à la sensibilité et à l’écosystème de Béa. »
Aden raconte son enfance difficile dans le quartier Château d’Eau à Djibouti. A cette époque, c’est encore la France mais plus pour longtemps. Lorsqu’il est tombé malade, sa mère a préféré le confier à sa grand-mère Cochise. La matriarche tient ce surnom du fameux chef apache. Il signifie chêne. De sa force, le jeune Aden en a eu bien besoin pendant ses longs mois de maladie puis pour accepter sa jambe flétrie par la poliomyélite. C’est en claudiquant qu’il a poursuivi son chemin, affronté les costauds du quartier, découvert le réconfort de la lecture, quitter sa terre natale pour étudier en France.
Béa répond à son père par des textes et des poèmes à la fois plein de fraîcheur et de maturité. Le père et la fille se rassurent et se consolent mutuellement. L’écriture est un pansement qu’ils partagent. Il n’échappe pas aux lecteurs que les mots de la fillette ne correspondent pas à son âge mais qu’importe si l’auteur lui prêtent ceux d’un adulte puisque l’émotion est intacte. Il y a beaucoup d’amour et de pudeur dans ce beau roman.
💪J’ai lu Dis-moi pour qui j'existe dans le cadre du mois africain, organisé par Jostein. Par de nombreux aspects, cet ouvrage pas sans rappeler l’autofiction d’Eugène Ébodé, Habillé le ciel, que j’ai lu dans les mêmes circonstances.
📌Dis-moi pour qui j'existe ? Abdourahman A. Waberi. J.C. Lattès, 272 pages (2022)
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