Le clou. Yueran Zhang

Le clou. Yueran Zhang


 Il n’est pas facile de résumer ce roman, riche de personnages et d’évènements. Il faut aller chercher l’origine du fil narratif à la fin des années 60, en pleine révolution culturelle chinoise. Sur un campus hospitalo-universitaire de Nanyuan, un groupe d’employés procède à son auto-critique. La séance se termine par un drame qui va impacter le destin de plusieurs familles. 

Quelques décennies plus tard, lors d’une soirée de tempête bien arrosée, deux trentenaires évoquent leurs souvenirs d’enfance. Ils ont grandi dans le même quartier mais sont issus de milieux sociaux différents. Cheng Gong a été élevé par sa tante et sa grand-mère. A l’âge de six ans, il a découvert que son grand-père était un "homme-légume", maintenu en vie artificiellement à l’hôpital. Le garçonnet, d’abord indifférent à l’histoire de son aïeul, tente ensuite d’en savoir davantage. Il réalise alors que son grand-père à une âme et tente de construire une machine pour le faire revenir à la vie. Or, il s’aperçoit très vite que personne ne tient vraiment à la résurrection de Cheng Shouyi. Le sort de sa famille dépend en effet de l’hôpital qui, en guise de compensation, lui fournit logement et emplois. 

Le second personnage clé de ce roman est Li Jiaqi. Elle est la petite-fille de Li Jisheng, éminent chirurgien et académicien. Le soir où elle retrouve Cheng Gong, le grand homme est à l’agonie. La jeune femme refuse de le conduire à l’hôpital, préférant garder ce dernier souffle de vie pour elle seule plutôt que de le partager avec une foule d’admirateurs. Son père, quant à lui, est décédé dans un accident de voiture lorsqu’elle était enfant. Cet évènement tragique a beaucoup perturbé la jeune femme qui tente de (re)trouver l’amour paternel en entretenant des relations sentimentales et/ou charnelles sans issues avec ses anciens collègues et amis. 

Parce que les évènements nous sont rapportés à la faveur de retrouvailles (dont on sait qu’elles seront brèves) et de l’évocation de souvenirs communs ou individuels, on comprend que leur rappel ne soit pas toujours présenté dans un ordre logique et chronologique. Ce fait nécessite une attention constante du lecteur car certains détails s’avèrent par la suite être des éléments cruciaux de l’histoire, de nouveaux fils à tirer pour démêler la pelote des destins.  

Dans la postface de ce livre, Yueran Zhang revient sur la genèse de ce roman. Elle explique que son point de départ est une nouvelle écrite par son père, Le clou, à partir d’un fait réel. Le manuscrit est resté de nombreuses années dans un tiroir et n’a jamais été publié. La romancière s’en est inspiré pour son œuvre. Il lui a fallu plusieurs années de maturation et d’écriture pour transformer ce texte en pavé de plus de 600 pages. La romancière a indiqué dans une interview accordée à RFI que le titre du roman en Chinois est Le cocon. Il s’agit d’une métaphore faisant référence aux années 90 et à d’autres évènements de l’histoire chinoise. Néanmoins, le cœur de l’intrigue est bien la révolution culturelle et ses répercussions contemporaines. Par ailleurs, l’autrice apporte un soin particulier à la psychologie des personnages.  

J’avais déjà apprécié la plume originale de Zhang Yueran dans sa novella intitulée L’Hôtel du Cygne. On y retrouve d’ailleurs des thématiques qui lui sont chères comme les relations entre les différents groupes sociaux, les familles dysfonctionnelles ou encore le poids du passé sur la vie quotidienne des protagonistes. Le clou est une œuvre labyrinthique et intimiste, proche de la psychanalyse collective, et qui nous apprend beaucoup sur l’évolution de la société chinoise. 

J'ai lu Le clou en compagnie d'Ingannmic et d'Athalie dans le cadre des défis estivaux "Les pavés de l’été" et "Les épais", organisés respectivement par Sybilline (du blog La petite liste) et Tadloiducine (Chez Dasola). A Girl aussi a lu ce roman, il y a quelques mois. 

Le clou. Yueran Zhang. Zulma, 640 pages (2021)


Challenge Pavés de l'été 2023

Challenge Les épais de l'été 2023






Commentaires

  1. Je vois que ce roman ne vous a pas laissé indifférents...

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    1. J'ai l'impression que nous l'avons autant apprécié toutes les trois. L'intrigue est dense mais ça vaut le coup

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  2. Tu sembles convaincue toi aussi, moi toujours pas mais je pense être trop réfractaire à la littérature asiatique pour me lancer dans un roman chinois de 600 pages.

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    1. Dans ce cas, tu peux éventuellement commencer par " L’Hôtel du Cygne". C'est un roman court. Cela te donnera une idée du style de l'autrice.

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  3. Je vois que nos avis se rejoignent, j'ai été épatée par la construction, la densité, et cette complexité des personnages que tu évoques, qui ne les rend guère sympathiques, mais passionnants..

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    1. Oui, c'est un roman très riche qui continue d'interroger même après l'avoir terminé.

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  4. Bravo pour ce pavé ! Je ne désespère pas de le lire un jour....

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    1. Il te reste une bonne partie de l'été... (^_-)

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  5. Je n'ai pas trop envie de me lancer dans un pavé en ce moment ; "l'hôtel du cygne" serait sans doute plus à ma portée.

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    1. Si tu n'as pas envie de te plonger dans une histoire trop longue, en effet, il faut plutôt commencer par "L'hôtel du cygne" . On trouve dans cette novella les ingrédients qui rendent les livres de Yueran Zhang si intéressants : l'analyse de la société chinoise et la psychologie très fine des personnages.

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  6. Ingannmic m'a donné aussi envie de lire ce roman... C'est noté !

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    1. Oui, il faut essayer. Je pense que ça pourrait te plaire

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  7. Bonjour Doudoumatous, l'histoire ou les histoires n'ont pas l'air simples. Rien que le titre "Le clou" ou "Le cocon", c'est assez mystérieux. Il m'intrigue et puis c'est intéressant de se plonger dans l'histoire chinois contemporaine. Bonne après-midi.

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    1. Le roman de Yueran Zhang est intelligemment construit. Les pièces du puzzle s'emboitent petit à petit et on apprend beaucoup sur la société chinoise.

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  8. Proche de la psychanalyse collective, c'est très pertinent comme description ! J'ai été bluffée par ce roman, et encore plus à la lumière de la postface. Je compte aussi lire L'hôtel du cygne et j'espère que d'autres livres de l'auteure seront traduits prochainement.

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    1. L'histoire de ce roman est très intéressante et j'imagine qu'il doit tenir une place particulière dans le cœur de l'autrice. En tout cas, l'œuvre de Yueran Zhang donne envie de découvrir davantage la littérature chinoise.

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  9. Anonyme15.7.23

    J'avais bien aimé L'hôtel du cygne. Après un compte-rendu aussi convaincant, il me faut donc maintenant m'attaquer à ce pavé.

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    1. Ah oui, si tu as aimé "L'hôtel du cygne", il faut lire "Le clou". Nous sommes trois à l'avoir lu en même temps et à avoir été bluffées.

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  10. Dans mes projets lecture... plus ou moins à long terme, mais en projet.

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  11. Les 600 pages me font peur mais je suis très intéressée par le sujet.

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    1. Moi aussi, j'ai un peu peur des pavés mais celui-ci se lit très bien

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  12. J'ai rencontré l'autrice à la sortie de son livre en France, je me suis toujours promis de l'acheter un jour et ton billet confirme ce qu'elle avait dit à son sujet

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    1. Le roman est labyrinthique mais captivant. Je te le recommande vivement

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  13. Anonyme16.12.23

    J'ai lu ce livre mais je suis plus réservée... Je vous rejoins quant à la force de sa construction, mais il est très traumatique, très angoissant, dense et lent, je ne le relirais pas...

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    1. C'est vrai que c'est un livre puissant. Le littérature asiatique est parfois particulière. La narration n'est pas toujours linéaire. Ce roman est en effet très dense. Je comprends que l'expérience soit un peu pesante.

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