Jusqu'ici tout allait bien. Ersin Karabulut

Jusqu'ici tout allait bien. Ersin Karabulut


 Cet album est paru avant le fameux Journal inquiet d’Istanbul. Cette fois, il ne s’agit pas d’une autobiographie mais d’un recueil de contes fantastiques en bande dessinée. L’anthologie tourne autour de quelques thèmes forts comme l’uniformisation des individus, la marchandisation du monde ou la radicalisation politique et religieuse. 

Dans le premier texte, intitulé L’âge de pierre, nous découvrons une société prisonnière des croyances dominantes. Chaque être humain doit porter une pierre rouge, qui grandit avec lui, depuis le berceau jusqu’au cercueil. En aucun cas, il ne doit lâcher ou poser son boulet sous peine d’attirer une myriade de malheurs sur sa personne et ses proches. Il y a néanmoins quelques réfractaires remettent en cause les règles établies. Une petite fille refuse, comme son père avant elle, de se laisser enfermée dans les superstitions liées à la fameuse pierre. 


Jusqu'ici tout allait bien. Ersin Karabulut. P11


La seconde histoire, La chambre secrète, est une sorte d’Allégorie sur la mémoire ou l’inconscient. Le troisième conte, Deux en un, est encore plus dérangeant puisqu’il met en scène un couple dont l’enfant se développe dans le ventre de sa mère sans jamais en sortir et finit même par prendre le pouvoir sur l’esprit et le corps de sa mère éternellement enceinte de lui. 

Dans la série « les monstres que nous engendrons », il y a deux autres histoires. L’une, intitulée Le fils de son père, concerne un enfant qui ressemble tellement à son géniteur qu’il finit par se substituer à lui. L’autre (Histoire pour enfants) raconte l’évolution de trois amis, depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte avec un passage franchement ingrat voire même très agressif. Leur mauvais esprit transparait sur leur aspect physique monstrueux au point qu’ils sont incapables d’évoluer en 3D. Bref, ils ont des œillères mais elles ne sont pas définitives. L’un d’entre eux fait une rencontre fondamentale qui va changer radicalement sa vision du monde. D’abord confronté à la résistance de ses anciens amis, il finira par avoir une bonne influence sur eux. 


Jusqu'ici tout allait bien. Ersin Karabulut. P30-31


Parmi ces récits d’anticipation, il y a deux contes qui en disent long sur les possibilités d’évolution de nos sociétés. Le premier, .Dot, interroge sur les nouvelles technologies, la consommation de masse et la standardisation. Dans Sans gravité, nous découvrons par ailleurs un monde où tout est monnayable, y compris l’air que nous respirons. 

Neuf contes se succèdent ainsi pour nous interroger sur des thèmes finalement existentiels. On retrouve, dans les illustrations, le style si caractéristique d’Ersin Karabulut. Les faciès des personnages et même les couleurs choisies dans les dessins me rappellent ceux que j’ai découvert dans le Journal inquiet d’Istanbul. Il faut quand même noter le tour de force du conte intitulé Le monde d’Ali où un virus frappe les individus trop réactionnaires et modifie les traits de leurs visages au point de les rendre tous semblables. Le héros se trouve bientôt face à une armée de sosies dont les têtes trahissent littéralement les opinions. Un jour, se regardant dans un miroir, il constate qu’il n’est lui-même pas aussi tolérant qu’il le pensait.


Jusqu'ici tout allait bien. Ersin Karabulut. P42-43


J’en ai beaucoup dit sur cette bande dessinée originale mais il ne me semble pas avoir trahie son auteur pour autant. Il faut vraiment la lire, et voir les dessins, pour en saisir toute la richesse. Chacun peut, selon son expérience ou sa sensibilité, en tirer ses propres interprétations ou ses leçons de vie.  

Jusqu'ici tout allait bien. Ersin Karabulut. Fluide Glacial, 72 pages (2020)


Commentaires

  1. Karabulut est déjà noté... Sans doute grâce à toi.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'en suis ravie. C'est un auteur/illustrateur qui mérite un peu d'attention

      Supprimer
  2. Ouuh mais ça me plaît bien ça ! Les thèmes et leur traitement me parlent beaucoup. Je n'ai toujours pas lu Journal inquiet d'Istanbul mais c'est prévu. Je voulais patienter jusqu'à la parution du T.2 des fois que j'ai envie d'enchaîner, mais je ne vais peut-être plus trop attendre.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je peux me tromper mais je pense que ce one-shot pourrait te plaire, en effet. Pour ma part, j'attends aussi le Tome 2 du "Journal" avec impatience.

      Supprimer
  3. J'aime beaucoup sa manière de dénoncer et critiquer. Son autobio en bd est géniale !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. oui, j'ai adoré le "Journal...". J'attends la suite avec impatience

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

Veiller sur elle. Jean-Baptiste Andrea

Trust. Hernan Diaz

Sauvage. Jamey Bradbury

Les Doigts coupés. Hannelore Cayre

A la ligne. Joseph Ponthus