Odyssée culinaire en Inde
En Inde, la cuisine est souvent une affaire de femmes. A travers l’art culinaire, elles peuvent exprimer leurs talents mais aussi leurs sentiments (La colère des aubergines et Mangues amères de Bulbul Sharma). Si elle est pleine de couleurs et de saveurs, la cuisine indienne nous rappelle les mixités culturelles (Le Festin indien de Chitrita Banerji) et religieuses (Le livre de Rachel d’Esther David) héritées de l’histoire, parfois douloureuse (Chef de Jaspreet Singh) du sous-continent. Le fameux Curry (Le Curry de Lizzie Collingham) est un terme générique qui cache une grande diversité de préparations en sauce. Le savant mélange des épices (La Maîtresse des épices de Chitra Banerjee Divakaruni) est le secret de leur réussite. C’est sans doute cet art du métissage qui a permis à la cuisine indienne de conquérir les papilles occidentales (Le Voyage de cent pas de Richard C. Morais).
La colère des aubergines de Bulbul Sharma chez Picquier (2002, 208p )
Quand on parle de fictions culinaires indiennes, le premier nom qui vient à l’esprit est celui de Bulbul Sharma. Parmi ses œuvres les plus connues, La Colère des aubergines est un recueil de nouvelles épicées et pleines d’humour. L’auteur y parle de nourriture évidemment mais aussi des passions humaines et de la vie quotidienne en Inde. Chaque histoire a son héros et la recette qui apporte la réponse à une question. Dans la nouvelle-titre, une femme divorcée reçoit son ex-mari chaque semaine et lui prépare des aubergines. Un goût pour l’abnégation, Qui meurt dîne, Folie de champignons, Festin pour un homme mort, les affres sans fin de la faim… autant de saveurs aigres-douces diffusées dans cet opus.
Mangues amères de Bulbul Sharma chez Picquier (2010, 176 p.)
Bulbul Sharma remet le couvert avec un second recueil de nouvelles culinaires intitulé Mangues amères. Elle nous fait entrer dans la vie intime des femmes indiennes par la porte de la cuisine où elles passent l’essentiel de leur temps. Bulbul Sharma nous convie ainsi dans la maison de Badibua dans l’état de l’Uttar Pradesh, au nord de l’Inde. Un groupe de femmes y est réunie pour commémorer la mort d’un défunt qui a légué sa fortune à leur hôtesse. Alors qu’elles préparent un repas d’offrandes, composés des plats préférés du patriarche disparu, les langues se délient. Chacune d’entre-elles raconte une histoire où la cuisine occupe une place stratégique… souvent en lien les belles-mères. Ainsi défilent les préparations épicées et une galerie de personnages très savoureuse. S’il y a de l’amertume dans ces parcours de vie, elle est largement compensée par la verve de Bulbul Sharma.
La Maîtresse des épices de Chitra Banerjee Divakaruni chez Picquier (2002, 352 p.)
A l’instar de Bulbul Sharma, le livre de Chitra Banerjee Divakaruni, La maîtresse des épices, est publié chez Picquier. La comparaison s’arrête là entre les deux auteurs d’origine indienne car le roman de Chitra Banerjee Divakaruni tient davantage du registre fantastique. L’héroïne, Tilo(ttama), est en apparence une vieille indienne, propriétaire d’une épicerie à Oakland en Californie. Surtout, elle est maîtresse des épices, un art ancestral qui lui a été transmis par la « Première Mère », en même temps que celui de la dévotion et le don de guérison… mais en échange de lourds sacrifices. Pour conserver ses pouvoirs, Tilo doit respecter certaines règles. Or, il est parfois tentant de les enfreindre… surtout lorsqu’il s’agit d’amour ! Chaque chapitre évoque une épice (curcuma, fenugrec, cumin noir…) et le pouvoir qui lui est attribué ; car les épices sont autant de poudres magiques répondant à des incantations.
Le Curry ou une histoire gastronomique de l'Inde de Lizzie Collingham, Payot (384 p. 2009)
Le mélange des épices ou les différentes recettes de curry sont le sujet principal du livre de Lizzie Collingham. En réalité, à travers l’histoire de ce plat emblématique de la cuisine indienne, l’universitaire anglaise nous parle aussi des relations entre le sous-continent indien et ceux qui ont voulu le conquérir. Le sous-titre original « Curry: a tale of cooks and conquerors » est d’ailleurs assez parlant. Le terme générique de "curry", imposé par les Européens, est sans doute dérivé du mot tamoul « kari » qui désigne les épices destinées à l’assaisonnement. Il cache une multitude de recettes en sauce épaisse : Vindaloo, Byriani, Rogan Josh ou Korma… qui se sont enrichies au contact des différentes cultures. Les conquérants moghols ont apporté les influences de la cuisine persane tandis que les marchands portugais ont apporté des ingrédients d’Amérique. Les colons anglais y ont mis leur grain de sel (si on peut dire) mais les échanges ont été réciproques puisque le curry est aujourd’hui un plat très courant outre-manche. L’ouvrage de Lizzie Collingham est passionnant et bien documenté.
Le livre de Rachel de Esther David, J’ai Lu (2020, 320p)
Le livre de Rachel d’Esther David illustre bien la diversité de la culture gastronomique en Inde. Ce roman nous conduit dans la région de Bombay et dans surtout dans la cuisine de Rachel. Elle est la dernière représentante de la communauté juive de Danda, depuis la mort de son mari et le départ de ses trois enfants en Israël. Rachel est de fait la gardienne de la synagogue qui jouxte sa propriété… jusqu’au jour où elle apprend qu’un homme d’affaires veut racheter le terrain pour construire un site touristique. Cependant, notre héroïne est bien décidée à se battre et c’est finalement grâce à ses recettes casher aux saveurs indiennes, qu’elle parvient à amadouer ses adversaires les plus redoutables. Pouran Poli, Besan Ladoo, Késari… sont autant de plats traditionnels qui sortent des fourneaux de Rachel. A chaque chapitre, sa recette !
Chef de Jaspreet Singh chez Buchet-Chastel (2011, 287 p)
Autre région, autre drame, autre personnage… Dans une autre vie, Kirpal Singh alias Kip occupait un poste dans l’armée du Cachemire, région déchirée par des conflits sanglants depuis la partition en 1947. Il y a fait ses armes… de cuisinier auprès du chef Kishen. Quatorze ans plus tard, atteint d’un cancer, il y retourne à la demande de son ancien général. Celui-ci souhaite que kip s’occupe du banquet de mariage de sa fille. Dans le train qui le conduit à destination, le cuisinier voit défiler les souvenirs de son passé douloureux mais aussi du plaisir des arts culinaires auprès de son mentor. En toile de fond, le champ de bataille du glacier de Siachen (le plus haut du monde), la politique, la religion… et puis les femmes, l’amour et la cuisine pour adoucir la dureté de cette vie. Ce n’est pas un long roman mais c’est une histoire dense et émouvante où l’auteur distille quelques secrets gastronomiques. Jaspreet Singh est également l’auteur d’un recueil de nouvelles, intitulé Seventeen Tomatoes: Tales from Kashmir, mais non traduit en français à ce jour.
Le Voyage de cent pas (aka Les recettes du bonheur) de Richard C. Morais chez Calmann-Levy (312 p. 2011) et Le Livre de Poche (384 p., 2014)
Le roman de Richard C. Morais est beaucoup plus léger, malgré la tragédie qui pousse la famille de notre héros, à partir pour l’Angleterre puis à s’exiler en France. Hassan est pour ainsi dire tombé dans la marmite quand il était petit puisque son grand-père possédait un restaurant à Bombay. Rien de plus normal donc, que les Haji décident d’ouvrir un restaurant indien, la Maison Mumbai, dans le petit village de Lumière dans le Jura… juste en face de l’établissement gastronomique de la cheffe Mallory, Le Saule Pleureur ! Les 100 pas, c’est la distance exacte qui sépare la gargote de ses parents au restaurant deux fois étoilé de Mme Mallory. C’est aussi une métaphore un peu cruelle puisqu’il faudra toute une vie au talentueux Hassan pour les parcourir. Il s’agit donc bien d’un voyage initiatique à travers les arts culinaires de l’Inde et de la France. Si Richard C. Morais aborde ici des sujets plutôt sérieux comme le fanatisme religieux, l’émigration, le racisme ou encore la tolérance… il y aussi beaucoup d’humour et d’arômes dans ce livre écrit à la manière indienne c’est-à-dire très positive. Le roman a été adapté au cinéma en 2014 avec quelques libertés néanmoins. Le titre original, The Hundred Foot Journey, en anglais, est devenu Les recettes du bonheur pour les besoins du film.
Le Festin indien de Chitrita Banerji chez Hoëbeke (2011, 372 p)
Le Festin Indien est aussi un voyage, au sens figuré comme au sens métaphorique, au cœur de la cuisine indienne. Chitrita Banerji, nous entraîne dans une sorte d road-trip culinaire où se mêlent Histoire avec un grand H, culture gastronomique (traditions, mythes, légendes…), anecdotes et saveurs d’enfance. Le point de départ est la région d’origine de l’auteur, le Bengale. Le chemin se poursuit en direction du Kerala, en passant par l’Etat de Goa, du Maharashtra, du Gurajat ou de l’Uttar Pradesh. C’est douze régions que nous visitons au total sur une durée de trois ans. Chemin faisant, Chitrita Banerji partage ses souvenirs gustatifs de banquets et repas plus frugaux : festins dans des palais, visite dans les cantines des temples religieux, courses au marché dans des villages tribaux, repas familiaux… Une véritable odyssée culinaire dans un pays riche de traditions régionales et d’influences diverses.
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