Les fantômes de Pinochet. Ortega & Vega

Les fantômes de Pinochet. Ortega & Vega


La mémoire collective est hantée par les horreurs commises durant la dictature militaire d’Augusto Pinochet. Or, le peuple chilien a été en partie privé du jugement  puisque le général est mort avant que les procédures engagées contre lui n'aboutissent. Francisco Ortega et Félix Vega ont néanmoins trouvé une manière de régler les comptes en recourant au surnaturel. Le dictateur sera jugé de tous ses crimes dans l’au-delà, par le bras allégorique de la Justice.

Le titre de l’album, El fantasmas Pinochet, s’inspire d’un texte du poète Armando Uribe. Les auteurs de la BD précisent par ailleurs que « Les fantômes de Pinochet est une œuvre de fiction basée sur des faits, des dates et des personnages réels, mais fait également référence à des croyances populaires qui circulent autour des évènements et des protagonistes ».

Les fantômes de Pinochet. Ortega & Vega P18-19

L’histoire débute donc de manière symbolique avec l’image du défunt dictateur sortant de son tombeau. La scène suivante nous ramène, 6 ans plus tôt, en février 2000, alors que Pinochet est en résidence surveillée à Londres. Bien que le juge espagnol Baltasar Garzón soit parvenu à déposer une plainte internationale pour « génocide, terrorisme et tortures », l’ancien président chilien apprend qu’il sera bientôt libéré pour raisons de santé et pourra alors retourner dans son pays. De sa fenêtre, il observe un condor fondant sur sa proie. Cette image qui évoque au lecteur la tristement célèbre opération Condor (le plan qui a permis à six dictatures d’Amérique latine de traquer les dissidents hors de leur territoire national), rappelle un tout autre souvenir à l’ex dictateur.  

Les fantômes de Pinochet. Ortega & Vega P62-63

A cet instant, Pinochet songe plutôt à un évènement qui a bouleversé sa vie. En 1919, le jeune Augusto (qui est originaire de Valparaiso) se rend à Santiago du Chili avec sa mère, présentée comme une femme froide et autoritaire. Alors que les promeneurs passent devant le palais présidentiel de la Moneda, un cortège de grévistes du parti ouvrir socialiste effraie le jeune garçon. Celui-ci s’enfuit en courant et traverse la route sans regarder. Il est renversé par une voiture mais échappe de justesse à la mort et à l’amputation d’une jambe. Cet évènement dramatique a-t-il ouvert la boîte de Pandore ? 

Les fantômes de Pinochet. Ortega & Vega P74-75

Parallèlement au récit biographique, le procès imaginaire qui doit condamner Pinochet à la damnation éternelle suit son cours. Parmi les fantômes surgissant du passé, Pinochet voit apparaître à la barre ses anciens opposants politiques et militaires ainsi que de nombreux martyres comme le chanteur Víctor Jara. 

La narration ne suit pas forcément la chronologie historique mais le jeu des couleurs évite au lecteur de perdre totalement le fil de l’intrigue. L’illustrateur utilise les nuances de sa palette comme autant repères. Ainsi le marron / sépia est réservé à l’enfance du dictateur tandis que le noir & blanc (ponctué de quelques touches colorées) est utilisé pour les flash-back plus récents. Ces pages sont les plus soignées, avec des représentations architecturales très réussies. Les planches monochromes sont destinées au monde onirique et surnaturel. Dans ce cas, le dessinateur a utilisé la couleur numérique et les arrière-plans sont quasi inexistants. Je reconnais que ce système est très astucieux même si je n’ai pas toujours apprécié son esthétisme. Je retiendrai en tout cas l’originalité de l’approche (tant au niveau du fond que de la forme) qui s’inscrit dans ce réalisme magique si emblématique du monde latino-américain. 

💪J’ai lu cette bande dessinée dans le cadre du Printemps latino, qui nous conduit cette année au Chili.  

📌Les fantômes de Pinochet. Francisco Ortega (scénario), Félix Vega (illustrateur) et Sophie Hofnung (traduction). Nouveau Monde éditions, 136 pages (2025)

Challenge Printemps latino au chili


Commentaires

  1. Je ne suis pas très tentée par cette approche un peu ésotérique, mais c'est un parti pris original ! Et sûrement cathartique !

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    1. oui, je pense que c'est une façon de se libérer d'un passé très lourd à porter. C'est une approche aussi très latino

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  2. Merci de me l'avoir fait découvrir ;-)

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  3. C'est une période de l'Histoire qui me passionne, mais je ne suis pas sûre d'adhérer à la manière dont elle est traitée ici, je préfère je crois les approches plus réalistes..

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    1. Cette approche est singulière, c'est sûr, mais c'est quand même assez malin. Cela permet de dire des choses qu'on ne pourrait pas verbaliser dans un autre contexte.

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  4. Je sens que le Chili, ce sera sans moi... Les dictatures Chili Argentine ...

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  5. je lis peu de BD mais celle-là semble intéressante .

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    1. J'aime ce type de BD qui permettent d'aborder certains sujets plus facilement

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  6. oh une bonne idée pour le challenge, et le thème aussi - je note !

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    1. Ce n'est pas un coup de coeur mais c'est bon album

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  7. Graphiquement, ça me plaît bien, du moins les planches que tu as sélectionnées, mais bon, onirisme, surnaturel, réalisme magique, ça passerait moins avec moi je pense.

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    1. J'ai du mal avec le réalisme magique dans les romans mais là, c'est plutôt bien passé. Surtout cela se prête bien à l'histoire telle que les auteurs souhaitent la présenter

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  8. C'est en effet original comme approche et en plus en BD ce qui permet peut-être d'alléger le propos. Une manière de revisiter l'histoire aussi pour ceux qui ne la connaissent pas et pour ne pas oublier les horreurs commises par Pinochet. Merci de nous la présenter

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    1. Pour les auteurs chiliens c'est aussi une façon, je pense, de se libérer de cette histoire pesante

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  9. Sinistre personnage ! Je me souviens plutôt bien de cette l'actualité là lorsque j'étais jeune, je n'ai pas tellement envie de m'y replonger.

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    1. Je comprends. Il y a aussi des sujets que je préfère éviter

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  10. Le côté fantastique est original au regard du thème abordé, ton billet pique ma curiosité. je note.

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    1. C'est une manière très latino d'aborder un sujet difficile, je crois

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  11. PHILIPPE20.5.25

    Je ne lis toujours pas de BD, mais ce genre pourrait peut-être me plaire...

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    1. C'est une façon de se plonger dans l'histoire du Chili

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  12. Cette idée de procès imaginaire est originale et connaissant peu l'histoire de ce pays, la BD semble instructive même si l'imaginaire est de mise.

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    1. ça doit être très libérateur pour les auteurs

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