L'art et la manière d'aborder son chef de service pour lui demander une augmentation. Georges Perec

L'art et la manière d'aborder son chef de service pour lui demander une augmentation. Georges Perec


Le challenge organisé par Ingannmic sur les mondes du travail est l’occasion idéale de vous présenter L'art et la manière d'aborder son chef de service pour lui demander une augmentation de Georges Perec. Ce texte, qui n'a pas pris une ride (en dépit du passage du Franc à l'Euro), a été réédité en début d’année 2024 chez Fayard. Il a été écrit en 1968 et publié une première fois dans le numéro de décembre de l'Enseignement programmé. Il est reparu en 1973 dans la revue Communication & Langages, avant de tomber dans un tiroir poussiéreux où il est resté caché jusqu'en 2008. L’œuvre est aujourd'hui disponible en version audio, lue par le formidable Guillaume Galliennne (éditions Thélème), et en format de poche chez Points. 

Figure majeure de l'Oulipo (OUvroir de LIttérature POtentielle), Georges Perec aimait s'imposer des contraintes de style. Après La disparition, un roman où la lettre E est totalement absente, il nous a livré un opus hilarant mais sans aucune ponctuation ni majuscule, et saturé de répétitions. C'est que la construction de cette œuvre s'inspire d'un organigramme de prise de décision mathématique de la société Bull, sans doute pondu par un économiste retors. A chaque étape, s'intègre une nouvelle variante. Le but du jeu étant d'entrer dans le bureau de votre chef pour décrocher une augmentation. Un véritable parcours du combattant, bourré d'embûches, comme chacun sait.



Je vous déconseille fortement de suivre les conseils de Perec à la lettre, sauf si vous projetez de vous faire virer pour déambulation intempestive dans les couloirs de votre entreprise, appel répété et non justifié des services de secours, harcèlement moral de vos voisins de bureau, séquestration de votre supérieur hiérarchique, ou attentat physique à l'encontre de vos collègues. Méfiez vous des intoxications alimentaires contractées à la cantine et anticipez les incidents qui pourraient survenir durant la pause déjeuner (sachant néanmoins qu'on succombe rarement à une arête de poisson coincée dans l’œsophage). 

« il suffit de pas grand-chose parfois pour que s'altère l'humeur d'un chef de service faut-il au  demeurant le meilleur homme du monde et que telle proposition faite à neuf heures et demie risque fort à quatorze heures trente de ne plus valoir cher (…) vous avez donc tout intérêt à ramasser quelques informations sur le menu du snack et à surveiller du coin de l'oeil le comportement alimentaire de votre supérieur hiérarchique au cours du repas de midi plusieurs cas peuvent se présenter qui chacun exigeront de votre part une réponse appropriée supposons ainsi que nous soyons un vendredi de deux choses l'une ou bien le snack a servi du poisson ou bien le snack a servi des oeufs supposons que le snack ait servi du poisson de deux choses l'une ou bien votre supérieur hiérarchique a avalé une arête ou bien votre supérieur hiérarchique n'a pas avalé une arête … »

Évitez surtout les démonstrations économiques foireuses et prenez le temps de travailler un peu (ne serait-ce que pour justifier votre faible salaire actuel). Enfin, n'oubliez jamais que votre chef de service est un être humain, avec ses états d'âmes et, surtout, qu'il est lui-même le subordonné d'un cadre d'entreprise lunatique (un trait de caractère imposé par son statut professionnel).

Afin de vous mettre en condition pour lire ce texte totalement loufoque, je vous suggère de vous isoler car il s'agit d'une course de fond : il vaut mieux le parcourir d'une traite jusqu'au point final (l'unique ponctuation du petit guide). Si vous ne ratez pas votre départ, je vous garantis que ce livret vous apportera beaucoup de plaisir, exception faite du but qu'il se propose d'atteindre, à savoir décrocher une augmentation de salaire avant votre départ à la retraire. 

L'art et la manière d'aborder son chef de service pour lui demander une augmentation. Georges Perec. Points, 71 pages (2011) / Fayard, 120 pages (2024)

Challenge Monde ouvrier & mondes du travail


Commentaires

  1. J'aurais juré l'avoir déjà lu? Ou alors c'est que je connaissais juste ce titre? Bon, faut que j'aille fissa le lire (ou demander une augmentation? ^_^)

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    1. ^_^ Pour l'augmentation, ce n'est pas gagné si tu suis les conseils de Perec !

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  2. J'aime Pérec mais je le reconnais cela fait très longtemps que je ne l'ai plus lu pourtant c'est toujours un moment de plaisir. Déjà le titre de celui-là est totalement loufoque et tu me donnes envie. Par contre désolée, j'ai un peu laissé tomber ce challenge-là trop de difficulté à trouver des titres qui m'intéressent dans mes médiathèques...Je ferai mieux une autre fois

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    1. C'est un opus très distrayant... mais pas très utile dans la vie professionnelle... Je pense qu'Ingannmic va nous proposer un nouveau thème en janvier. J'ai hâte de le découvrir.

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  3. Bonjour! Voilà qui a l'air cocasse... Je pourrais avoir envie de m'y mettre; ce sera l'occasion pour moi de renouer avec Georges Perec. Merci pour ce partage!

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    1. oui, c'est très drôle et rapide à lire... pendant une réunion ennuyeuse, par exemple.

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  4. Quel écrivain et que esprit ! je n'ai pas lu ce roman je le ferai à l'occasion.

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    1. Ce n'est pas un roman. En fait, je ne sais pas comment le qualifier. Une choses est sûre : c'est très drôle.

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