Le jour de la gratitude au travail. Akiko Itoyama

Le jour de la gratitude au travail. Akiko Itoyama


Le 23 novembre au Japon c'est la fête nationale de la Gratitude au travail. Ce n'est pas un jour férié pour autant. Akiko Itoyama a construit deux récits, à la fois incisifs, humoristiques et émouvants, autour de cet événement. Elle s'inspire à n'en pas douter de sa propre expérience professionnelle en tant qu'agent commercial dans une grande entreprise d'équipement ménager. Son opus a été récompensé en 2006 par le prix Akutagawa, l'une des récompenses littéraires les plus prestigieuses du Japon, qui couronne les jeunes auteurs de nouvelles.

Dans le premier récit, nous sommes invités à suivre les déboires de Kyôko, chômeuse presque arrivée en fin de droits et revenue vivre chez sa mère. Sa voisine, la veuve Hasegawa, s'est mis en tête de jouer les marieuses. Kyôko, qui se sent une dette envers elle à cause d'un accident survenu quelques semaines plus tôt, a accepté à contrecœur une rencontre arrangée avec un certain M. Nobeyama. Or, ce chantre de la grande industrie japonaise au physique ingrat, s’avère absolument imbuvable. La jeune femme craque et fuit littéralement la petite assemblée. Pour se remonter le moral, elle décide de faire appel à une ancienne collègue de bureau. Les deux jeunes femmes se rejoignent dans un café et évoquent leurs parcours communs dans la vie active. Kyôko a quitté l'entreprise après un esclandre mémorable qui s'est soldé par plusieurs bouteilles de bière fracassées sur le crâne de son patron.

Natsume Oikawa, la narratrice de la seconde nouvelle, a un profil et un parcours professionnel assez similaire, à la différence qu'elle n'a pas été poussée à la démission. A travers le récit de sa relation particulière avec son collègue Futo, elle évoque la période révolue de la bulle économique, qui a permis aux jeunes diplômés de sa génération de se faire une place dans les services administratifs des grands groupes japonais. C'est toute une culture du travail qui nous ait dévoilée ici. La jeune femme explique comment, dans les entreprises nippones, les nouveaux embauchés sont accueillis et pris en charge par les seniors, avant d'acquérir une certaine autonomie. Celle-ci reste néanmoins soumise aux aléas des mutations incessantes. Après une période d'euphorie économique et d’incalculables heures supplémentaires est venue celle de la récession, où il a fallu apprendre à démarcher les clients potentiels. Cette ère nouvelle, Natsume l'affronte d'autant plus seule que son binôme depuis la faculté, Futon, a été victime d'un accident mortel.

Ce petit livre est une formidable découverte à tous points de vue. Akiko Itoyama brosse un tableau extrêmement caustique de la société japonaise. Son style d'écriture bat en brèche un certain nombre de clichés sur notre vision de la femme japonaise, que pour ma part j’imaginais discrète et pleine d'abnégation. Ses pirouettes drolatiques allègent l'autorité des thèmes abordés (le chômage, les difficultés financières, la mort, les convenances sociales, la solitude, etc) et font de cet opus un joyau, plein de tendresse pour ses personnages, dont je suis ressortie enchantée.

💪Ce livre me permet de participer au Challenge de lecture dédié aux Mondes du travail organisé par Ingannmic. 

📚Voir aussi l'avis d'Audrey

📌Le Jour de la Gratitude au Travail. Akiko Itoyama, traduite par Marie-Noëlle Shinkay-Ouvray. Picquier, 120 pages (2010)

Monde ouvrier & Mondes du travail


Commentaires

  1. En effet ces deux nouvelles sont intéressantes. Le regard porté sur l'organisation du travail et le point de vue de ces deux femmes différentes mais prêtes à se révolter me parait sortir des sentiers battus... Comme toi je pensais la femme japonaise plus soumise et discrète. A noter donc et en plus je ne connais absolument pas cette autrice.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Apparemment c'est le seul roman de l'autrice disponible en Français et il n'est pas paru récemment. Je ne sais pas si on peut le trouver facilement

      Supprimer
  2. Parfait pour l'activité d'ingannmic ! Je croyais l'avoir lu, mais non, il a du être noté un moment, mais mes biblis ne l'ont pas !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'ai été surprise de découvrir qu'il était dispo dans ma bibli de quartier car ce n'est pas un roman récent.

      Supprimer
  3. Ça a tout pour me plaire. Derrière cette couverture faussement naïve se cache visiblement des femmes au tempérament de feu !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. La couverture est un peu trompeuse, en effet.

      Supprimer
  4. Voilà qui est très tentant. Je n'ai pas lu japonais depuis trop longtemps.ll

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je suis rarement déçue par les éditions Picquier

      Supprimer
  5. Ca me rappelle un peu L'usine, roman japonais également, qui évoque notamment les conséquences de l'absence de sens des missions qui sont confiées aux personnages. Est-ce que tu trouves pertinent de le classer dans le sous-thème "Femmes au travail" ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. oui, absolument, cela correspond bien au thème Femmes autravail

      Supprimer
  6. Yeeeeeeeeeeeees ! Il est à la bibli, et disponible! Noté bien évidemment.

    RépondreSupprimer
  7. j'aime toujours lire des livres qui permettent de lutter contre les clichés et il y en a beaucoup à propos du japon !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'avoue que ma vision du Japon manque parfois de nuances. La littérature permet d'un savoir un peu plus sur cette culture si éloignée de la notre.

      Supprimer
  8. Eh bien, ça me fait plaisir de voir que tu es enfin tomber sur un livre qui t'a enthousiasmée et ça tombe bien car il me tente beaucoup aussi.^^ Je ne connaissais pas cette écrivaine japonaise en plus et si ses histoires sont aussi humoristiques qu'émouvantes, je ne devrais pas être déçue.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Apparemment l'autrice a publié au moins une dizaine de livres au Japon et reçu plusieurs prix littéraires prestigieux. La nouvelle "J'attendrai au large", dans ce recueil, à été récompensée par le Prix Akutagawa en 2005, par exemple. Pour celles et ceux qui lisent en Anglais, on peut trouver la nouvelle Waiting in the Offing ici

      Supprimer
  9. J'avais déposé un commentaire? Ou noté le livre dans les listes avant de l'envoyer? Allez savoir... ^_^

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. oui, désolée, j'ai mis un peu de temps à valider les commentaires !

      Supprimer
  10. La littérature japonaise et moi, on ne se comprend pas ... Mais tu dis "caustique", je note le titre sur un coin de carnet quand même ...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'ai du mal avec certains auteurs japonais mais je suis tombée aussi sur des pépites

      Supprimer
  11. Si c'est caustique, je suis preneuse ! "gratitude au travail"... déjà, l'expression !?! Je note en tous cas!

    RépondreSupprimer
  12. Hedwige25.11.24

    Il ne fait pas bon travailler dans une entreprise japonaise avec leurs exigences telles qu'elles rendent presqu'impossible aux femmes de fonder une famille. D'où sans doute cette impression que la femme japonaise est dépendante de son mari si elle désire des enfants. Merci pour ta remarquable présentation de ce recueil, elle me tente beaucoup/

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est sûr qu'il y a des progrès à faire au sein de l'entreprise et de la société japonaise concernant la condition féminine. J'ignore si, depuis l'écriture de ces textes (qui datent déjà d'une bonne quinzaine d'années) les choses ont un peu évoluées.

      Supprimer
  13. Ravie que ce recueil t'ait plu :) Je l'avais apprécié même si je pense avoir été un petit peu moins enthousiaste que toi.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je n'avais pas vu que tu avais lu ce livre. Je viens d'ajouter un lien vers ton avis.

      Supprimer
  14. Voilà une lecture qui pourrait me plaire. Merci pour ce conseil.

    RépondreSupprimer
  15. Thaïs26.11.24

    En ce moment plein de choses me conduisent au. Japon et ce livre m’a paraît vraiment intéressant pour aborder le monde du travail. (Je lis le dernier Amélie Nothomb sur le Japon justement)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tu lis son livre sur son expérience dans une entreprise japonaise ?

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

Les Doigts coupés. Hannelore Cayre

Neuf vies. Peter Swanson

Les Naufragés du Wager. David Grann

La maison allemande. Annette Hess

Une saison pour les ombres. R.J. Ellory