À l'ombre des loups. Alvydas Slepikas

À l'ombre des loups. Alvydas Slepikas


💪Grâce au challenge sur la littérature des Pays de l’Est, organisé cette année par Sacha, nous partons à la découverte des auteurs originaires des pays Baltes. Pour ma part, j’ai choisi un livre d’Alvydas Slepikas, un dramaturge et scénariste lituanien. À l'ombre des loups est son premier roman. Il aborde le sujet des "Wolfskinder "(littéralement "enfants-loups") de Lituanie dont j’ignorais pratiquement tout. 

A la fin de la seconde guerre mondiale, la province de Prusse-Orientale est définitivement détachée de l’Allemagne et devient une enclave russe située entre la Pologne et la Lituanie. Après la prise de Königsberg en avril 1945, les soldats soviétiques sont incités par leurs Etat-Major à laisser libre court à leur soif de vengeance contre les Nazis. Tous les Allemands sont visés y compris leurs enfants, considérés comme de la graine de fascistes. C’est désormais le règne de la terreur dans une région détruite par les bombardements. 

A travers les destins deux familles, Alvydas Slepikas nous raconte ce pan d’histoire méconnu. L’époux d’Eva n’est pas rentré du front et elle ignore si elle est veuve. Elle vit dans la remise de son ancienne maison (le bâtiment principal étant désormais réquisitionné au bénéfice de l’occupant soviétique) avec ses enfants et Lotte, une proche parente qui l’aide à subvenir aux besoins des petits. Chaque soir, Eva part en quête de nourriture avec son amie Martha. C’est une mission ingrate qui expose les deux jeunes mères à la concupiscence et à la violence des soldats russes. 

Wolfskinder de Rick Ostermann (affiche du film)
L’hiver 46 est particulièrement rude. Le froid est intense et la population est affamée. Les cadavres sont abandonnés sur place, sans sépultures. Les survivants (essentiellement les femmes et les vieillards) qui peuvent travailler sont déportés vers des camps de concentration.  De nombreux enfants (orphelins ou non) sont laissés sur le bord de la route, livrés à eux-mêmes. Certains préfèrent se jeter dans le Niémen tandis que d’autres traversent la frontière dans l’espoir de trouver de la nourriture en Lituanie. C’est le cas de Heinz et d’Albert, les fils d’Ava et de Martha. Plus tard, ce sera au tour de Monika et de Renate de quitter le foyer familial pour cette terre étrangère. Des hordes d’orphelins affamés trouvent ainsi refuge dans la forêt, d’autres s’acquittent de petites corvées en échange de nourriture ou sont hébergés par des âmes compatissantes. La plupart de ces jeunes doivent abandonner leur langue et leur identité pour éviter que leurs familles d’adoption ne subissent des représailles. Des enfants et des adolescents meurent de froid et de faim, sans parler des violences dont ils sont victimes. 

Alvydas Slepikas a été frappés par les récits qui ont commencé à fleurir après l’indépendance de son pays en 1990. Devant la réticence des rescapés à témoigner du calvaire qu’ils ont vécu, il a choisi de nous raconter leurs histoires par le prisme de la fiction. J’ignore si cette contrainte romanesque lui a trop pesée mais les deux moitiés du roman m’ont semblé très déséquilibrées. La première partie, qui pose le contexte et les personnages, tient parfaitement la route. En revanche, la seconde partie, qui se focalise sur les parcours individuels des enfants, m’a paru bâclée. Les chapitres sont beaucoup plus courts et la fin paraît bien abrupte. Le titre français, A l’ombre des loups, me parait bizarre aussi mais c’est apparemment un choix de l’éditeur. Le titre original, Mano vardas Marytė (je m’appelle Marytė) fait référence à une phrase en lituanien que l’une des petites héroïnes a apprise par cœur. Elle sera à la fois sa planche de salut et la marque de renoncement à sa véritable identité.

J’avoue que je suis légèrement déçue par ce livre dont j’attendais beaucoup. Bien sûr, je comprends que le sujet soit délicat à traiter, en particuliers sous une forme romanesque. Il existe déjà quelques essais historiques sur la question, ainsi que des témoignages et j’imagine que l’auteur a essayé de se démarquer. Il avait peut-être aussi dans l’idée d’attirer un public un peu plus large. L’intention est louable mais je trouve que le résultat est mitigé. 

Selon les estimations de l’historien Christopher Spatz (qui a publié une thèse de doctorat sur le sujet à l’Université Humboldt à Berlin en 2016), ils étaient 30 000 Wolfskinder à sillonner les routes lituaniennes à la fin de la guerre. A partir de 1951, les autorités soviétiques organisent des convois et environ 3 500 jeunes errants d’origine allemande sont renvoyés dans des orphelinats en RDA. En 1991, des anciens enfants-loups de Lituanie fondent une association appelée « Edelweiss » et plusieurs récits autobiographiques sont publiés. En 2013, le cinéaste allemand Rick Ostermann réalise le film Wolfskinder, une fiction inspirée de faits réels.

📚D'autres avis que le mien chez Sandrine et Ingannmic

📌À l'ombre des loups. Alvydas Slepikas, traduit par Marija-Elena Baceviciute. Flammarion, 240 pages (2020) / J’ai lu, 288 pages (2021)

Challenge Une rentrée à l'Est 2024


Commentaires

  1. Sur c coup là, je ne lirai qu'un bouquin, j'en ai raté un autre, en 15 jours c'est court, on emprunte, on lit, etc. je suis au courant, mais ce genre de bouquins se trouve (s'il se trouve) dans ma bibli lointaine, et souvent en réserve. OK, l'année prochaine!

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    1. Je n'en lirai pas beaucoup plus. J'ai encore une BD et c'est tout

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  2. Tu me fais découvrir ce pan de l'Histoire absolument tragique. Dommage pour la forme qui ne t'a pas convaincue, et qui pouvait permettre de davantage faire connaître ces événements. Encore aurait-il fallu que la narration et la construction tiennent la route... Merci pour ta participation !

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    1. oui, c'est dommage. Et je viens de découvrir qu'Ingannmic et Sandrine n'ont pas aimé non plus.

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  3. J'avais été déçue aussi, notamment par la 2e partie où l'intrigue prend plusieurs directions que l'auteur laisse en plan...

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    1. je suis bien d'accord avec toi. Je n'avais pas vu que tu avais lu ce roman. J'ai ajouté un lien vers ton billet

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  4. Celui-là je l'ai lu et pas aimé du tout. L'auteur rate un sujet vraiment intéressant.

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    1. Je viens de lire ta recension et j'ai ajouté un lien vers ton blog. Je suis d'accord avec toi sur l'essentiel.

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  5. Je crois qu'avec ce challenge, on va toutes et tous découvrir des pans de l'histoire que nous ne connaissions pas. C'est aussi le cas avec mes lectures (un premier billet arrive).

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    1. Non, je ne l'ai pas vu. Apparemment il est passé sur Arte mais je ne sais pas s'il y a une version française

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  7. Dommage pour le déséquilibre, le thème est intéressant et peu connu chez nous.

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    1. Il y avait de la matière à traiter avec un tel sujet mais c'est raté

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  8. PHILIPPE17.9.24

    Résultat mitigé? Oh dommage ! Le sujet me plaisait...

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    1. Je ne sais pas s'il existe d'autres romans sur le même thème. Il y a des essais et des témoignages, si ça t'intéresse.

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  9. J'ignorais aussi tout des enfants-loups, mais j'ignore quasiment tout de la Lituanie... Le sujet était intéressant, dommage pour son traitement quelque peu décevant. Je préfère le titre original quand on en connaît la référence dans l'histoire, mais c'est sûr que c'est moins parlant que le titre français hors contexte.

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    1. C'est vrai que le titre original n'est pas très parlant mais dans ce cas pourquoi ne pas choisir carrément Les enfants loups plutôt que L'ombre des loups (qui ne me parle pas plus que le titre original si je ne connais pas le contexte) ?

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  10. Quelle horreur ! Je ne connaissais pas ce pan tragique de l'Histoire... L'être humain ne cessera de me dégoûter par ce dont il est capable. Vu ton avis, je ne pense pas tester ce livre mais je pense lire un jour un livre abordant ce sujet.

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    1. Malheureusement, c'est vrai. Plus on lit sur les percussions ou exactions de guerre, plus on s'aperçoit que l'homme est cruellement créatif.

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  11. Je l'avais noté mais il n'était pas en médiathèque...mais qu'est-ce qu'il doit être marquant ce livre. L'histoire est horrible je trouve...Dommage que tu émettes quelques bémols comme tu le dis c'est difficile pour un auteur de traiter d'un tel sujet qui ne montre pas les hommes et leur pays sous leur meilleur jour...c'est le moins qu'on puisse dire. Merci pour cette chronique

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    1. Oui, c'est vrai. L'auteur a voulu épargné beaucoup de personnes, les Allemands y compris. Le problème de ce livre vient aussi de la forme, les personnages abandonnés en cours de route, etc. Dans la seconde partie, on a l'impression que l'auteur a hâte d'en finir avec son roman.

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