Cette corde qui m'attache à la terre. Lorina Bălteanu
Cette lecture, dont j’ai pioché l’idée sur le blog Et si on bouquinait un peu, me permet une incursion en Moldavie. J’ai appris à cette occasion qu’on y parle le Roumain. Durant la période soviétique, l’écriture cyrillique a été imposée à la population locale si bien que les livres imprimés avant devaient être cachés.
En général, je ne suis pas une grande amatrice de ce type de roman, à hauteur d’enfant, mais je dois reconnaître que le choix narratif de l’autrice est cohérent avec l’intrigue. Ce récit d’enfance, plein de fraîcheur et d’espièglerie, nous téléporte dans un monde aujourd’hui disparu. La narratrice ne donne pratiquement aucune date ni nom de lieu. Le lecteur ne connaîtra pas non plus son véritable prénom qu’elle déteste et qu’elle a elle-même modifié au stylo sur son acte de naissance. La mention de l’assassinat de Salvador Allende au Chili m’a permis de dater une partie des évènements. Sachant que la narratrice elle est entrée chez les Pionniers, elle a donc entre 9 et 14 ans, à la fin du roman, en septembre 1973. Le récit débute entre 1959 et 1964 avec la naissance difficile de l’héroïne. Sa mère a bien failli y rester ce qui a valu au nouveau-né un ressentiment durable de la part de sa fratrie.
Au temps de l’occupation soviétique, la vie est plutôt rude dans le village d’enfance de la narratrice. L’argent circule en circuit fermé entre le kolkhoze et l’épicerie, tenue par son père. Les billets sont tellement froissés que la fratrie est chargée de les repasser. La petite fille, en profite pour prélever discrètement quelques Kopecks, destinés à financer son futur voyage à travers le vaste monde. C’est son rêve le plus cher qui revient, presque à chaque chapitre, comme une litanie. Sa mère doit la surveiller en permanence car la gamine saisit toutes les opportunités pour fuguer. La tante Muza, qui vit à Bucarest, est son modèle. L’oncle Stefan y habite aussi mais il ne rend jamais visite à la famille. En attendant le grand départ, la vie s’écoule vaille que vaille, avec son lot d’amours (dangereuses) de naissances (difficiles), de ressentiments (tenaces), de fêtes (alcoolisées) et de deuils (inévitables). Il faut un peu d’ingéniosité pour embellir le quotidien, récupérer les vieux vêtements des aînées, recycler les matériaux pour fabriquer des jouets, dégoter des recettes pour accommoder les produits périmés, etc.
Tout cette histoire nous est contée sans fausse pudeur ni pathos. On sait, par exemple, que nana Raia, la bibliothécaire a été déportée en Sibérie avec toute sa famille et n’a donc jamais pu se marier ni avoir d’enfants. L’évènement nous est rapporté avec la candeur de l’enfance si bien qu’il acquière une certaine distance. La guerre est également évoquée à plusieurs reprises mais toujours de manière factuelle.
📚J’image que ce roman emprunte beaucoup à la vie de l’autrice qui est née en 1960 dans le village moldave de Peciste. Lorina Bălteanu a fait ses études à Moscou puis à Dijon et vit aujourd’hui à Paris. Son roman, qui est le premier traduit en Français, est une pépite pleine de fantaisie que je vous recommande vivement. Il a déjà séduit Patrice, Ally et La livrophage.
📌Cette corde qui m'attache à la terre. Lorina Bălteanu, traduite par Marily Le Nir. Editions des Syrtes, 201 pages (2024)
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