Nos mondes perdus. Marion Montaigne
Je découvre Marion Montaigne grâce à ce gros album et c’est un énorme coup de cœur. L’autrice, qui est à la fois scénariste et dessinatrice, s’intéresse à l’histoire des sciences… mais à sa manière un peu décalée. D’ailleurs, cette BD serait née de sa fascination un peu morbide pour Jurassic Park, le film de science-fiction de Steven Spielberg (qu’elle a vu plusieurs centaines de fois) et un penchant tout aussi singulier pour le dessin anatomique.
Nos mondes perdus n’est pas la première incursion de Marion Montaigne dans le genre. Si elle a débuté sa carrière d’illustratrice dans l’édition pour la jeunesse, elle s’est rapidement fait un nom dans le domaine de la vulgarisation scientifique. Certains connaissent peut-être son blog créé en 2008, Tu mourras moins bête (…mais tu mourras quand même). Les strips diffusés en ligne ont ensuite été réunis dans une série d’albums et publiés par Ankama Éditions (à partir de 2011) puis Delcourt (dès 2014). En 2016 et 2017, la dessinatrice a suivi le spationaute français Thomas Pesquet dans la préparation de la mission Proxima puis durant sa réadaptation à la vie terrestre. Elle a en a tiré une BD reportage intitulée Dans la combi de Thomas Pesquet (Dargaud, 2017).
Nos mondes perdus compte plus de 200 pages et l’ensemble est d’autant plus dense que l’illustratrice a favorisé les planches avec de petits dessins humoristiques assez détaillés. En dépit de cette apparence un peu foutraque, l’album s’appuie sur des recherches très pointues en paléontologie, en biologie et en historiographie. Le choix du média permet au lecteur de suivre parallèlement l’élaboration de la bande dessinée puisque l’autrice se met en scène dans ses dessins.
Au commencement, nous rappelle Marion Montaigne, il y a la théorie créationniste. C’est donc un religieux (un archevêque irlandais en fait) qui, le premier, a eût l’idée de calculer l’âge de la terre. Il s’appelle James Ussher (1581-1656) et il s’appuie sur les données chronologiques de la Genèse dans la Bible. Il place ainsi très précisément la date de naissance de notre planète au 23 octobre de l'an 4004 av. J.-C. Le résultat semble validé par l’ensemble de la communauté chrétienne et il faut attendre les insolantes théories du comte de Buffon (1707-1788) pour voir l’âge canonique de notre planète remis en question. Sa méthode s’appuyait sur des hypothèses plus scientifiques évidemment. Dans un premier temps, le naturaliste français l’estime à 74 047 ans. Bien que ses calculs soient faux, ils contribuent à faire progresser les connaissances en la matière. Dans les années 1950, Clair Patterson estime finalement que la Terre s’est formée il y a 4,567 milliards d’années. Mais, avant que cette grande question soit réglée, d’autres controverses naturalistes sont nées autour des fossiles, puis des animaux et de la flore préhistoriques.
Marion Montaigne montre l’évolution des sciences (y compris ses erreurs et ses reculs), les rivalités de ses représentants (dont les égos sont souvent démesurés), les tentatives de faire coller les découvertes officielles aux doctrines religieuses, les mensonges, les chausses trappes, etc. Elle nous apprend (ou nous rappelle) qui a inventé le mot dinosaure. Elle nous parle de personnages réels mais méconnus comme les Américains Edward Drinker Cope (1840-1897) et Othniel Charles Marsh (1830-1899). On croise encore bien d’autres célébrités comme l’anatomiste Georges Cuvier et même le troisième président des États-Unis, Thomas Jefferson. Tout cela, sous le divertissant patronage de Sigmund Freund. Bref, on ne s’ennuie jamais, bien au contraire.
J’ai admiré la rigueur de l’autrice qui va, par exemple, jusqu’à dénicher un guide d'exposition du Crystal Palace de 1854 pour savoir si le mégalosaure de Richard Owen avait une bosse ou pas. J’ai surtout beaucoup apprécié ses traits d’humour. Certains passages sont même franchement hilarants.
Nos mondes perdus est une invitation à la découverte, une occasion de susciter la curiosité chez les jeunes et les moins jeunes. L’ouvrage ne s’adresse pas aux enfants mais à un public assez large quand même.
📚Un autre avis que le mien chez Fanja
📌Nos mondes perdus. Marion Montaigne. Dargaud, 208 pages (2023)
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