Le Médecin de Cape Town. E. J. Levy

Le Médecin de Cape Town. E. J. Levy


L’idée de ce roman est née, il y a plus de 10 ans, dans un avion à destination de l’Afrique du Sud. E. J. Levy découvre un entrefilet consacré à la biographie d’un chirurgien militaire de la couronne britannique ayant séjourné au Cap. Ce médecin a exercé son métier au 19ème siècle, sous le pseudonyme de James Barry, mais son nom de naissance était Margaret Bulkley. Son secret fut révélé en 1865, lors de son autopsie, alors que le testament prévoyait que son corps serait incinéré sans examen préalable.  La romancière américaine est fascinée par cette histoire au point d’être persuadée d’entendre la voix du médecin… pas au sens pathologique du terme, bien sûr, mais elle pense comprendre la psyché de cette personne singulière et décide qu’elle sera le personnage principal de son prochain livre. Il faudra néanmoins plusieurs années de recherche et d’écriture pour ressusciter ce fantôme d’un autre temps. Dans ses mémoires fictives, Margaret Bulkley / James Miranda Barry, devient Margaret Barckley / Jonathan Mirandus Perry. Certains éléments de sa vie restent flous mais peu importe puisque E. J. Levy a fait le choix du romanesque pour nous les restituer. Elle bouscule un peu la chronologie et comble quelques vides. 

Selon l’intrigue, Margaret Barckley est née vers 1795 à Cork en Irlande dans une famille de commerçants endettés. Après la banqueroute familiale, elle part à Londres avec sa mère où elles espèrent obtenir le soutien financier d’un oncle, James Barry, avec lequel elles n’ont plus de rapport depuis longtemps. C’est un artiste renommé mais elles découvrent qu’il a perdu tous crédits auprès de ses pairs.  Il meurt sans avoir intercédé en leur faveur pour modifier l’héritage familial ni arrangé leur situation pécuniaire. Heureusement, un ami de James Barry, le général vénézuélien, Francisco de Miranda, est subjugué par les capacités intellectuelles de Margaret. Il la prend sous sa protection, lui donne accès à sa formidable bibliothèque puis à des mécènes potentiels… mais pas sous son vrai nom car les femmes ne sont pas acceptées à l’Université et n’ont pas le droit d’exercer la médecine. Il faudra attendre encore quelques années et l’acharnement de deux femmes d’exception : Elizabeth Blackwell (1821-1910) et Elizabeth Garrett Anderson (1836-1917). Margaret Barckley emprunte le nom de feu son oncle James Barry et y accole, en deuxième prénom, celui de son bienfaiteur (Miranda). En 1809, grâce à ce pseudonyme, elle est admise à la faculté d’Édimbourg. Elle en sortira, 3 ans plus tard, avec son diplôme de médecine. Après quelques mois de pratique, le docteur James Miranda Barry est envoyé au Cap et devient le médecin personnel du gouverneur, lord Charles Somerset.

Le roman d’E. J. Levy se focalise en grande partie sur les 12 années passées au Cap. Il évoque non seulement la vie personnelle de James Barry mais aussi les débuts de sa carrière professionnelle. L’ex jeune fille découvre le pouvoir dont bénéficient les hommes de se comporter et de s’exprimer plus librement. Le médecin se forge une réputation de dandy et de séducteur auprès des femmes puis choque la bonne société qui suspecte une relation homosexuelle avec le gouverneur. Le médecin surprend par ses méthodes avant-gardistes, réclame des réformes sanitaires, défend les esclaves, s’intéresse au sort des lépreux et réussit même une césarienne sans tuer la mère ni le bébé. 

Le Médecin de Cape Town est d’abord un roman historique. E. J. Levy s’est attachée à recréer non seulement le décor mais aussi l’ambiance des lieux. Elle a relu Jane Austen, Mary Shelley, Charles Dickens, Mary Wollstonecraft et William Godwin pour s’imprégner du mode de pensée et de la façon de s’exprimer au 19ème siècle. Elle a même feuilleté de vieux manuels scientifiques et s’est renseignée sur les pratiques médicales de l’époque. Le résultat me semble plutôt crédible et le fil narratif n’en est pas alourdi pour autant. A travers le portrait romanesque de Margaret Anne Bulkley, la romancière américaine aborde de nombreuses questions comme celles de la condition féminine au 19ème siècle, le patriarcat, le colonialisme, l’esclavage, les rapports entre riches et pauvres, etc.

J’ai eu grand plaisir à lire l’histoire fictive de ce Médecin de Cape Town. En ce qui concerne son modèle, il existe des controverses, notamment au sujet de son sexe et de son éventuelle maternité. Margaret était-elle hermaphrodite ou transgenre ? Ses biographes, Michael du Preez et Jeremy Dronfield, (James Barry, A Woman Ahead of Her Time, Oneworld Publications, 2016) ont tranché. La sage-femme qui a ausculté le docteur Barry après sa mort a affirmé qu’elle possédait des organes génitaux féminins. Le mystère de sa date de naissance, que les biographes placent plutôt vers 1790, s’explique par la nécessité de cacher la féminité de l’élève en médecine par un aspect juvénile liée à sa précocité intellectuelle. Je regrette que la biographie de Michael du Preez et Jeremy Dronfield ne soit pas disponible en Français car il est intéressant de la lire parallèlement au livre d’ E. J. Levy

J’ai partagé cette lecture avec A Girl From Earth et ClaudiaLucia après avoir découvert le roman chez Keisha.

Le Médecin de Cape Town. E. J. Levy, Traduit par Céline Leroy. Editions de l’Olivier, 416 pages (2023)


Commentaires

  1. Ta note est bien plus positive que celle de A girl ! Mais le roman semble malgré tout reconstituer pas mal d'épisodes, non ? Je sais bien que c'est le cas de beaucoup de romans historiques ... Mais comment le médecin a-t-il pu avoir une telle réputation de séducteur sans que le secret ne s'ébruite ?

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  2. Cette partie là n'est pas claire du tout et je me suis posée la même question que toi. J'en déduis que l'autrice s'est laissée porter par son imagination.

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  3. J'ignorais les détails de la genèse de ce roman. Plutôt intéressants.
    Je n'ai rien contre le choix de l'auteure de développer l'histoire d'amour, même si ce n'est pas ce que je préfère en général^^, mais je n'ai pas trouvé qu'elle y mettait vraiment en valeur le personnage du médecin, et autour d'une telle figure, je m'attendais quand même à moins mièvre. Honnêtement si elle avait intitulé son livre "Dr Perry et Lord Somerton", là oui, j'aurais su dans quoi je m'engageais.^^ Enfin bon, l'intérêt pour moi de ce livre, c'est d'avoir tout de même attiré mon attention sur ce personnage historique (Dr Barry) que je ne connaissais pas.
    En passant, j'ai supprimé le commentaire que tu avais supprimé sur mon blog, ce qui a supprimé également le commentaire que tu avais écrit juste derrière. ☹️ Je ne savais pas qu'ils étaient liés...

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    1. Bon, en y repensant, c'est vrai que l'histoire d'amour prend trop de place. On est d'ailleurs surpris que l'histoire se termine au retour du Cap. Il y avait effectivement beaucoup à dire sur le personnage. Apparemment Barry était un médecin exceptionnel qui a réussi la première césarienne (sans tuer sa patiente) et développé des pratiques hygiénistes (qui nous semblent aujourd'hui de bon sens) plutôt avant-gardistes. Je mentirais si je disais que je me suis ennuyée. J'ai aimé les questionnement sur le genre, la société patriarcale, etc... mais je comprends que cette histoire d'amour qui prend trop de place puisse lasser. Claudialucia partage d'ailleurs ton avis. NB: J'ai du faire une mauvaise manip avec mon commentaire sur ton blog. Je n'étais pas bien réveillée !

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  4. Pour répondre à la question d'Athalie, Ellen J. Levy essaie de l'expliquer en imaginant que James Barry s'appuie sur des prostituées qu'elle paie pour témoigner de sa virilité. Mais de toute façon, on se demande comment il est possible de cacher ce secret si longtemps.
    Oui, je suis un peu moins enthousiaste que toi. J'ai vraiment été déçue que l'écrivaine accorde tant de place à cette éventuelle histoire d'amour et si peu au rôle du médecin. Bon, je vais voir A Girl from Earth.

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  5. Anonyme28.12.23

    Je l'ai commencé parce que le sujet m'intéressait, mais l'écriture m'a lassée. Trop plate. Je vois toutes les questions que tu te poses et cela ne me donne pas envie de retenter !
    nathalie

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    1. Ton avis rejoint ceux de A girl et Claudialucia. Cela n'est pas lié à la traduction puisque A girl l'a lu en VO.

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  6. Hedwige28.12.23

    C’est une histoire étonnante, mais j’ai déjà entendu ou lu des histoires similaires dont le mystère anatomique m’a toujours sidérée.

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    1. Apparemment, il ne s'agit pas d'une personne transgenre ou hermaphrodite. Margaret Bulkley se serait fait passer pour un homme uniquement pour accéder aux études de médecine (interdites aux femmes à l'époque) et exercer son métier.

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  7. C'est difficile de commenter ton blog, c'est dommage qu'il n'y ait pas de liens directs. Ce livre devrait m'intéresser, je le note. Bonne année

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    1. Bonjour Pat. Je crois que j'ai un problème de référencement. J'ai essayé de l'améliorer en passant par google search console mais ça n'a pas fonctionné. Merci pour ta patience

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  8. Thaïs29.12.23

    Je ne connais pas du tout cette histoire et c’est plus l’histoire de cette femme médecin du 19 eme qui m’intéresse. Belle fin d’année

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  9. Une femme médecin au XIXe : un destin hors du commun. C'est par ce genre de lecture que l'on réalise à quel point la société d'antan était misogyne et la gent féminine entravée et privée de liberté. Cela a l'air intéressant, merci pour cette découverte !

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    1. c'est intéressant mais l'autrice a trop développé l'histoire d'amour au détriment de la femme médecin. Pour ma part, ça ne m'a pas trop gênée mais les autres lectrices ont été exaspérées

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  10. Exact, un peu plus d médecine de l'époque et moins de sentimental, cela aurait été bien, tant qu'à imaginer...

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    1. Je crois que tout le monde est d'accord sur ce point du coup

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  11. intéressant pour le côté historique, moins le volet sur l'histoire d'amour, je passe donc mon chemin...

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    1. Je te comprends. Cet aspect a gêné plus d'une lectrice.

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