Humus. Gaspard Koenig
Les nouvelles générations (les sociologues les étiquettent sous les lettres Y et Z, c’est dire si ça sent déjà le sapin) n’aspirent plus à changer le monde mais à le sauver de la destruction. Il n’y a pas de planète B ! Exit les pansements du développement durable et gaffe au "greenwashing" ou à l’écoblanchiment. Les "bifurqueurs", ces jeunes diplômés d’AgroParisTech qui invitent leurs camarades de promos à déserter les voies capitalistes hautement dévastatrices, appellent le reste de la société à un sursaut individuel et collectif face à l’urgence climatique. A chacun de trouver ses alternatives. Les héros de ce roman initiatique ont justement des idées assez précises. Et si nos amis les lombrics pouvaient nous sortir de l’impasse écologique ?
« Dès le premier jour, Arthur s’était considéré en exil. Autrefois une des terres les plus fertiles de France, le plateau de Saclay avait été transformé en désert fonctionnel, une interminable zone commerciale où les enseignes auraient été remplacées par « Polytechnique », « Télécom » ou « École normale supérieure ». On prétendait y rassembler les meilleurs cerveaux de France, étudiants comme chercheurs. Mais que devient un cerveau prisonnier d’un espace implacablement géométrique, aveuglé par les néons blafards des couloirs, immergé dans une forêt de grues ? Une supermachine atrophiée, prête à se reproduire avec d’autres supermachines pour concevoir un monde de supermachines. Était-ce la mission que l’on fixait désormais aux futurs ingénieurs agronomes d’AgroParisTech ? Apprendre les bons éléments de langage sur l’agriculture régénérative pour transformer en toute bonne conscience les fermes françaises en usines à viande couvertes de panneaux solaires ? »
Kevin-sans-accent-sur-le-e et
Arthur, l’ingénieur agronome philosophe, se rencontrent sur les bancs de l’école
comme tant d’autres avant eux. Sauf qu’ils n’étaient pas destinés à fréquenter
le même milieu. Le premier en ignore les codes, le second veut s’en affranchir.
Une chose au moins les rassemble : leur passion pour les vers de terre.
Nos étudiants sont persuadés que ces détritivores sont l’avenir de la planète.
A la fin de leur cursus, ils choisissent néanmoins des voies différentes. Kevin
veut développer la fabrication d’un vermicomposteur et créer sa propre société.
Arthur s’exile dans son fief familial en Normandie, où il espère régénérer les
terres agricoles exsangues grâce à humification. Deux beaux projets, qu’en dépit du cynisme
ambiant, ils vont défendre avec la fougue et la naïveté de leur âge. L’un
devient, malgré lui, le porte-drapeau de l’ascenseur social puis
l’instrument des nantis ; tandis que l’autre enchaîne les déconvenues,
buvant le calice jusqu’à la lie.
Humus est certes un essai qui se
cache sous des habits romanesques mais ce n’est pas un texte soporifique pour
autant. Je craignais la partie consacrée aux lombrics et j’avais bien tort car
elle est passionnante. Le roman est une critique sans concession de notre
société mais cela n’exclut pas quelques passages humoristiques assez
croustillants. L’auteur se moque de tous, sans s’oublier lui-même, en
apparaissant sous les traits d’un essayiste opportuniste prénommé Gaspard. L’auteur
ne s’est pas contenté d’un survol superficiel des questions climatiques et environnementale :
ils explorent de nombreuses solutions, sans oublier les plus radicales. A
propos d’un autre roman, un blogueur (dont j’ai malheureusement oublié le nom)
utilise l’expression "roman feel bad" (en référence à ces romans "feel good" tant critiqués). Le terme me semble approprié pour Humus même si je
ne me suis pas sentie totalement accablée en le lisant. En réalité, le roman de
Gaspard Koenig m’a à ce point captivée que je l’ai lu d’une traite.
📚Une idée de lecture piochée chez
Kathel puis partagée avec Keisha et ClaudiaLucia
📌Humus. Gaspard Koenig. Editions de l’Observatoire, 384 pages
(2023)
Commentaires
Tu évoques des solutions radicales, oui, j'avoue que je ne l'avais pas vu venir!
Merci à toutes les trois de m'avoir fait confiance sur ce coup ! ;-)
Merci pour cette lecture qui m’intéresse beaucoup.