Ma sœur est morte à Chicago. Naomi Hirahara

Ma sœur est morte à Chicago. Naomi Hirahara


Naomi Hirahara n’est pas exactement une inconnue en France puisque 3 épisodes de sa série policière Mas Arai ont été publiés par les éditions de L’Aube en 2015-2016. Ma sœur est morte à Chicago est un roman indépendant, un polar historique que je qualifie de Whodunit. Je ne le classe pas dans les Cosy Mysteries à cause du sujet perturbant qu’il aborde. Il s’agit d’un élément méconnu de l’histoire américaine, à savoir le déplacement et l’enfermement des populations nippo-américaines après le bombardement de Pearl Harbor, le 7 décembre 1941. Ces faits constituent plus qu’une toile de fond, ils sont le cœur de l’intrigue. 

La famille Ito, installée depuis longtemps à Tropico en Californie (une ville fantôme aujourd’hui), appartient à la middle-class. Le père est directeur d’un marché de primeurs. Les deux filles, Rose et Aki, sont des "Nisei". Ce terme japonais désigne les enfants des immigrants, nés sur le sol américain (la deuxième génération). Ceux de la première génération, nés au Japon, sont appelés "Issei". Durant la seconde guerre mondiale, les autorités étatsuniennes ne font guère plus la différence. Les quatre membres de la famille Ito sont priés de faire leurs valises et déportés au camp de Manzanar dans la vallée de l'Owens au pied de la Sierre Nevada. Ils ne seront autorisés à le quitter qu’en 1944. C’est Rose, la sœur aînée, qui part en premier. La War Relocation Authority (WRA) l’envoie à Chicago où elle trouve rapidement un emploi dans une confiserie. Lorsque le reste de la famille débarque dans la capitale de l’Illinois, c’est pour apprendre que Rose s’est suicidée à la station de métro Clark & Divison (lieu qui donne son titre anglais au roman). Aki ne croit pas à cette version qui ne colle pas du tout au caractère de sa sœur. Ses parents étant totalement dépassés par les évènements, la jeune fille n’a guère la possibilité de s’interroger davantage ni de faire son deuil sereinement. La situation des migrants japonais, les emplois précaires, les logements minuscules, le racisme ambiant, l’interdiction de se rassembler…  ajoutent au désarroi d’Aki et de sa famille qui tentent de reconstruire leurs vies. Mais, au fil du temps, Aki fait des découvertes surprenantes sur Rose et décide de mener sa propre enquête pour laver l’honneur de sa sœur aînée.

Sans être un chef-d’œuvre inoubliable, Ma sœur est morte à Chicago est un roman de bonne facture. Le contexte historique éclipse un peu l’intrigue policière mais, pour ma part, je ne m’en plains pas car il m’a littéralement captivée. J’ai eu d’autant plus de facilités à imaginer la vie quotidienne des Nippo-Américains dans les camps de relogement précaires que j’ai eu l’occasion de visiter le centre de détention de Fort Missoula, il y a quelques années. En revanche, j’ignorais que les tracasseries administratives et sociales auxquelles les Issei et leurs enfants étaient confrontés avaient perdurées après leur libération. Naomi Hirahara n’est certes pas la première à aborder la question de l’internement des familles d’origine japonaise durant la seconde guerre mondiale. Certaines n'avaient jamais vu la mer, le roman de Julie Otsuka, évoque également cette période peu reluisante de l’histoire des Etats-Unis. Les populations concernées ont d’ailleurs occulté les évènements pendant longtemps. Il a fallu attendre la génération suivante, celles des "Sansei" (désigne les petits-enfants nés après-guerre), à l’instar de Julie Otsuka et Naomi Hirahara (toutes les deux nées en 1962) pour que les témoignages soient exploités de manière plus visibles.

Ma sœur est morte à Chicago a été nominé pour plusieurs prix aux Etats-Unis et a été récompensé, entre autres, par le Prix Mary Higgins Clark 2022. Il faut reconnaître que l’autrice nippo-américaine a fait un travail de documentation historique remarquable. Dans une interview accordée à Carol Fitzgerald, journaliste de Bookreporter, elle explique qu’elle s’est inspirée des recherches qu’elle a menées en tant que journaliste, ainsi que des récits de ses amis et de sa famille éloignée. Ses parents n’ont pas vécu les déportations. L’histoire de son père, rescapé d’Hiroshima, lui a en revanche inspiré en partie le personnage du détective amateur Masao « Mas » Arai dont le premier tome traduit en français est La Malédiction d'un jardinier kibei (Éditions de l'Aube, 2015). 

Ma sœur est morte à Chicago. Naomi Hirahara. Editions 10/18, 360 pages (2022)



Commentaires

  1. C'est le contexte qui me parait aussi fort intéressant.

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    1. Oui, on a envie d'en savoir plus sur cet épisode historique. Le roman est peut-être disponible en bibliothèque. Il est sorti il y a quelques mois

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  2. Oui toute une histoire horrible des USAs....comme beaucoup d'ailleurs...en tout cas cela doit etre bien a lire....

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    1. Oui, à ce propos, je me rends compte que mes commentaires ne sont pas forcément bien tournés car cet épisode historique est terrible

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  3. Je pense que je serai aussi davantage intéressée par le contexte historique que par l'intrigue policière dans ce roman que je m'empresse de noter. Tout ce qui touche au Japon de près ou de loin me passionne toujours.:)

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  4. ça me tente ! j'avais beaucoup aimé le roman de Julie Otsuka sur le sujet.

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  5. Anonyme29.5.23

    Il a l'air particulièrement intéressant pour la toile de fond. Ce n'est pas mon genre de prédilection mais je me le note, je suis assez intriguée !

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    1. L'autrice a fait un travail de recherche remarquable pour la toile de fond. J'ai beaucoup apprécié le contexte historique.

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