Les Mares-Noires. Jonathan Gaudet

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Ce court roman de Jonathan Gaudet nous conduit sur le territoire ancestral des Abénaquis au Québec. Depuis l’arrivée des colonisateurs, ces terres ont été profanées de bien des façons. Le paysage forestier a été saccagé successivement par l’industrie sidérurgique, les usines chimiques puis la centrale nucléaire. L’urbanisation s’est développée parallèlement ; les premiers villages faisant place aux cités dortoirs. C’est ici, dans la plaine alluviale des Mares-Noires, que vit le couple Bonaventure et Emilie, leur bébé. Leur maison, rachetée à un vieil ermite, est la plus ancienne et la plus isolée du coin. C’est dans ce lieu particulier que Catherine apprend la disparition de son mari, David, après une série d’explosions sur le site de la centrale où il travaille. On imagine sans peine le choc et le chagrin de cette jeune mère. D’ailleurs, plusieurs années s’écouleront avant qu’elle n’accepte de refaire sa vie. L’atmosphère de ce roman est très pesante. Le lecteur est pris d’un sentiment de malaise qui le tiendra jusqu’à la dernière ligne.

Les Anglo-saxons ont coutume de dire qu’il ne fait pas se fier à la couverture d’un livre. Pour ma part, j’ai tendance à être influencée par un certain nombre de codes, comme la couleur de la jaquette, l’illustration, le titre et le résumé en quatrième de couverture. Tous les signaux envoyés par l’éditeur de ce roman sont noirs, aussi m’attendais je à lire un roman policier. Or, une mort violente et des zones sombres suffisent elles à définir un polar ? On peut penser que le genre implique au moins une enquête mais on peut aussi admettre qu’il suffit d’une tension narrative pour faire un thriller. Mais peu importe car, pour moi, Les Mares-Noires est surtout un roman gigogne.  Le début du récit, relativement factuel, se contente de présenter le déroulement des évènements : l’explosion de la centrale, le mouvement de panique des familles, puis le changement de vie de Catherine et d’Emilie et leur rencontre avec Richard. La seconde partie, qui donne la parole à David, est bien différente. On est davantage ici dans l’ordre de l’affect, même si le narrateur, pudique, reste relativement lapidaire. Il y a aussi une dimension un peu magique dans ce livre, une part de non-dit, celle qui fait référence à la nature, la terre et à ses premiers habitants (y compris les animaux). On peut y voir une parabole en rapport avec l’histoire et les destins qui nous sont racontés. Par exemple, l’auteur fait plusieurs fois référence à l’ancienne ville minière de Gagnon, qui a été démolie en 1985 après que les dernières mines aient cessé leurs activités. 

Ce roman a été publié une première fois en 2016 aux éditions Héliotrope sous le titre de La piscine (non, je ne dévoilerai pas le pourquoi de ce titre). Jonathan Gaudet a écrit deux autres romans dont La dérive des jours (Hurtubise, 2013), finaliste du Prix des Cinq Continents, et La Ballade de Robert Johnson (Le Mot et le Reste, 2021). Il est aussi l’auteur d'un roman pour enfants intitulé Le journal du corsaire (Hurtubise, 2016).

Extrait :

« La maison est la dernière sur la route. Plus rien après sinon les rangs d’épinettes dévorées par les chenilles, les zones de coupes forestières et les pylônes métalliques qui acheminent le courant électrique au reste du pays. Une route de campagne avec des pierres grosses comme le poing qui rebondissent sous les roues des tout-terrain. Les Abénaquis fuyant l’avancée des colonies anglaises l’ont jadis empruntée lors de leurs expéditions de pêche, convoyant leurs canoës d’écorce sur leurs épaules meurtries, des lignes à pêche nouées autour de la taille et l’épiderme dévoré par les moustiques. Des carcasses de poissons éventrés ponctuaient la route entre la rive et leur village, témoins muets de la générosité des eaux. Aujourd’hui, le grondement des moteurs remplace le sifflement aigu du vent d’ouest, et les Abénaquis sont parqués dans la réserve de Wôlinak, dix kilomètres au sud du village. »

Les Mares-Noires. Jonathan Gaudet. Belfond, 176 pages (2022)

 

Commentaires

  1. Dis donc, ça ne rentrerait pas dans le cadre de "minorités ethniques" ?

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    1. Non, l'auteur rappelle juste qui habitait le territoire avant l'arrivée des Européens mais il ne parle pas vraiment des Amérindiens. Il y a une vague évocation (ou apparition) mais je c'est plutôt symbolique.

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  2. On peut changer un titre, comme ça? Bon, pourquoi pas...

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    1. Le premier éditeur est québécois... mais j'avoue que je n'y connais pas grand chose. Les éditions Belfond ont sans doute pensé que "Les Mares-Noires" est un titre plus approprié pour un thriller.

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  3. Je n'ai pas l'impression que ce roman t'ait particulièrement emballée.

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    1. Si, j'ai bien aimé mais j'étais un peu déroutée par la forme. Je m'attendais à un roman policier traditionnel

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  4. Voilà qui me tente bien. Je lis autour des thèmes nature/écologie/environnement : ça devrait correspondre.

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    1. La nature n'est pas au centre du roman. Ce qui intéresse davantage l'auteur, je pense, c'est l'aspect humain.

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  5. Je ne sais pas pourquoi, les derniers titres me font penser au Petit Bas ;-D

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    1. Tu parles du challenge Petit bac organisé par Enna ? C'est vrai que, ces derniers temps, je n'ai lu que des livres avec des couleurs dans le titre !

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  6. Bon, ça ne me parle pas trop trop comme ça, ça m'a l'air bien noir, dans le sens "chargé", mais... Y a-t-il des expressions québecoises ? Ça pourrait me décider, dans le cadre d'un challenge.^^

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    1. Non, désolée, il n'y a pas d'expressions québécoises (^_^) mais le livre est bien. Il est juste déconcertant.

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