L’Agneau des neiges. Dimitri Bortnikov
Maria est né au nord de la Russie, dans le bassin de la Dvina septentrionale, quelques années après la révolution bolchevique. Elle a deux frères aînés, pas toujours très sympas avec elle, qui l’appellent « patte d’ours » à cause de son pied bot. Leurs parents ne sont pas très riches mais la vie suit son cours vaille que vaille. La petite Maria est baptisée en secret, apprend à marcher avec une vache prénommée Aurore et mais ne peut pas aller à l’école à cause du trajet. Tout bascule lorsque son père est fusillé par les Soviétiques parce qu’il a tenté d’échapper à l’enrôlement forcé. Les frères de Maria la vendent à sa marraine, la femme du pope défunt, pour une brouette de poissons. Par cet acte odieux, ils la sauvent sans doute de la Grande famine. Serafima lui apprend à lire, à pêcher et à survivre dans la forêt. Lorsque sa bienfaitrice meurt, Maria part à la recherche de sa famille. Selon les rumeurs, ils auraient migré vers le sud. Pour notre héroïne, débute un long périple en train qui va la conduire jusqu’à Tachkent en Ouzbékistan, avant de remonter le long de la Volga via Kazan et Iaroslavl, puis de se rentre à Leningrad pour consulter un chirurgien. Elle travaillera dans un hôpital puis un orphelinat jusqu’à la guerre russo-finlandaise. A cause de son handicap, on la prend souvent pour une simplette. Mais Maria est une héroïne courageuse et déterminée qui va se battre jusqu’au bout pour protéger les 12 orphelins dont elle a la charge.
Dimitri Bortnikov est né en ex-Union Soviétique et a publié ses premiers romans en russe : Le Syndrome de Fritz, Svinobourg et La Belle Endormie (ou Le purgatoire). Ils seront traduits en français respectivement en 2010 (Noir sur Blanc), 2005 (Seuil) et 2022 (Noir sur Blanc). L’écrivain slave a immigré en France au tournant de l’an 2000 et abandonné sa langue natale en publiant Furioso (Editions MF, 2008). Viennent ensuite un roman intitulé Repas de morts (éditions Allia, 2012), une traduction des lettres d’Ivan le Terrible (Je suis la paix en Guerre, Allia, 2017), puis un récit d’inspiration autobiographique (Face au Styx, Rivages, 2017). Ces ouvrages sont écrits directement en Français. Il en résulte un style inimitable, tantôt poétique, tantôt fantaisiste. L’écrivain franco-russe emploi des tournures de phrases originales, use des onomatopées et abuse des points de suspension. On est ici davantage dans l’émotion que dans le récit descriptif. A certains moments, le lecteur a presque l’impression d’entendre les pensées des personnages. Et puis, il y a les jolis mots, rares ou improbables, comme les verbes "knouter" ou "se bonjourer" et beaucoup de tendresse, enfin, lorsque l’auteur évoque les enfants.
Extrait :
« Un autre jour, Maria s’est réveillée d’un étrange silence. Elle est sortie pour voir. Le ciel était comme une huître ouverte… Au palais nacré. Et le ciel chantait la musique de la neige… Il avait neigé cette nuit-là. Maria humait l’air. Rien. Aucune odeur… L’air était pur, et le ciel était haut. Si haut… Et le silence était parfait. À tomber à genoux devant tout ça… Et puis le soleil s’est levé et la neige, elle, s’est allumée de mille feux. Cette lumière du Nord. Le feu vert d’abord ! Puis rose… Puis vermillon… Et l’ombre est bleue, oui, ce bleu tendre, presque gris, qui vous suit, et puis passe devant et vous guide comme le chien d’un aveugle… Puis s’allonge à vos pieds, reste comme ça le temps d’un coup de cils, et puis disparaît. Mon ami, mon ami… La neige – c’est l’enfance de toutes les odeurs. La neige – c’est la mère de toutes les couleurs. La mère stérile… Toujours jeune. »
📌L’Agneau des neiges. Dimitri Bortnikov. Rivages, 287 pages (2021)
Tiens tiens, et c'est écrit directement en français, beaucoup de charme!
RépondreSupprimerOui, en effet, si on accepte l'originalité, le style a son charme. Au début, j'ai eu un peu de mal avec les répétitions mais j'ai adoré l'inventivité de l'auteur. Et puis, il y a de la bienveillance dans ce roman malgré l'horreur du contexte.
SupprimerHé bien, partir retrouver sa famille qui l'a vendue !
RépondreSupprimerTon billet me donne envie de découvrir cette héroïne.
oui, il faut reconnaître que l'héroïne n'est pas rancunière. C'est une belle personnalité
SupprimerTu me donnes envie de découvrir cet auteur, inconnu pour moi jusqu'à présent.
RépondreSupprimerIl faut essayer, vraiment, c'est une belle écriture
SupprimerOh c'est une jolie trouvaille, ça ! Les écrivains d'origine étrangère qui écrivent directement en français, déjà, ça me fascine ! Celui qui m'a vraiment terrassée à date, c'est l'auteur japonais, Akira Mizubayashi, avec "Une langue venue d'ailleurs", écrit en français. Et dans ton livre, l'originalité russe a tout pour me plaire !
RépondreSupprimerAh tiens, tu as éveillé ma curiosité avec Akira Mizubayashi. Je le note pour plus tard
SupprimerPourquoi pas si je le trouve en bibli. Je suis en train de lire Hana de Alena Mornštajnová , écrivaine tchèque pour le mois de l'Europe de l'est. Il me plaît beaucoup.
RépondreSupprimerMon précédent commentaire a dû encore paraître sous anonyme. Je ne m'habitue pas à devoir préciser mon nom et l'URL.
RépondreSupprimerTiens, c'est bizarre, tes informations ne sont pas pré-enregistrées ? Tu utilises peut-être plusieurs supports pour te connecter ou tu effaces systématiquement les cookies ?
SupprimerConcernant "Hana" de Alena Mornštajnová (la lecture commune organisée dans le cadre du mois de l'Europe de l'est), j'avoue que j'hésitais un peu. Je n'étais pas sûre d'accrocher mais si tu dis que c'est bien, ça change la donne. Je verrai si je trouve du temps d'ici le 31 mars.
Merci beaucoup pour cette nouvelle participation ; je ne connaissais absolument pas cet auteur ni cette histoire très surprenante !
RépondreSupprimerLe style surtout est très surprenant. Encore une belle découverte pour moi
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