La Renarde. Dubravka Ugrešić
Au travers de nombreuses anecdotes tirées de son expérience personnelle ou de l’histoire de la littérature, la narratrice de ce roman s’interroge sur le processus de création fictionnel et son devenir. Comment naissent les histoires ? Si la tentative de résolution de cette question est la colonne vertébrale de cet ouvrage, un autre élément récurrent apparait au fil du récit. Il s’agit de la figure universelle du renard. A l’instar de l’écrivain russe Boris Pilniak (1894-1938), qu’elle cite à de nombreuses reprises, Dubravka Ugrešić affirme que le canidé, « incarnation de la ruse et de la trahison », est le « totem des écrivains ».
« Dans la majorité des langues slaves, ainsi que dans la plus grande partie de l’imaginaire mythologico-folklorique slave (mais également chinois, japonais et coréen), le renard est perçu au féminin. Le renard est Shéhérazade. Shéhérazade est une histoire sur comment naissent les histoires. Car Shéhérazade, en racontant des histoires, s’achète un jour de vie en plus. »
L’alter ego romanesque de Dubravka Ugrešić est une universitaire croate d’un certain âge. Son objet d’étude, l’incite à évoquer différents épisodes de sa vie comme son année universitaire à Moscou, ses conférences à l’étranger, les facéties de sa jeune nièce, son séjour dans la campagne croate, les critiques et les déconvenues auxquelles elle doit faire face dans son métier. Lors d’un séminaire à Naples, par exemple, elle constate avec beaucoup de stupéfaction (et un peu d’amertume) qu’elle est évincée par la veuve d’un grand écrivain russe. Celle-ci est certes dépositaire de l’héritage littéraire de son époux, mais n’a jamais rien écrit elle-même. Une autre anecdote, sensée apporter de l’eau au moulin de la métafiction, concerne Vladimir Nabokov. Pour évoquer Feu pâle, dont les vers sont considérés comme une métaphore de la création, Dubravka Ugrešić relate un voyage de l’auteur dans l’ouest américain. J’ai découvert à cette occasion que l’écrivain d’origine russe était un lépidoptériste amateur qui partait chasser le papillon dès qu’il en avait l’occasion. La romancière croate mentionne aussi longuement l'Oberiou (Association pour l'Art réel), un courant littéraire éphémère du modernisme russe dont les membres ont été les victimes des purges staliniennes.
The Opinionated Reader écrit sur son blog que le livre de Dubravka Ugrešić est l’œuvre d’une autrice courageuse pour des lecteurs courageux. Franchement, je suis plutôt d’accord avec ça ! D’ailleurs, il m’a fallu un peu de temps pour y entrer. On croit d’abord tenir un roman puis on hésite : s’agit-il d’une autobiographie ou d’un essai sur la littérature ? La frontière entre fiction et réalité reste floue.
« Nous sommes tous des notes de bas de page, nombre d’entre nous n’auront jamais l’occasion d’être lus, nous sommes tous pris dans une lutte constante et féroce pour notre vie, une vie de note de bas de page, pour rester un peu à la surface avant de sombrer, en dépit de tous nos efforts. Nous laissons sans cesse et partout des traces de notre existence, de notre lutte contre l’absurde. »
📌La Renarde. Dubravka Ugrešić. Christian Bourgeois, 480 pages (2023)
Je n'aime pas tellement ce genre de mélange, je préfère un bon gros roman ou un récit. Ce sera sans moi.
RépondreSupprimerEffectivement, si tu préfères les romans "traditionnels", je doute que celui-ci te plaise.
SupprimerJe suis d'accord avec toi sur le fait que ce n'est pas un livre facile à appréhender. J'ai l'impression que les éditeurs essaient d'éviter d'utiliser le mot "roman" pour en parler. Ils utilisent aussi "récit introspectif" ce qui me parait plus juste. J'avais préféré le Musée des redditions sans condition qui m'a davantage parlé.
RépondreSupprimerJe ne suis pas sûre de récidiver tout de suite avec cette autrice mais je me demande si "Baba Yaga a pondu un oeuf" ne serait pas plus abordable.
SupprimerJe ne suis pas sûre d'accrocher à ce roman qui en est un sans en être vraiment un.
RépondreSupprimerLa forme est plutôt surprenante, c'est sûr, mais le propos est intéressant.
SupprimerFigure-toi que j'ai failli craquer pour cette couverture magnifique, son titre et le résumé ce week-end en librairie.:) Bon, ma PAL a eu le dernier mot, mais ton billet me laisse penser qu'il faudra que je renégocie l'affaire.^^ Quant à Nabokov, mon dieu, tu viens de me remémorer un souvenir très désagréable d'une étude à la fac sur une de ses oeuvres où il s'épanchait longuement sur sa passion pour les papillons. Je ne suis plus revenue à lui depuis.
RépondreSupprimerQuel est l'avis de ta/ton librairie ? Je suis curieuse de savoir. Sinon, tu m'as bien fait rire avec ton anecdote sur les papillons de Nabokov !
SupprimerJe ne lui ai pas demandé.:) C'était juste mis en avant parmi d'autres parutions récentes. Pas de petit mot spécifique de libraire non plus pour le présenter.
SupprimerIl y a tellement de parutions chaque année et tellement de livres qui vont au pilon !
SupprimerEn te lisant on a plutôt l'impression que c'est un essai et pourtant ... ce n'est pas que cela, un récit introspectif ? En tout cas, je ne me sens pas assez courageuse pour le lire en ce moment. Il faut dire que j'ai déjà plusieurs livres devant moi pour le mois de la littérature des pays de L'Est dont un de 560 pages ! Je suis à peu près sûre que je n'arriverai pas à la lire en temps voulu ce dernier!
RépondreSupprimerOui, on peut dire que c'est un récit introspectif. On peut le classer dans la métafiction en fait.
SupprimerElle vient de mourir et j'ai vu des gens lui rendre hommage, mais je ne sais pas quoi lire d'elle. Moi ce que j'aime, ce sont surtout les romans. Ce titre là ne semble pas être pour moi.
RépondreSupprimerJ'ai vu ça. Elle est morte le 17 mars dernier. Je n'ai que "La renarde" pour l'instant mais je pense lire bientôt "Baba Yaga a pondu un œuf" qui semble être son roman le plus "abordable" (traditionnel)
SupprimerPas forcément ma tasse de thé non plus mais en tout cas, une contribution originale pour le Mois de l'Europe de l'Est, merci !
RépondreSupprimerJe ne regrette pas de l'avoir lu : cela m'a changé de mes lectures habituelles. En revanche, je ne suis pas certaine de récidiver dans ce genre.
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