Contes de la solitude. Ivo Andrić
💪Zulma proposent une réédition des Contes de la solitude Ivo Andrić (1892-1975), qui tombe à point nommé pour la 6ème édition du mois de l’Europe de l’Est. Ce recueil est composé de 14 textes dont 9 nouvelles tirées d’un manuscrit posthume, publié en 1976 sous le titre de Kuća na osami en version originale (La Maison isolée). La première traduction française, parue chez L'Esprit des péninsules date de 2001.
Le prologue nous ouvre les portes de la demeure de l’auteur à Sarajevo, qui nous invite à faire virtuellement le tour du propriétaire.
« C’est une maison à un étage sise tout en haut de la pente escarpée d’Alifakovac, un peu à l’écart des autres. Au rez-de-chaussée, où il fait chaud l’hiver et frais l’été, un couloir spacieux, une grande cuisine et, à l’arrière, deux chambres sombres, plus petites. À l’étage, trois pièces assez vastes dont l’une – celle de devant – donne sur la vallée ouverte de Sarajevo. Elle possède un large balcon qui, par sa construction et ses dimensions rappelle les divanhanas des maisons bosniaques. Il n’est pas fait comme eux de bois blanc naturel, mais peint en vert foncé, et sa balustrade n’est pas constituée de simples barreaux arrondis, mais de planches plates découpées comme celles des chalets alpins. Tout cela date des années quatre-vingt – 1887 exactement – lorsque les gens du pays commencèrent, sans y parvenir tout à fait, à bâtir leur maison d’après un plan »
Ivo Andrić se souvient d’un fameux été où l’inspiration lui venait sans qu’il n’ait besoin de l’appeler de ses vœux. Elle se matérialisait, dans ses moments particuliers de la journée où rêves et réalité s’entremêlent, faisant apparaitre des personnages dont les destins étaient presque tous tragiques.
« Mais il arrive que ma journée commence autrement, que ce ne soit pas moi qui guette et attende mes histoires, mais qu’elles le fassent d’elles-mêmes, et cela plusieurs à la fois. Dans un demi-sommeil, alors que je n’ai pas même encore ouvert les yeux, frémissent soudain en moi, tels des rais jaunes et rouges striant le store baissé de ma fenêtre, les fils brisés des récits ébauchés. Ils s’offrent, m’éveillent et me troublent. Ensuite, lorsque je me prépare et me mets au travail, ne cessent d’affluer, avec une multitude de détails minutieux, personnages des récits et fragments de leurs conversations, réflexions et comportements. Je dois maintenant me défendre et me cacher d’eux, m’emparant du plus de détails possible, jetant tout ce que je peux sur le papier déjà prêt. »
Parmi ces visiteurs impromptus, il y a Ahmet pacha, né comte de Bonneval, un français qui vécut près de 17 ans à Constantinople où il occupa de hautes fonctions. Son portrait flamboyant, qui s’inspire d’un personnage réel, est selon moi l’un des plus réussi de ce recueil.
« Il vivait, comme il l’avait toujours fait, joyeusement et avec prodigalité, à sa manière et sans contraintes, se liant ou s’opposant, sans faire de plans ni de calculs, aux Turcs et aux chrétiens, sans se soumettre à personne ni à rien, servant uniquement son désir de se venger de l’Autriche. Il remplissait consciencieusement ses fonctions de pacha turc, mais correspondait dans le même temps avec d’éminentes personnalités françaises, dont Voltaire. Jusqu’à l’heure de sa mort, il organisa des festins au cours desquels il dansait et entonnait des chants militaires effrénés. »
Une multitude de personnages défilent ainsi dans le bureau du prix Nobel de littérature (1961) mais certains m’ont plus émue que d’autres. Il s’agit la jeune Jagoda qui préfère se suicider plutôt que d’être vendue comme esclave ou encore de la fidèle et discrète servante Zouya qui fut victime d’un viol dans sa prime jeunesse. Le destin pathétique du directeur de cirque, trompé puis spolié par sa jeune épouse, est tellement universel ! Et ce géomètre, sans cesse ridiculisé par son épouse frivole ! Tant de destins qui suscitent tantôt l’indignation ou la colère, tantôt la tristesse et la mélancolie. On pourrait encore mentionner le baron de Dorn, un menteur invétéré ou Ali pacha Rizvanbegović Stočević, l’ancien vizir de Mostar en Herzégovine. Ce dernier, un haut fonctionnaire de l’empire ottoman a vraiment existé. Il apparait dans un autre opus publié aux éditions du Rocher (aujourd’hui épuisé mais chroniqué sur le blog Passage à l’Est), et qui évoque un autre épisode de sa vie.
A travers cette galerie de personnages singuliers, Ivo Andrić dresse le portrait de l’ex-Yougoslavie dans la diversité de ses territoires, sociétés et religions. Son style d’écriture s’inscrit volontairement entre orient et occident, les apparitions fantomatiques alternant avec le réalisme des descriptions. Je pensais que ce recueil serait une bonne manière d’entrer dans son œuvre. Je n’ai pas été déçue mais je n’ai pas été aussi séduite que je ne l’espérais. Hasard du calendrier ou pas, les éditions des Syrtes ont publié, en janvier dernier, La chronique de Belgrade, un autre recueil de nouvelles. Il a été lu par Patrice (blog Et si on bouquinait) dans le cadre de ce mois de l’Europe de l’Est.)
NB : Ivo Andrić est né en Bosnie dans une famille croate. Il a eu plus tard la nationalité serbe et a fini sa vie à Belgrade, alors capitale de la Yougoslavie.
📌Contes de la solitude. Ivo Andrić. Editions Zulma, 208 pages (2023)
Il pourrait être l'occasion de découvrir l'auteur...
RépondreSupprimerJe trouve que les nouvelles sont souvent un bon moyen de faire connaissance avec un auteur. Ce recueil est relativement bref donc ça me semble idéal pour une première approche.
SupprimerTon avis n'est pas assez enthousiaste pour que je retienne. Dommage parce que le thème m'aurait intéressée.
RépondreSupprimerC'est peut-être moi qui n'étais pas réceptive au moment de la lecture. L'éditeur évoque les contes des 1001 nuits à propos de ces nouvelles et l'auteur a eu un prix Nobel quand même. J'aimerais bien avoir l'avis d'un(e) autre lectrice/ lecteur
SupprimerJe ne suis pas très nouvelles, l'impression d'enchaîner trop d'histoires en une fois, avec parfois des chutes un peu brusques, et comme tu n'es pas complètement séduite, je passe sans trop de regret. Magnifique couverture à avoir dans sa bibliothèque pourtant.
RépondreSupprimerJe ne me sens jamais très à l'aise de dissuader des lecteurs de lire certains livres, d'autant que celui-ci est loin d'être mauvais. C'est vrai que la nouvelle est un genre très spécial. Ici, elles sont trop courtes à mon goût et je me suis sentie frustrée.
SupprimerJe n'avais pas vu la sorti de ce livre. Bonne idée, je retrouve dans les extraits le style de l'auteur et des descriptions qui m'avaient également beaucoup plus dans "La chronique de Belgrade", même si je note ton enthousiasme "modéré" !
RépondreSupprimerOui, en effet, je n'ai pas détesté (loin de là) mais je n'ai pas non plus été emportée.
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