Nous, les Selk'Nams. Reyes et Elgueta
Qui sont les Selk’Nams (on peut aussi l’écrire sans apostrophe et/ou sans S) ? Les conquistadors prétendaient que les "Patagons" d’Argentine et du Chili étaient des géants (aux grands pieds) qui mesuraient jusqu’à 3 mètres de haut ! Les "Estancieros", installés sur les terres indigènes de la Grande Île en Terre de Feu, les accusaient de voler leur bétail et les chassaient comme des animaux. Les exploitants de zoos humains affirmaient que les Amérindiens étaient des carnivores… Leurs voisins, les Yagans, les appelaient Ona(s), c’est-à-dire peuple du Nord. Le pasteur Martin Gusinde a longuement étudié les croyances des Selk’Nams et les a même convaincus de se mettre en scène dans une reconstitution de la cérémonie du Hain, un rite de passage qu’ils ne pratiquaient plus au début du 20ème siècle. L’anthropologue franco-américaine, Anne Chapman, a recueilli dans son ouvrage intitulé Quand le soleil voulait tuer la lune, Rituels et théâtre chez les Selk’nam de Terre de Feu (Métaillé, 2008) le témoignage d’Ángela Loij, une femme considérée comme la dernière représentante du peuple selkman en Terre de feu.
Pour ma part, je n’avais jamais entendu parler de ce peuple autochtone d’Amérique latine avant d’avoir découvert la bande dessinée de Carlos Reyes et Rodrigo Elgueta. L’une des raisons, sans doute, tient au fait que Selk’Nams ont été les victimes d’un génocide et qu’ils ont officiellement disparu de la surface de la Terre au tournant du 20ème siècle. Or justement, le projet du duo chilien est de redonner vie (sur le papier) aux Selk’Nams en retraçant leur histoire et exhumant leurs spécificités identitaires. Quel était leur mode de pensée ? Leur cosmogonie ? A quoi ressemblait leur vie quotidienne ? Si la question du fond s’est rapidement imposée, restait à déterminer celle de la forme. Comment aborder un sujet aussi épineux que l’extermination d’un peuple ? Quelle méthodologie employer lorsque le récit des vainqueurs s’est imposé à la mémoire collective ? Carlos Reyes et Rodrigo Elgueta ont finalement fait le choix d’une BD-reportage dans laquelle ils se représentent eux-mêmes et convient le lecteur à les suivre dans toutes les étapes de leur enquête. Les témoignages, écrits, oraux ou photographiques qu’ils accumulent, constituent autant de fragments d’un miroir brisé… car l’histoire des premiers habitants de l’Amérique latine nous renvoie à notre propre conscience.
Le choix de réaliser des planches en noir et blanc a sans doute facilité le travail de reconstitution de l’illustrateur. Le foisonnement de détails dans les dessins et le fil narratif, qui s’affranchit résolument de la chronologie, montrent la richesse des informations accumulées et la difficulté à les synthétiser. Distinguer le fantasme de la réalité semble relever de la gageure. A la fin de l’album, les auteurs s’interrogent encore : « Peut-être que notre image des Selk'Nams est une fiction idéalisée que nous avons inventée. Un palimpseste. Chaque réécriture, au lieu de lever le mystère et de le déchiffrer, va en le cachant ».
La commission pour la vérité historique et un nouveau traitement des peuples indigènes a reconnu officiellement le génocide des Selk'Nams en 2003.
💪Lu dans le cadre des thématiques proposées par Ingannmic
📌Nous, les Selk'Nams. Carlos Reyes (scénario) et Rodrigo Elgueta (dessin). Editions Ilatina, 142 pages (2022)
Vraiment étonnant, et je ne connaissais pas du tout!
RépondreSupprimerC'est une super BD, je te la recommande vivement. Le sujet est passionnant et la manière de le traiter est originale. Le destin tragique des Selk'Nams mérite vraiment qu'on s'y attarde un peu.
SupprimerMon attention a été attirée il y a quelques années déjà vers ce peuple à cause d'un disque, un LP du label américain Folkways, avec des enregistrements (datant de 1966) de chants a cappella d'une des dernières survivantes de l'ethnie: https://folkways.si.edu/lola-kiepja/selknam-ona-chants-of-tierra-del-fuego-argentina/american-indian-world/music/album/smithsonian
RépondreSupprimerTout ça est très pointu... c'est grâce à mon boulot que je suis tombée sur ce disque.
Merci pour l'info et le lien ! On peut écouter ces chants traditionnels (des cantiques chamaniques semble-t-il) sur Youtube
SupprimerApparemment, il s'agit bien de la même Lola Kiepja, repérée par Anne Chapman.
NB: Ton boulot a l'air passionnant !
Comme je l'écris sur mon blog, me voilà bien sûr très intéressée...
RépondreSupprimerGrâce à cet album, j'ai découvert les éditions iLatina, spécialisée en bande dessinée latino-américaine. Le catalogue n'est pas très important mais il semble intéressant.
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