La vallée des fleurs. Niviaq Korneliussen

La vallée des fleurs. Niviaq Korneliussen


Le titre de ce roman, La vallée des fleurs, fait référence à un cimetière situé à l'Est du Groenland, près de la ville de Tasiilaq. Il doit sa particularité aux fleurs de plastiques roses, rouges et bleues qui ornent les tombes. La narratrice, dont nous ne connaîtrons jamais le prénom ni le patronyme, est une jeune inuite qui vit à Nuuk, la capitale située au sud-ouest du pays. Elle a obtenu une bourse pour des études d’anthropologie à l’Université de d’Aarhus au Danemark. Son prochain départ est vécu à la fois comme une libération, vis-à-vis de la cellule sociale et familiale, et un véritable déchirement affectif. La jeune femme appréhende de quitter sa petite amie Maliina, dont elle est follement éprise. En apparence, notre héroïne est donc une personne solide, intelligente et pleine d’humour dont l’homosexualité semble parfaitement assumée et acceptée par ses proches… mais quelque chose nous souffle dès le départ que l’intrigue va prendre une autre tournure.  

Les chapitres de ce roman sont numérotés en sens inverse comme un compte à rebours vers un drame annoncé. Dans la première partie, intitulée Eux, chaque titre de chapitre est une référence au suicide d’un tiers (exemple : chapitre 45 : Femme. 38 ans. Pendaison). Les deux parties suivantes, Toi et Moi, sont conçues selon le même principe avec des annonces funestes de plus en plus détaillées. Il y a en quelque sorte deux fils narratifs parallèles, comme si le destin de la narratrice se reflétait dans le miroir d’une société endeuillée par le taux de suicide le plus élevé du monde. Plusieurs théories ont été avancées pour expliquer ce fait, parmi lesquels le climat et les nuits à rallonge. Mais ce sont surtout la modernisation rapide du Groenland, sous influence danoise, et dévalorisation de la culture inuite qui sont incriminées.  De nombreuses famille ont quitté leur communauté pour s’installer en ville et adopter le mode de vie danois. Des villages entiers ont disparu de la carte. La perte d’identité des Groenlandais s’est traduite par une augmentation de l’alcoolisme, puis des maltraitances physiques. Tous ces éléments sont évoqués en filigrane dans le roman de Niviaq Korneliussen.

Le style d’écriture de Niviaq Korneliussen reflète le mode d’expression d’une communauté et d’une génération. En ce sens, il peut s’avérer parfois déconcertant. Par exemple, l’héroïne passe beaucoup de temps sur les réseaux sociaux, adoptant les pratiques et le vocabulaire qui les caractérisent. Par ailleurs, la romancière invite le lecteur dans l’intimité de l’héroïne avec un langage parfois très cru. Enfin, elle mélange le Danois (le livre a d’abord été écrit en Danois avant d’être traduit par l’auteure elle-même en Groenlandais), les expressions groenlandaises de l’est ou de l’ouest, et des phrases entières en anglais. 

Niviaq Korneliussen est considérée comme la première romancière inuite de renommée internationale. Elle s’est fait connaître en 2012 grâce à une nouvelle intitulée San Francisco et mettant en scène cinq personnages LGBT. Néanmoins, c’est la publication de son premier roman, Homo Sapienne (La Peuplade, 2017), qui lui a permis de dépasser les frontières du Groenland et du Danemark. Son second roman, La vallée des fleurs (Naasuliardarpi en V.O), a été récompensé par le Grand prix de littérature du Conseil nordique en 2021. 

La vallée des fleurs. Niviaq Korneliussen. La Peuplade, 384 pages (2022)

Commentaires

  1. Une lecture qui serait peut-être un peu complexe pour moi.
    Merci pour la découverte et pour ta participation au challenge.
    Bon dimanche !

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    1. C'était une lecture assez déconcertante pour moi mais j'aime bien sortir de ma zone de confort de temps en temps.

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  2. J'ai bien aimé Homo sapienne de cette auteure, et on y retrouve ce style "moderne" que tu évoques. Dis-donc, encore une participation aux Minorités ethniques, tu en es le fer de lance !!

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  3. On a peu de romans de ces coins là!

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    1. oui, c'est vrai. D'ailleurs, c'est aussi ce qui m'a attirée

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  4. J'hésite beaucoup devant ce genre de roman et je ne suis pas sûre que j'aimerais le style de l'autrice. Est-ce que les phrases en anglais sont traduites ?

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    1. Je crois que les phrases en anglais ne sont pas traduites ... mais il n'y en a pas beaucoup et elles ne sont pas essentielles à la compréhension de l'intrigue. En revanche, je ne peux pas nier que le style d'écriture est particuliers. C'est ce qui fait l'originalité du roman aussi.

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  5. Je redoute un peu les particularités de l'écriture mais la dimension inuite m'attire.

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