Une rétrospective. Juan Gabriel Vásquez
Voilà une saga familiale et historique comme je les aime ! Juan Gabriel Vásquez s’est penché sur la biographie de son concitoyen, le réalisateur colombien Sergio Cabrera. Il faut dire qu’il y a de la matière (et je ne parle pas de son œuvre cinématographique) : les jeunes années du cinéaste ressemblent à un scénario de film ! L’écrivain établit d’emblée un parallèle avec une rétrospective organisée à Barcelone en octobre 2016, alors que Sergio Cabrera vient de perdre son père (Fausto). Arrivée la veille en Espagne pour animer les débats autour de son œuvre, le réalisateur renonce à se rendre à l’enterrement de Fausto à Bogotá. Il doit de toute façon retrouver son fils aîné (Raul) à Barcelone et régler ses problèmes de couple avec sa dernière femme (Sylvia). L’ambiance et les circonstances se prêtent néanmoins assez bien à une introspection.
« Une rétrospective est une
œuvre de fiction, mais elle ne contient aucun épisode imaginaire (…) le propos
de la fiction a consisté à extraire la figure de ce roman de la gigantesque
parcelle de montagne qu’est l’expérience de Sergio Cabrera et de sa famille
telle qu’elle m’a été révélée pendant sept ans de rencontres, qui se sont
soldées par trente heures de conversations enregistrées. D’après les archives
sonores de mon téléphone portable, la première a eu lieu le 20 mai 2013 dans
mon bureau, à Bogotá… » peut-on lire dans une note de l’auteur à la fin du
livre. Cette masse d’informations biographiques dont il parle, remonte sur plusieurs
générations et se confond avec la grande histoire. Quelques photos provenant des archives familiales des Cabrera illustrent le livre.
Domingo, le grand-père né aux
Canaries au début du 20ème siècle inaugure la saga des Cabrera. Son
esprit d’aventure le conduit à Cuba, en Argentine et au Guatemala où il rencontre
son épouse, Julia Diaz Sandino, une aristocrate madrilène. La famille Cabrera
(qui compte 3 enfants dont Fausto) se trouve ainsi à Madrid lorsque le roi Alphonse
XIII subit l’assaut des Fantômes de la république et à Barcelone au début de la
guerre civile espagnole. Avec l’oncle Felipe, ils se rendent d’abord en France
pour fuir Franco puis s’embarquent sur le premier bateau vers les Amériques
pour échapper à l’avancée hitlérienne. C’est donc presque par hasard que les
Cabrera se retrouvent en République Dominicaine.
L’aventure familiale se poursuit
avec Fausto, digne fils de Domingo, qui quitte les Caraïbes pour chercher la
gloire à Bogotá. Nous sommes en juin 1945, Hitler s’est suicidé dans son bunker
et le jeune aspire à devenir acteur. Après une série de récital à Medellin, il
rencontre Luz Elena Cardenas. Sergio, leur fils, nait le 20 avril 1950 et sa
sœur, Marianella, deux ans plus tard. Le 13 juin 1954, le président de la
république, Gustavo Rojas Pinilla, déclare la mise en service de la télévision
en Colombie. La carrière de Fausto est lancée. Quelques années plus tard, les
Cabrera vivent dans un quartier huppé où leurs enfants fréquentent le lycée
français… mais le couple bat de l’aile. Aussi lorsqu’une opportunité professionnelle
se présente en Chine, ils décident d’accepter et de prendre un nouveau départ. Ils
arrivent à Pékin au début des années 60, c’est-à-dire à la fin de la grande
famine engendrée par les politiques du "Grand Bond en avant" et de la "commune populaire".
Sergio Cabrera et sa sœur (la troisième génération) sont encore en Chine au moment des purges politique et de la révolution culturelle. Maoïstes convaincus, leurs parents sont repartis faire la guérilla en Colombie, abandonnant leur progéniture encore adolescente sur-place. Ils doivent « accomplir une transformation idéologique et sentimentale prolétaire et se préparer à servir la société, le peuple, la révolution… » leur écrit Fausto. « Repartir en Colombie avant d’avoir amorcé catégoriquement cette transformation voudrait dire que vous avez perdu votre temps en Chine et que vous n’avez pas réussi à réaliser votre objectif. Selon moi, vous serez prêts à un éventuel retour au pays après être parvenus à cette métamorphose de manière authentique, sur des fondements stables. ». Apriori les chemins de Sergio et Marianella sont tracés d’avance par leurs parents…
Bon, on connait la fin de
l’histoire : Sergio Cabrera est devenu réalisateur. On lui doit, entre autres, La
stratégie de l’escargot (1993), Stade en grève (1998), Perdre est une question de méthode (adapté
d’un roman de Santiago Gamboa en 2004) et Tout le monde s'en va (2015). Comme je ne peux pas tout raconter, il
vous faudra lire le livre de Juan Gabriel Vásquez pour savoir à quel moment il
a changé de trajectoire et pour quelles raisons.
Juan Gabriel Vásquez est un
formidable conteur. Il signe un récit vivant et émouvant qui ne fait pas que relater
une succession de faits ou questionner l’Histoire. Il interroge aussi sur des sujets
plus intimes comme la transmission filiale et les relations parents/enfants. Une rétrospective nous offre un beau moment de
lecture !
📚D'autres avis que le mien chez Sacha et Ingannmic
📌Une rétrospective. Juan Gabriel
Vásquez. Seuil, 464p. (2022)
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